LES "HUMAINS" SELON SANDRINE LEPELLETIER, sculptrice

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          Depuis près de deux décennies, Sandrine Lepelletier se confronte à la terre qu'elle semble s'approprier de plus en plus intimement. En effet, au début, la matière lui semblait peu importante, le geste essentiel. Mais peu à peu, les personnages se sont affirmés, sont devenus plus sûrs d'eux-mêmes.

          "Personnages", car quels que soient le sujet, la forme, la taille de l'ensemble ; même s'ils sont dotés de disproportions souvent inattendues et curieuses, ce sont finalement tous des humains ! Et la particularité de cette artiste est de ne jamais réaliser des humains indépendants, des "gens" qui marcheraient, seraient assis, couchés… Tous, et toujours, sont fixés sur des sortes de contenants (des urnes ? des véhicules ?). Seules, des têtes en trois dimensions ont conquis leur indépendance et, perchées sur leur cou d'où se détachent deux minuscules bras perpendiculaires, elles proposent au visiteur leurs bouches bées, leurs grands yeux ronds ou en amande, leurs cheveux plaqués sur le front…

 

          Mais la plupart du temps, donc, dans le plaisir conquis de manipuler l'argile, la déchirer, la trouer, la recomposer, la "patouiller" comme disent souvent les artistes… elle crée ces supports, comme si elle avait le sentiment que ses personnages ne peuvent exister seuls, qu'ils ont besoin d'un étai sur lequel s'appuyer. Une fois, cette "certitude" bien établie, elle s'exprime en des demi-reliefs où le "dit" ne le dispute plus à la matière. Elle réalise de complexes alchimies au cours desquelles des mains énormes au premier plan semblent protéger un individu masculin, bouche hurlante, entre des murs de "briques", devant sa maison lilliputienne ; le palmier peut être plus petit que la tête hirsute ; le visage peut exprimer tour à tour  la surprise, l’angoisse, la colère…  Une "barrière" peut carrément séparer les têtes des anatomies ; un personnage peut sembler couvert de "pustules" qui sont en fait de minuscules allochtones ; des individus peuvent s'emboîter les uns dans les autres ; un ventre peut être percé pour laisser émerger de petits êtres tous différents… Toutes fantaisies générant des jeux de pleins et de vides, de couleurs vives ou mates ; monochromes ou bigarrées de nervures dues au raku… Car Sandrine Lepelletier ne se soucie ni de proportions, ni de réalisme ; l'ensemble donnant une impression de sentiments exacerbés, mélangés de gravité, d'humour peut-être, d'une pointe d'érotisme parfois.  

          Ainsi, à la recherche du corps ou tentant de donner un visage à la terre ; en quête du beau le plus primal, livrant ses œuvres au feu dont elle accepte les actions aléatoires, cette artiste conquiert-elle finalement le visiteur par la force et la sincérité de ses propos, la richesse de sa technique, la parfaite communion entre ses mains, son esprit et la terre, son envie manifeste de modeler la glaise à l’image de ses fantasmes. Et, lorsqu'elle quitte la solitude de son atelier pour soumettre ses approches aux regards étrangers, elle propose finalement une expression unique et protéiforme, déroutante, insolite !

Jeanine RIVAIS

Texte écrit à Dinard, en Août 2018

 

VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : Banne 2013.