DANIELLE JACQUI ET LES UTOPIES REALISABLES

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Danielle Jacqui à la Chapelle des Pénitents (Vernissage du festival 2012)
Danielle Jacqui à la Chapelle des Pénitents (Vernissage du festival 2012)

Elle a commencé par une fresque de 200 m², créée sur le bord de la route, à Roquevaire.

La fresque de Danielle Jacqui
La fresque de Danielle Jacqui

Mais non, elle a commencé des décennies plus tôt à broder des poupées. Mais il ne s'agissait pas de "construire", simplement d'une volonté d'embellir son magasin de brocanteuse, couper la monotonie des alignements de meubles ! Mais alors, la fresque ? La fresque a été sa première manifestation "extérieure" de son talent de bâtisseuse !

            Mais encore non ! Elle a commencé intra- et extra-muros vingt ans plus tôt, par sa maison –La Maison de Celle qui peint, à Pont de l'Etoile-.

 

            "Elle" ? Il ne peut s'agir bien sûr, que de Danielle Jacqui constructrice ! Mais où, dans la maison ? Dans la cuisine, où les meubles sont condamnés à demeurer pour l'éternité, pour cause de hauts et bas-reliefs réduisant la largeur du couloir ? Dans la salle de séjour, peut-être, que feu son mari avait, de désespoir, agrandie, espérant disposer enfin d'un peu de place ; mais où en quelques mois, ont surgi dans un angle, une grotte peuplée de multiples sculptures ; et au long, au travers des autres murs, des personnages encore, qui ont fait de ce lieu un nouvel espace de "vie" grouillante !

La façade de la Maison de Danielle Jacqui
La façade de la Maison de Danielle Jacqui

            Sur la façade, alors ? Ah ! La façade de la Maison de Danielle Jacqui ! Couverte du sol au toit de peintures, sculptures collées, sur-collées, peintes… Une merveille que, pendant des années, grimpée sur son échafaudage branlant, elle a modifiée, peaufinée, bichonnée ; la voulant toujours plus belle, toujours plus fraîche… La façade qui fait piler les automobilistes, béer les touristes de passage, par sa recherche de formes, de couleurs, ses harmonies inattendues.

 

Danielle Jacqui peintre
Danielle Jacqui peintre

            Il faut redire qu'il s'agit-là de Danielle Jacqui bâtisseuse : Pas de Danielle Jacqui peintre, sculpteur, brodeuse, écrivain, première organisatrice d'un Festival d'Art singulier… encore qu'il soit illusoire de vouloir séparer ces disciplines.

 

            Tout cela aurait largement rempli la vie de toute artiste, même la plus exigeante ! Mais pas celle de Danielle Jacqui. Car, voilà qu'un jour, elle a décidé d'expérimenter le travail de la terre. Qu'avait-elle découvert là ? Très vite, créer des personnages en terre lui a paru trop limitatif, trop traditionnel -Même si ces nouvelles créatures issues de ses mains, ne l'étaient pas, elles, traditionnelles !-.

Le projet de façade de la gare d'Aubagne
Le projet de façade de la gare d'Aubagne

            Alors, elle a décidé d'investir la façade de la gare d'Aubagne ; la couvrir de sculptures pour la plupart humanoïdes. Et, n'était la levée de boucliers de conservateurs désireux que ce mur crépi reste intact, ce serait aujourd'hui chose faite !

 

            Mais arrête-t-on Danielle Jacqui, lorsqu'elle est sur le sentier de la création ? L'idée lui est alors venue de créer un "Colossal d'Art brut". Une sorte de grand monument suffisamment tarabiscoté pour supprimer toute crainte que puisse subsister le plus petit soupçon de géométrie !

            Bien sûr, chacun pense au Palais idéal du Facteur Cheval. Danielle Jacqui elle-même avoue s'être fait photographier posant avec sous le bras une de ses broderies, devant l'une des dentelles de pierres du célèbre bâtisseur ; et d'avoir pu constater qu'en noir et blanc, la différence était imperceptible. Ce jour-là, est née en l'artiste la certitude que la difficulté majeure de son entreprise serait de ne pas copier ses célèbres prédécesseurs (le facteur Cheval certes, mais aussi Robert Tatin, Niki de Saint-Phalle, même Picassiette ; se privant ainsi de tout "droit" d'utiliser de la vaisselle cassée).

 

            Ceci posé, quelle est la différence essentielle entre le Palais idéal, et le Colossal d'Art brut ? C'est que le Palais idéal était né d'un rêve ; qu'il avait nourri toute une vie, mais que son rôle final devait être de servir de mausolée à son auteur. Tandis que le "Colossal d'Art brut", né d'une colère, a la particularité précieuse de n'avoir aucune autre destination que la beauté. D'ailleurs, tout en Danielle Jacqui est un hymne à la vie : comment imaginer qu'elle envisagerait de construire son tombeau ?

Le stockage de milliers de sculptures (détail)
Le stockage de milliers de sculptures (détail)

            La voilà donc enfermée jour après jour depuis des années, dans la poussière d'un atelier isolé, glacial ou surchauffé selon les saisons ; la proie des pigeons et de leurs vilenies… Mais avançant imperturbablement, sculptant, cuisant, peignant, dorant "humains", monstres, animaux fabuleux… Concevant frontispices, futurs pans de murs… Et, désormais, des milliers de sculptures jonchent le sol, attendant le jour où, l'emplacement idéal enfin trouvé, commencera la réalisation, la concrétisation de cette utopie aujourd'hui horizontale, n'attendant que de s'ériger.

Ainsi, le "Colossal…" a-t-il pris forme dans la tête et le cœur de Danielle Jacqui. Une maquette est née. Porteuse de ce rêve !

Maquettes en plâtre et en fil de fer du Colossal d'Art brut
Maquettes en plâtre et en fil de fer du Colossal d'Art brut

            Mais il ne faudrait pas croire que ce futur monument avance sur un chemin pavé de roses ! A plusieurs reprises, des emplacements ont été proposés… trop près de la ligne de tramway ; enclavé entre salle des fêtes et autres bâtiments sans personnalité… Sans parler des luttes d'intérêts personnels contre lesquelles elle doit faire front. Mais, fidèle, pugnace, ne cédant pas d'un pouce, Danielle Jacqui attend. Car elle veut son "Colossal…" seul, dressé au milieu d'une place où nulle construction n'empêcherait le futur visiteur de le considérer sous tous les angles.

Il faudra parler de Danielle Jacqui brodeuse...("La mariée qui n'a jamais existé")
Il faudra parler de Danielle Jacqui brodeuse...("La mariée qui n'a jamais existé")

            Alors, bien sûr, il faudra un jour re/parler de Danielle Jacqui peintre, brodeuse, écrivain… Mais pour le moment, attendons d'avoir, dans l'amitié et la convivialité, le plaisir d'inaugurer autour d'elle son "Colossal d'Art brut". Et sourions, lorsqu'elle dit vouloir créer un parti politique qui s'intitulerait "le Parti des Utopies réalisables" !

                                                      Jeanine Smolec-Rivais

(Ce texte a été "construit" le 29 juillet 2012, sur la route du retour de la Biennale d'Art singulier d'Aubagne, organisée par… Danielle Jacqui. )

 

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Non contente de "construire" son monument, Danielle Jacqui a étayé et exprimé en 2008, une théorie capable de l'accompagner. Pour elle, l'Art brut est un processus de construction/déconstruction. Et elle a à son actif quarante ans de construction. Elle affirme que l'autodidacte est capable de construire avec autant de talent que l'artiste issu des écoles ; et qu'en construisant quelque chose de colossal, il est plus explicatif qu'en montrant un beau tableau bien encadré sur un mur. Ainsi, les "gens du commun" peuvent-ils inventer des monuments innés, dont la réalisation pourrait être confiée à des techniciens. Subséquemment, l'architecture s'ouvrirait à tout un chacun. Elle dit alors avoir envie de réaliser une œuvre colossale mais qui rebondirait, une œuvre du genre qui laisserait à tous la possibilité d'être un architecte ou un "anarchitecte".

Elle affirmait alors que "les mots ne manquent pas si l'on est inventif" et qu'elle s'était inventé un nom : ORGANuGAMME. Ce mot aurait été créé en hommage à son égérie Frida Kahlo qui, pour elle, était une ORGANuGAMME, parce qu'elle avait non seulement une œuvre de peinture, mais aussi une épopée, une ligne de conduite. Elle était en interaction avec tout ce qui l'entourait, avec son temps. Elle avait une forme d'art qui va jusqu'au bout, qui va à l'aventure. On peut être ORGANuGAMME si, comme Dian Fossey qui s'occupait des gorilles, on va au bout de son aventure. (extraits d'un entretien réalisé en 2008 par Dailymotion, avec Danielle Jacqui.

 

Au cours du XIIe festival de 2012, il semble que Danielle Jacqui ait dramatisé sa définition, puisque, faisant visiter les lieux où elle conserve "en attente" ses milliers de sculptures, elle disait : " ORGANuGAMME", c'est la faculté de celui qui sait se dépasser, aller au-delà de toute imagination, au-delà de lui-même, même s'il doit en mourir". Souhaitons-lui longue vie !

 

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "REFLEXIONS" : du N° 54 de février 1995 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

TEXTE : "DANIELLE JACQUI ET JEANINE RIVAIS" : du N° 58 de septembre 1996 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

ENTRETIEN : "DANIELLE JACQUI et LA MAISON DE "CELLE QUI PEINT"": http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER. ENTRETIEN : "LA FACADE DE LA MAISON DE CELLE QUI PEINT" : DE L'AUTRE COTE DU MUR DECEMBRE 1995.

TEXTE : "QUAND DANIELLE JACQUI CELLE QUI PEINT est aussi CELLE QUI CREE DES POUPEES" : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique ART SINGULIER. et : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER.

Et ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : "LA FACADE DE LA MAISON DE CELLE QUI PEINT": http://jeaninerivais.fr Rubrique ENTRETIENS AVEC DES ARTISTES.