BERNADETTE LECLERCQ : UNE ARTISTE EN MUTATION.

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madone
madone

Mais qu’est-il donc arrivé à Bernadette Leclercq ? Longtemps, elle a créé des peintures espiègles, racontant de petits épisodes de sa vie ; narrant à sa façon des contes inventés ou revisités au gré de sa fantaisie : des historiettes très colorées, faisant rentrer de la chasse Monsieur le Marquis et son épouse ; groupant les protagonistes compassés d’un mariage, face au "petit oiseau" qui va sortir ; en proposant d’autres dans des attitudes tout à fait incongrues, comme ce père les pieds au mur devant ses enfants, etc. Avec une manière bien à elle d'occuper l'espace au maximum, tout en restant harmonieusement structurée...

Longtemps aussi, elle a créé des sculptures, plus "classiques", des nus souvent ; jouant des formes, des vides et des arrondis, de manière à ce qu’elles captent la lumière ; des œuvres où éclatait la féminité des personnages. Dans l’un et l’autre cas, un travail sur l’instant, spontané ; des sortes de pulsions, qu’elle ne savait pas forcément expliquer… Mais qui charmaient ses visiteurs par leur côté naïf et bon enfant.

la voie de guérison
la voie de guérison

Et voilà que, récemment, elle a quitté ce petit monde gentil, plein d’humour et de tendresse, pour se plonger dans un univers tragique.

Dans lequel peut-être le visiteur peut concevoir une sorte d’étape intermédiaire, un peu dérisoire, de personnages échevelés aux visages hurlants ; couverts de bandelettes d’où pointe une longue corne au sommet de la tête (La voie de la guérison) ; dissimulés sous des masques à bec d’oiseaux tels les Thomas Diafoirus de naguère. Plus loin encore dans la fantasmagorie, des mutants à têtes animalières cornues…

Le tout sur des fonds de rouges maculés de noirs ou de verts glauques ; sur lesquels se détachent d’improbables étoiles/comètes et ruissellent des coulures aléatoires (les uns, rêves d’"ailleurs", antithétiques du personnage aux yeux morts et aux commissures des lèvres affaissées ? Les autres, symboles de son nouvel univers délitescent ?)

vanitas...
vanitas...

Univers surtout, dans lequel Bernadette Leclercq s’est mise à peindre des cris silencieux… s’est lancée dans un "langage" nouveau, où elle se fixe sur les têtes, où elle "s’approche" des visages vivants ou décharnés… : des crânes aux nuances de bleus malades et d’orangés douteux, (Vanitas vanitatum omnia vanitas…) des mâchoires aux dents énormes (La Rage) ! Des moments où elle saisit, ici une bouche pincée, là des yeux lourds, des lèvres carminées (Les rides de la vie… " ; ailleurs, un gros plan sur un front à demi-dissimulé ; des doigts aux ongles rouges crispés autour d’une cigarette (Mystère de la face)… Faciès surchargés de matière qui leur donne l’air d’être purulents… Un travail d’une portée plus violemment intime. Où "l’histoire" immédiatement perçue prend à témoin le visiteur situé en off. Lequel ressent et partage d’emblée l’exacerbation des sentiments de chacun de ces êtres, faite d’inquiétude, d’effarement, de tourments…! (Galère, Croix, Fuite…)

Représentations ; "visions" angoissantes de ces visages qui, probablement lui sont proches ? Où elle dépose et stylise la réalité, pour atteindre une plus grande intensité expressive.

galère
galère

Une démarche nouvelle qui est avant tout un art de l’émotion. Une esthétique paroxysmique infiniment dramatique. Des rêves cauchemaresques où s’imposent des couleurs sombres (Ombre …). Où, désormais, les rouges ne sont plus que les faire-valoir des noirs et des gris (Urbanité, Cœur brisé …). Car tout se passe comme si elle avait inversé les couleurs, mêlé les belles teintes claires de naguère, aux vibrisses, pointillages, filetés… qui prédominent dans les œuvres actuelles et génèrent leur aspect malsain (Le dernier…).

 

fripée
fripée

Des œuvres, en somme, où s’impose une figuration néo-expressionniste. Contexturant, de façon puissante, lignes, couleurs, matières. Témoignant d’une parfaite connaissance de ces visages où, autour des bouches apparaissent des ridules, de ces fronts aux rides profondes, de ces mains aux crêtes fatiguées.... Tous éléments générant une nouvelle vision du monde très subjective. Pessimiste. Où l’artiste tente d’aller au bout de son mal-être… Jusqu’à ce que son esprit se vide, et que soit achevée chaque toile possédant son caractère propre, son message exclusif et si profondément humain.

 

Ce virage tellement drastique et spectaculaire est-il définitif ? Le spectateur retrouvera-t-il un jour une Bernadette Leclercq gaie, primesautière ? En aura-t-elle le désir ? Et si oui, un retour aux sources est-il psychologiquement possible ? Est-il seulement envisageable ? Qui sait !

                                                                                                                                                                                                                              Jeanine Rivais.