LES POPULATIONS D'IMAGES DE JEAN-PIERRE FAURIE, peintre

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De tous les ateliers grouillants d'enfants et bourdonnants d'activités qu'il a animés, Jean-Pierre Faurie a-t-il conservé l'habitude des foules autour de lui ? Sans doute la réponse est-elle positive ? Du moins, ses peintures lui donnent-elles, aux yeux de quiconque, le bénéfice du doute ! Comment imaginer, en effet, que ces gestes instinctifs, ces compositions, ces couleurs et ces matières tellement élaborées, témoignant de la plus grande liberté créatrice, puissent être survenus sans raison, au cours de sa carrière déjà longue ?

Car la caractéristique absolue de cet artiste, c'est que rien d'anarchique n'émerge de ces œuvres, mais au contraire une grande réflexion architecturale qui consiste à peindre des foules, des populations, tout en créant une ambiance intimiste : un petit monde où chaque personnage s'appuie, se frotte, frôle l'autre... sans que naisse une sensation de  bousculade ; où chacun connaît donc sa place, et y évolue en affinité avec autrui : par exemple, à l'apex d'une toile, un cochon à tête énorme et yeux exorbités, précédé d'un ours tourné vers lui et suivi d'un chien à oreilles/papillon fait la ronde avec des êtres moitié-animaux, moitié-humains, agglutinés, leurs têtes oblongues, leurs nez énormes parfois nez/becs toujours de profil. Ailleurs, un personnage central à bonnet pointu est littéralement compressé entre un agglomérat de têtes dont les corps disparaissent sous d'autres corps qui s'arcboutent sur ce qui pourrait être une grenouille, un animal/homme s'appuyant sur une canne, etc., le reste indéfinissable parce qu'il est impossible de dire de façon certaine que cette jambe appartient à tel être, cette tête à tel autre... Ailleurs encore, des individus humanoïdes tournent, gros yeux, bouches bées, ventres replets et membres courts, qui tête en l'air, qui tête bêche, dans ce qui est peut-être un pré, à en juger par le vert tendre, au long duquel coule une rivière sur laquelle s'orientent en tous sens, des milliers de petites flèches...

Peut-être ! Car en général, Jean-Pierre Faurie ne place ses créatures dans aucun lieu défini, aucun fond signifiant ! Et par ailleurs, aucune précision sociale ni géographique (sauf le pré et la rivière évoqués -et encore, sans absolue certitude-.) Donc, tous sont inclassables et pourtant, ce petit monde est constitué de multiples ethnies, qui cohabitent -l'évidence, cette fois, est bien là- en donnant cette impression de vie paisible et harmonieuse, en concordance avec celles toutes simples des silhouettes des personnages ? La simplicité est, en effet, l’apanage de cette création  où l’artiste ne s’attarde pas à détailler les visages ni à travailler les vêtements/peaux, La plupart sont de plusieurs couleurs qui, en même temps se fondent dans l’ensemble pour former un joli damier polychrome. Tout cela générant une facture naïve avec une pointe d'humour qui semble bien atteindre le summum lorsqu'il propose, au centre du tableau, une fleur ressemblant à celle du pissenlit (au stade où elle "sème à tous vents"). Sommet de l'illusion, car il s'avère qu'elle est formée d'une couronne de petits personnages tapis dans la verdure, concentrique du cœur lui-même composé d'un amalgame d'allochtones, poissons, etc. ! 

Et une fois encore se pose la question : Comment se fait-il que les œuvres descriptives à connotation naïve aient toujours un petit air passéiste ? Est-ce parce que le soin apporté par l’artiste à donner à chaque élément, chaque cohabitation de son tableau sa juste place, le ramène au temps d’autrefois où chaque détail d’une "histoire" prenait naturellement son importance ? Est-ce parce que, s'étant détaché des écoles (dé-)formatrices contemporaines pour se marginaliser dans la mouvance singulière, les choix plastiques du peintre deviennent autant de formes personnalisées, étrangères à l’histoire des styles, des écoles, du temps et des modes… ? Est-ce enfin parce que, contrairement à la chanson, la tendresse et la nostalgie sont bien toujours ce qu’elles étaient ? Quelle que soit la réponse, les œuvres de Jean-Pierre Faurie sont, par leur méticulosité et l’évident plaisir de peindre qu’il manifeste, de véritables poèmes et d’authentiques pages d’ethnographie.

 

Mais alors se bousculent plusieurs questions ou remarques : Pourquoi fait-il parler certaines de ses créatures, inscrivant dans des banderoles de longs monologues ; et d'autres pas ?

Surtout, par quel bout commence-t-il à positionner ses personnages ; puisque les uns font la ronde, d'autres sont alignés, d'autres encore se situent sur plusieurs étages ? Car, si les individus peints investissent toute la toile, fourmillent, comme les généalogies sculptées sur les volets dogons, ils sont généralement petits, juxtaposés en des numérations obsessionnelles, multicolores dans des couleurs douces. Ces têtes, épinglées parfois comme des insectes, reviennent de façon récurrente, l’air toutes semblables au premier coup d’oeil ; mais un examen plus minutieux les révèle toutes différentes, au nez près, aux yeux près, aux bouches et aux pommettes près ; leur seul point commun étant leur allure animalo-humanoïde d'allogènes débarqués depuis un temps plus ou moins long sur la planète Faurie  !

Il faut ensuite en venir à la couleur, déjà deux fois évoquée ! Car Jean-Pierre Faurie sait peindre ses tableaux avec des teintes ocre terriennes,  des roux et des bruns chaleureux, des rouges ocrés et des nuances de bleus allant du plus foncé au plus clair, des mats et des brillants qui, tout naturellement, "attrapent" la lumière, la font miroiter comme un signal vers l’extérieur. Moyennant quoi, l’œil et le coeur se promènent paisiblement sur ces créations, conscients d’un sentiment de calme serein, de la sensation d’être en harmonie avec une autre harmonie : l’équilibre primal du cosmos -un cosmos tout à fait personnel-, exprimé par le talent du peintre. Il faudrait y revenir  à l’infini, en épiloguant sur la relation entre ces êtres. Mais quelle qu’elle soit, tous sont nés de la volonté et de l’amour de l’artiste, mêlés de hasards et d’accidents acceptés voire provoqués. Nés de ses talents de coloriste -encore !- puisque les couleurs et le rapport fond/personnages sont en parfait unisson et saisissante complémentarité. 

Et, ce qui est surprenant,c’est que l’artiste a un sens inné non pas peut-être de la perspective, il n'en a guère besoin ; mais d’une profondeur de champ qui place au premier plan -toujours- ses personnages. Subséquemment, intervient immédiatement le sens inné de la mise en scène de Jean-Pierre Faurie. Car c’est bien là le sommet de son art : savoir, l’air de rien, uniquement avec un trait, rendre évidente dans leur statisme de façade, l’existence de ses personnages. S’imposent alors les gros yeux pleins d’expressivité ; malicieux, penauds, dubitatifs... jamais méchants. Et puis -lorsqu'ils en ont-, de larges oreilles décollées des crânes chauves. La bouche, grande ouverte ; Le nez, déjà évoqué, se promenant à son gré en quelque stratégie faciale inattendue ! Quant aux bras, ils semblent "poser problème" à l’artiste : ils sont à demi-soudés au corps ; parfois atrophiés, presque inexistants ; mais, dans tous les cas ils se terminent par d’énormes mains à quatre ou cinq doigts, largement épanouies. 

 

Ainsi, Jean-Pierre Faurie, boulimique créateur on ne saurait plus authentique, est-il l'auteur  d’une oeuvre essentiellement  picturale, -même s'il fait noter quelques sculptures polychromes qui se glissent au pied de ses tableaux-, originale, tout à fait surprenante ; un travail qui possède une qualité rare : la vie. C’est là le caractère essentiel et indéniable de cette œuvre fourmillante qui montre des personnages statiques et donne néanmoins le sentiment qu’ils sont animés... Il faudrait continuer encore cette description née de la surprise, confirmer la subjectivité de chaque visiteur lui faisant noter la psychologie et le pittoresque de tel ou tel détail plutôt que tel autre autre… 

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT EN DECEMBRE 2019