LES TRES RICHES HEURES de JACQUES RECEVEUR 

Peintures et collages 

(1944-1998)

***** 

          A l’imitation des miniatures célébrant, au Moyen-âge, les évènements de la vie de quelque grand seigneur, les “Très riches heures” de Jacques Receveur sont d’inénarrables “documents” dont chacun éclate de bonne santé. Elles présentent, “pris sur le vif”, les dits et médits auxquels l’artiste a prêté son oreille affabulatrice ; les faits et méfaits auxquels il a imaginairement assisté. Scènes banales, avec parfois un rien d’exotisme, elles ont la saveur des récits des moines-voyageurs déroulant leur parchemin pour évoquer -sans anachronisme, car les oeuvres du peintre se situent hors-le-temps- une familière Amérique dans laquelle se seraient implantés, dans l’ordre ou dans le désordre, un Maghrébin, une hétaïre, un Père Noël tête en bas, tête en l’air... ; les murs aveugles  d’un énigmatique château-fort se profilant en arrière-plan de la construction d’une cathédrale... le portrait à l’ancienne d’un cousin militaire, etc.

    En bon narrateur réservant ses effets, Jacques Receveur emmène successivement le visiteur au Piccolo theatro où il l’installe... non pas dans un fauteuil d’orchestre, mais à une fenêtre, parmi des Saints aux fronts nimbés d’auréoles, en odeur de sainteté, pourrait-on dire... n’était que leurs  visages expriment un profond scepticisme quant à la réalité de la scène proposée à leurs regards ; puis vers une série de lieux indéterminés où se déroule la cérémonie de l’Eucharistie : Mais Jésus est à droite d’une femme qui tient l’hostie, tandis qu’un ange s’enfuit à... toutes ailes! Ailleurs, trône une Vierge en Majesté, mais la tête de l’Enfant est une roue de loterie dont les “parts” sont numérotées comme celles des fractions sur lesquelles s’angoissent les élèves à l’école ! De péplums où les soldats vont à dos de cactus ou à bicyclette, en bateleurs aux pieds collés au plafond, ou en pendules-cœurs scandant le temps pour des amoureux occupés à de très érotiques attouchements... l’artiste passe aux choses sérieuses, en arrive aux Métiers : Maçons, curés, charpentiers... expriment leurs savoir-faire en des anecdotes très évocatrices, d’une évidente quotidienneté et d’un humour palpable !   

           Tout cela sur papier kraft qui, grâce à sa porosité, a “bu” la peinture, générant des passages “usés”, donnant aux divers “épisodes” du récit, l’aspect vieillot des enluminures d’un livre ancien extirpé d’un grenier ; dessinés ou collés comme elles sans souci de perspective et circonscrits par des encadrements à l’encre noire... Toutefois, l’artiste ne se prive pas de transgresser ces limites, et l’arbre du paysan peut fort bien orner le pilier de l’église bâtie par le maçon, etc. 

         Car, sous l’apparente raideur du décor et des personnages, se cache une grande habileté plastique : Ainsi, chaque élément (bras, tête, chapeau...) est-il conçu d’un unique trait fin, galbé, brisé ou sinusoïde, d’une exactitude architecturale ; délimitant un jeu de teintes vives subtilement réparties en fonds sur lesquelles se détachent les lignes du dessin figuré. Là encore, Jacques Receveur, semblant ingénument n’employer que les couleurs fondamentales, sait parfaitement varier les effets, découper une silhouette sur un écran de ton opposé, pantalon cinabre sur pré vert-véronèse, chemise jaune-citron sur muraille bleu de roi ; ocre sur violet, etc. Ce sens inné du peintre à saisir les “rencontres” heureuses ; la précision avec laquelle s’enchaînent scènes et motifs ; et l’effet de surprise qui résulte de leurs combinaisons ; l’unité d’inspiration qui se retrouve de tableau en tableau, ne sont que des MAIS supplémentaires dans la démarche de l’artiste : L’air, en somme, de donner un “ton”, mais l’art de le faire dévier, de jouer au chat et à la souris avec le spectateur : sous la (fausse) simplicité du travail du peintre amateur, la puissante élaboration d’un grand talent!

Jeanine RIVAIS

 

 Jacques RECEVEUR: Les Jardiniers de la Mémoire, Site de la Création franche de BEGLES (Gironde)

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 59 DE JANVIER 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIAITION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.