LE MONDE COLORE DE JEAN-CLAUDE MELTON, dit LEON

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Bouquet de femmes, ou, L'Orgueil
Bouquet de femmes, ou, L'Orgueil

          Avant toute chose, il faudrait éclaircir une primordiale énigme : Pourquoi Jean-Claude Melton, dont le nom n’a rien de ringard, de ridicule, ni de « bateau », a-t-il choisi de se désigner sous le pseudonyme de « LEON » ? Il ne peut, bien sûr, s’agir du criaillement de ce prétentieux oiseau qui le lance en faisant la roue, dès que s’approche un visiteur ! Alors, est-ce pour la brièveté de l’appellation ? Pour les deux allitérations douces, quasi-féminines, lé-on ? Ou, faut-il conclure, eu égard à la nature de sa création et à l’humour qui la caractérise,  qu’il a choisi cet alias, justement parce qu’il est un peu suranné, un peu ridicule, et tout à fait « bateau » ? Las ! Il faudra au spectateur qui avait échafaudé d’aussi romanesques hypothèses, se résigner à la vérité ! « Léon » est un sobriquet hérité de l’enfance ! Et sauvegardé tel un ami paradoxal ; une seconde identité résolument incontournable !

Rarement, d’ailleurs, pseudonyme aura suscité tant d’idées préconçues ! En raison de sa connotation vieillotte, dire « Léon », c’est évoquer un petit bonhomme autodidacte, ratatiné, modestement confiné dans son coin ; exploitant avec une véritable boulimie ses trouvailles de pauvre, des boîtes à œufs en mauvais carton, pensez donc ! Or, rien de tel ! Léon Le Vrai est, paraît-il, bardé de diplômes et de responsabilités. Et, de visu, il est bardé aussi de biscotos bronzés, outrancièrement moulés dans des tee-shirts noirs ! Il faut donc laisser à la porte les a priori, et s’atteler à l’œuvre !  Laquelle n’est pas non plus exempte de paradoxes. Et commence comme un conte :

Cinq filles dans le vent
Cinq filles dans le vent

          « Il était une fois un artiste surnommé Léon, à la recherche de lui-même. Un jour, il tomba, émerveillé, en arrêt devant un œuf réalisé par un ami. Conscient d’être trop impécunieux pour se l’offrir, il décida avec sagesse qu’il lui « fallait » en créer un ! Saisissant une boîte à œufs qui traînait par là, Léon découpa, colla, peignit, ornementa… inconscient pendant tout ce temps d’amorcer avec ce matériau de consommation courante et sans attrait,  une très pérenne histoire d’amour! »

           Depuis lors, jamais ne s’est démentie la relation artiste/boîte à œufs, que Léon décline à tous les modes. Au fil des années, il a mis au jour une véritable saga de personnages « boîtaoeuphiles », aux têtes démesurées sur des corps minuscules.

          Raboteuses, taillées « à coup de serpe », ces têtes sont l’élément vital de ces petits êtres ; seules à émerger des amas grégaires que constituent les corps. Lesquels, apparemment, n’ont guère d’autre fonction que de les supporter. Alors, « Têtes Pensantes », les personnages de Léon ? Il semble bien que oui ! Braquant à l’horizon leurs yeux exorbités ! Leurs bouches béant à qui mieux mieux ! Partout furetant, si audacieuses, si intrépides, voire tellement subversives qu’il a dû enfermer tout ce petit monde dans des boîtes, pour éviter  de retrouver cassés leurs gros nez épatés terminés en losanges ! 

La colère
La colère

          Ainsi sont nés de multiples protagonistes : cyclistes arc-boutés sur leurs vélos antédiluviens ; basketteuses de la « Chorale de Roanne », publicitaires des biscuits Lu, famille verte, femmes sur le pied de guerre à l’heure des soldes des grands magasins… Tiens, Léon transposerait-il avec ses boîtes humanoïdes, de menus moments de son quotidien ? Il sait, en tout cas, rendre avec talent la curiosité, la convivialité, la hargne… de ces gens assignés à résidence dans leurs habitacles. Et c’est là le premier paradoxe. Car, s’ils y sont tassés comme des herbes drues, si leurs expressions incisives sont interactives, néanmoins ces personnages ne se regardent jamais ! Tous et toujours regardent devant eux ! 

          Un autre paradoxe –celui qui, assurément, génère le charme de l’œuvre de Léon- tient aux libertés qu’il prend avec la perspective. Autodidacte, chacune de ses réalisations est affaire de doigté, jamais d’apprentissage. Et le résultat est prodigieux ! Lorsque le spectateur se rend à l’ « EEVIRRA » de la course cycliste, et constate que celle-ci est au bord et face à la mer, il se trouve confronté à un terrible dilemme : les coureurs arriveront-ils au point de départ ? Ou, pour être orthodoxes, termineront-ils l’étape en passant  « dans » l’eau ? De même, comment les gourmands que les clients attablés voient le nez collé à la vitre de la « EIRESSITAP », peuvent-ils chaparder les gâteaux ou les bonbons dans le bocal, puisqu’ils sont à l’extérieur du magasin ? De ces impossibilités, l’artiste n’a cure ! Il sait bien qu’elles lui permettent de ranimer l’odeur de la vieille épicerie d’antan et la bouffée de nostalgie qu’elle suscite ; que le spectateur applaudira à deux mains à l’issue invraisemblable de la course cycliste, que chaque spectateur y puisera en somme son brin d’humanité…

La chorale
La chorale

          D’autant que ces situations inexécutables l’amènent à un troisième paradoxe : les personnages au nez collé à la vitrine de la pâtisserie, les basketteuses posant pour la photo, les clientes des grands magasins, les cyclistes caracolant… regardent tous devant eux, comme il a été dit plus haut… Mais que regardent-ils ? Puisque presque toujours, ils agissent hors de tout contexte géographique, temporel ou social, ils regardent les spectateurs, pardi ; ces pauvres humains enfermés derrière des vitres ou des grilles. Et ce qu’ils voient les surprend apparemment si fort, qu’ils en sont bouche bée et que, d’étonnement, les yeux leur sortent de la tête ! Et la boucle est bouclée…

          Pas tout à fait, pourtant ! Car, dans ce jeu du regardeur regardé ; derrière cet humour exsudant de chaque scène ; derrière ces visages bon enfant ; derrière ces scènes sans chichis, il ne faudrait pas oublier l’artiste. Ni croire que, parce qu’il travaille sur un matériau banal et ne parle que d’un non moins banal quotidien, ses interventions picturales soient approximatives ! Car il n’en est rien. Coloriste jusqu’au bout du pinceau, osant les teintes les plus vives, les contrastes les plus péremptoires, le peintre mignote la création du sculpteur : sur ces surfaces cartonnées biscornues, sur cette mousse insufflée dans les interstices et aléatoirement durcie, chaque maillot est longuement cousu, liseré, boutonné ; chaque réticule surpiqué à l’envi ; chaque chien richement empoilé ; chaque main soigneusement manucurée… 

          Et ne subsiste alors aucun paradoxe : dynamisme des œuvres ; agrément des couleurs ; humour et sourire se conjuguent en complète harmonie, pour faire du monde de Léon de grands moments de plaisir !

Jeanine RIVAIS

 

La luxure
La luxure