SABINE PERRAUDIN, sculpteure

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Sabine Perraudin, quand je regarde votre stand, je me demande par quel objet commencer ! Il y a une telle foule ! Certes, tout est conçu dans le même esprit : la petite chose qui va attirer l'œil du visiteur ; mais comment définissez-vous cet ensemble ?

Sabine Perraudin : Je définis ce que je fais comme de l'assemblage et de la mise en scène à partir d'objets de récupération, d'objets trouvés dans des vide-greniers... Egalement à partir d'objets que je rapporte de différents voyages. Je m'inspire aussi beaucoup de tout ce qui est Art populaire. J'aime bien créer des univers poétiques qui racontent des petites histoires.

 

J.S-R. : Tous ces petits objets ont entre eux un lien, c'est leur petit côté fétichiste. On dirait des petits gris-gris…

S.P. : Oui, on peut y voir cela, effectivement, c'est le côté Art populaire. Et puis, des petits objets qui sont des clins d'œil à des divinités. A des univers dans lesquels on trouve de petites amulettes, des petits éléments protecteurs… Tout ce qui tourne autour des croyances populaires m'intéresse beaucoup.

 

J.S-R. : Le petit Ganesh, par exemple, est-il une de vos créations ? Ou bien l'avez-vous acheté ?

S.P. : C'est un Ganesh que j'ai rapporté d'Inde au retour d'un de mes voyages. Ce que je présente est plus un travail de collecte et d'assemblage que la fabrication d'objets. Certes, je fabrique certains objets, mais j'aime aussi rapporter des objets populaires et les mettre en scène ensuite.

 

J.S-R. : Vous avez donc posé ce Ganesh sur un petit socle, et vous l'avez uni à tous les petits objets qui sont autour ?

S.P. : Oui. Ces personnages que vous trouvez autour sont aussi des petites divinités hindoues faites en bois peints. Et j'ai utilisé aussi le principe du miroir pour démultiplier l'image de ces divinités et jouer sur les reflets.

J.S-R. : Le tableau que je trouve le plus impressionnant, c'est celui avec les yeux qui me font penser à ceux d'une chapelle vénitienne où tout un mur est couvert d'yeux. Je retrouve ces yeux perdus dans le noir ! Je ne retrouve pas dans ce tableau l'aspect ludique qui semble prévaloir pour les autres.

S.P. : Pourtant il y a un clin d'œil aux croyances populaires religieuses. Ce tableau s'intitule "Les esprits sont partout". Il va vers le côté animiste de la croyance et renvoie à la composition qui l'entoure, avec des collages de papiers de prières indiennes. On retrouve Ganesh, un dragon chinois, des petits morceaux de bandes dessinées, des vieux Donald, des petites cartes à jouer ; donc tout un mélange qui renvoie aux croyances populaires et aux esprits qui se promènent.

 

J.S-R. : Au fond, ce sont des photos, comme le bateau, par exemple ?

S.P. : J'ai fait quelques compositions, retours de malles, retours de valises qui sont, comme l'a dit très justement hier, une jeune fille, "comme des carnets de voyages qui seraient composés dans des malles". Ce sont des photos que j'ai prises personnellement au cours de mes voyages. Et j'aime bien effectuer des assemblages soit autour d'une thématique, soit autour d'un voyage. L'un est composé autour d'Hussein du Maroc ; on retrouve dans la grosse malle des éléments d'univers mexicains. Il y a aussi bien des photos que des papiers de journaux ou des petits objets rapportés de ces pays, qui se mêlent.

J.S-R. : Dans l'une de vos malles, vous avez placé un ensemble hétéroclite, depuis la tête de Prévert jusqu'à des pubs, des photos indiennes ou hindoues… Doit-on dire que vous avez "rencontré" tout cela au fil de vos voyages, et que vous les avez regroupés. Quel est le lien entre eux ? Quels rapprochements… ?

S.P. : Ces rapprochements sont faits autour d'une thématique qui est la thématique du théâtre. Ce sont des éléments rapportés de mes voyages. Il y a un clin d'œil avec les marionnettes du théâtre d'ombres indonésien découvert à Bali. Il y a des personnages que j'affectionne particulièrement, comme Prévert que j'ai juste positionné ici comme spectateur. Ensuite, il y a un univers qui se mêle sur une scène avec une moitié de disque vinyle. J'ai présenté aussi bien des personnages du théâtre d'ombres thaïlandais, qu'une ancienne comédienne des années 20, découpée dans un magazine. Puis j'ai ajouté des petits textes de Molière, ce qui permet de raconter une petite histoire autour du théâtre, et les jeux de séduction qui peuvent en découler.

J.S-R. : Tous ces assemblages ne sont-ils pas, de votre volonté, un peu kitsch ?

S.P. : Il y a un côté kitsch, le côté chargé et coloré, effectivement. Pour le reste, je ne définirai peut-être pas ce que je fais, avec ce terme ? Mais le fait que ce soit très chargé, oui.

 

J.S-R. : Vous n'avez jamais eu envie de proposer des compositions, sur le même principe que celles-ci, mais où vous auriez absolument tout créé ?

S.P. : Non, j'aime bien l'idée d'utiliser des éléments qui ont déjà une vie propre. J'aime beaucoup cette idée de leur donner une seconde vie. Et de mêler ces objets qui n'ont pas forcément de lien les uns avec les autres. Je pense que si je créais des objets d'un bout à l'autre, il n'y aurait pas ces décalages qui me tiennent tant à cœur.

J.S-R. : Certains éléments, comme les collages de photos, sont mémoriels. Vous dites rapporter presque tous les objets de vos voyages. Ils restent donc dans le domaine de la mémoire. Mais où a-t-il des objets qui ne se rattachent pas à ce sentiment ? Qui ne font pas partie de vos souvenirs. Que vous avez simplement mis là, parce que vous les aviez sous la main à ce moment-là ?

S.P. : Il y a toujours quelques objets qui sont en lien avec les souvenirs. Si je les ai trouvés lors de voyages, dans des vide-greniers ou des brocantes, il y a toujours un lien avec la mémoire que porte chaque objet. Toujours.

 

J.S-R. : Par exemple la raquette, est-il indiscret de vous demander ce qu'elle vous rappelle, puisque vous avez placé dessus ce qui me semble être une maman qui ferait signe à son enfant de se taire ?

S.P. : Non, pas du tout ! C'est un personnage du théâtre d'ombres thaïlandais qui menace plutôt quelqu'un d'autre avec son doigt ! Après, chacun peut y voir ce qu'il veut ! C'est plutôt un clin d'œil au tennis et à un échange de balles. J'ai voulu mettre un côté humoristique pour la création de cette raquette que j'avais trouvée chez Emmaüs. Je la trouvais jolie et j'ai voulu faire quelque chose avec la partie tissée avec les cordes.

J.S-R. : Par ailleurs, parfois vous "faites dans le décoratif", comme le cadre vide ?

S.P. : L'objet au départ me plaisait beaucoup. Et, comme c'était un cadre très abîmé, il avait été abandonné. J'ai eu envie de lui donner une seconde vie en collant tout un assemblage de petites choses autour. Sans lien les unes avec les autres, mais en recherchant une cohérence globale et esthétique. Et je l'ai, justement, intitulé "Inventaire à la Prévert".

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DE BANNE, LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.