Enfant malheureuse d’être séparée de sa mère qui menait à Paris ce qu’il est convenu d’appeler "joyeuse vie" ; n’ayant jamais reçu d’elle qu’une unique poupée qui lui fut arrachée parce que considérée comme le symbole de la honte familiale, Carol Houssais essaya –essaie- de recréer ce joujou perdu aussitôt que découvert ; et, à six ans, donna –au sens littéral- vie à sa première "joujouille".

          Dans l’après-guerre difficile, toutes les fillettes de la campagne ont confectionné elles-mêmes leurs poupées : Objets de tissus, elles étaient informes, avec leurs bras boudinés perpendiculaires aux corps monolithiques remplis de sciure ou de paille et leurs jambes raides sans pieds. Objets aimés, pourtant ; réceptacles de confidences que n’ont peut-être jamais reçu les belles poupées des riches ; témoignages d’apprentissages de couture, broderie, tricot… qui, sans elles, auraient bien souvent fait figure de pensums… La poupée de la jeune Carol aurait donc pu n’être qu’une parmi des milliers… N’était qu’elle fut réalisée dans le désespoir absolument, la rancœur probablement, la frustration assurément !

          Aujourd’hui, la colère d’une toute petite fille a disparu. Demeure, chez l’adulte déjà à l’âge mûr, la nécessité, la boulimie de coudre encore et encore : comme un chercheur d’or sûr que la prochaine pelletée de sable contiendra SA pépite, Carol Houssais poursuit inlassablement sa quête !

          Mais quelle quête ? Celle d’une poupée un peu magique comme ces êtres exceptionnels nés de fantaisies génétiques, qui la libérerait de son chagrin ? de ses regrets ? Celle du pardon, plutôt, qu’elle s’accorderait à elle-même, pour n’avoir pas su l’accorder à sa mère lorsque celle-ci "rentra à la maison" ; le pardon que, même par-delà la tombe, elle n’est toujours pas sûre de pouvoir donner! 

          Car, des milliers de joujouilles plus tard, cette créatrice n’a –psychologiquement- jamais réalisé qu’une seule poupée, petit "jouet" raide, de tissus colorés, enjolivé de fils de laine et de rubans, ligaturé comme naguère les bébés dans les langes ; visage sans yeux ni bouche, anonyme en fait, im/personnel…

          Comment se libérer d’une pensée mono-obsessionnelle si poignante ? Elle a pourtant fait des tentatives vers l’humour, disposant le long d’une route, un jour de passage du Tour de France dans son village, trois mille cinq-cents de ses petites créations. Mais, dans la plupart des expositions, Carol Houssais installe à l’infini, ses joujouilles autour de tambours géants de grillage et de piquets de bois, donnant inconsciemment à ces installations, des allures de stèles !… des Taj Mahal de pauvre, en somme, hommages à une "princesse" décédée. Car c’est bien ce qu’était aux yeux d’une petite fille délaissée, cette mère lointaine et tellement désirée ! Peine perdue ! Seule est apparue à l’évidence aux yeux du visiteur, la connotation esthétique de cette multitude ! Et, chaque fois un peu plus angoissée, l’artiste a repris ses aiguilles. Se demandant combien de temps encore elle serait condamnée à poursuivre son œuvre de survie ? Et nul, bien sûr, ne saurait donner une réponse à cette interrogation, sauf à penser que viendra la paix le jour où les joujouilles auront un visage ? ou que Carol Houssais redevenue la petite Carole aimante, pourra aller au cimetière et, telles un bouquet, les poser sur la pierre tombale… ?

          Il reste que ces compositions polychromes sont un régal pour les yeux de ce visiteur, qu’immense est son respect pour le talent et la constance d’une telle création. Que son émotion est puissante… car, dans le creux de la main, ces petits objets perdent leur appartenance "étrangère" pour devenir –redevenir- des bouffées de souvenir… le pur plaisir pour chacun et pour un court instant, de l’enfance retrouvée ! 

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 71 DE JANVIER 2002 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.