LES PERSONNAGES EGYPTISANTS DE DOMINIQUE ALLAIN

***** 

Qu’éprouve l’archéologue lorsque, ayant violé les secrets du tombeau, il se trouve soudain dans une salle où reposent des rangées de soldats gardant le sarcophage du pharaon ? Le même sentiment, assurément, que le visiteur passant devant les œuvres de Dominique Allain. Car son monde est un monde d'hommes. De guerriers. De soldats égyptisants, comme appartenant aux troupes d'un général pharaonique ; tellement réalistes dans leurs costumes multicolores, raides comme des cuirasses, qu’ils pourraient avoir été récemment exhumés des arcanes de la pyramide de Giseh ! Ainsi, en quelques secondes, tout un “périple mental” entraîne-t-il ce visiteur vers des civilisations mythologiques enchevêtrées, entièrement créées par l’imagination et les mains de l’artiste : Œuvres peintes sur fonds non signifiants ; ou de terre, durcies, fendillées, façonnées par le raku. Modelées avec un soin extrême pour que joue la lumière sur chaque rayure, sur chaque croisillon de couleurs. Grand maître d’oeuvre par la géométrie, Dominique Allain lance des lignes obliques, onduleuses parfois, comme pour contrôler la matière, l’insérer dans une norme, l’ordonnancer dans son propre mouvement, lui insuffler sa force et sa discipline intérieure. Mais, pour rigides qu’elles soient, ces lignes partent dans toutes les directions, confortant l’impression de composition ouverte de ses œuvres. 

          Sur la tête, ces "soldats" portent une perruque arrondie au sommet, qui laisse ses retombées flotter de part et d'autre du visage. Filigranes, transparences, cous énormes ou têtes trapues, visages en pointe, voire légèrement arrondis. Bouches volontaires, bées ou entr'ouvertes. Aucune symétrie dans ces anatomies aux épaules inégalement tombantes. Corps le plus souvent tronqués, protégés alors par un pectoral ; voire limités au buste, toujours dépourvus de jambes, donc ; et dotés à peine d'amorces de bras.

   Reste l’omniprésence des yeux. Généralement deux à droite, un à gauche, parfois l'inverse, rarement deux seulement. Au graphisme très particulier rappelant l'œil du dieu faucon Horus, tout en courbes et contre-courbes dont chacun sait qu'il symbolise la vision, la fécondité, l'intégrité physique, la pleine lune, la bonne santé ! 

 

          Parfois, -rarement- l'artiste se glisse dans le monde féminin, supprimant la perruque, laissant les têtes "en cheveux", et couvrant le buste d'une sorte de pèlerine magnifiquement ornée, en polychromies ton sur ton avec les visages. 

          D'autres fois, le sexe de l'individu est difficile à déterminer, parce qu'il porte la couronne blanche masculine, mais révèle l'amorce d'une robe à panier que n'auraient pas rejetée les dames du XVIIIe siècle ! 

       Voilà donc Dominique Allain l'auteur d'une d’une véritable mythologie très personnelle de personnages venus d’un monde où les polychromies explosent comme des soleils et qui, malgré leur raideur, dégagent une grande convivialité ; conçus en ronde-bosse, mais ne présentant jamais au spectateur que le devant de leur corps. Metteur en scène de l’instant privilégié et de la complicité silencieuse. Artiste, offrant au visiteur, un moment de pur plaisir dont subsistera la rémanence, longtemps après qu’il se soit détourné de cet univers ! Une question demeure : est-ce parce que notre époque ne l'intéresse pas que, peintre ou sculpteur, il donne ainsi une connotation passéiste et "venue d'ailleurs" à ses œuvres ? 

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT  EN 2017, SUITE A L'EXPOSITION "ART SINGULIER : LES AMIS DE DANIELLE JACQUI",  EN LA CHAPELLE DE L'OBSERVANCE DE DAGUIGNAN ET L'ESPACE DES CABOCH'ARTS.