LE MONDE MYSTIQUE ET EXOTIQUE DE TANIA DE MAYA PEDROSA.

 

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            Née dans une famille brésilienne bourgeoise, Tania Pedrosa a reçu la traditionnelle éducation qui consiste à préparer une jeune fille à épouser un homme riche, avoir des enfants, tenir brillamment son salon, respecter la religion… Mais très vite, elle est entrée en rébellion contre ce carcan. En épousant un homme politiquement très engagé, marxiste de surcroît. En s’intéressant aux coutumes du petit peuple, et constituant, pour affirmer son admiration, une magnifique collection de peintures, objets, sculptures populaires. En s’ennuyant si fort aux cours de dessin auxquels on l’avait astreinte qu’elle les a très vite quittés, si bien qu’elle peut être considérée comme une authentique artiste autodidacte. Le seul point sur lequel elle ne s’est pas révoltée est la religion, car elle croit très fort en Dieu et surtout en la Vierge. Pourtant, là encore, bien que d’obédience catholique, elle a élargi son point de vue, en est venue à étudier et respecter toutes les croyances, même celles que l’on a l’habitude de considérer comme païennes !

            Ce sont tous ces éléments qui entrent en jeu dans son œuvre picturale. Hymne à la vie et à la tradition religieuses, chaque toile est une sorte d’ex-voto (d’ailleurs, ce mot revient souvent dans la liturgie picturale qu’elle a instaurée) où se retrouvent, transcendés, les protagonistes d’un véritable bouillonnement mystique.

            Car il ne s’agit pas pour elle de « décrire » le « village » sauf à l’évoquer à peine sur quelques toiles, par une amorce de maisons, d’églises, ou de minuscules bateaux : mais pas de paysans au labour ; pas de marchands dans leur boutique ni de ménagères faisant leurs courses ; pas d’enfants jouant dans la rue… En fait, aucun contexte social : Tania Pedrosa a si bien intégré sa peinture à l’environnement que celui-ci disparaît ; se fond dans les symboles des conceptions religieuses et l’esprit enthousiaste qui anime tout son petit monde ; n’est plus qu’une notion implicite que chaque spectateur va « recréer » au gré de sa subjectivité. L’unique propos de son œuvre est de placer l’homme, plus encore la communauté, face à une spiritualité spontanée et exempte de tout questionnement.

            Pour ce faire, elle met en scène de façon récurrente les individus issus de ses propres images d’Epinal : Chaque « village » --puisqu’il faut bien malgré tout employer ce mot—est placé sous les auspices de la Vierge à la robe richement brodée, debout dans une auréole de fleurs ou de lumière (Dévotion populaire). C’est un microcosme où tout le monde est en perpétuelle célébration : Croix, étendards et oriflammes accompagnent depuis la porte de la chapelle jusqu’au sanctuaire, le cortège nuptial qui va quémander pour les nouveaux époux (Repas de noces), la protection du saint. Une procession de fidèles passe devant les yeux du spectateur, bras levés en invocation ou chargés d’offrandes, prosternés, rampant sur les genoux, visages épanouis par l’évident bonheur d’aller prier leur protecteur : Souvent, il s’agit de Padre Cicero, très vénéré dans le Nordeste ; d’autres fois de Sao Joào, de reconnaissance plus locale… Au terme du parcours, l’un ou l’autre apparaît, reconnaissable à sa soutane noire, nimbé de lumière et de fleurs. La foule, à tour de rôle lui baise les pieds, le touche de sa croix, l’admire à grandes litanies ou au contraire dans un pieux silence. Tania Pedrosa connaît bien ce cérémonial, mais sur sa toile, la différence est insensible avec celui évoqué à côté, qui montre l’adoration des païens pour quelque immense totem dressé à l’entrée du même invisible village ; ou avec celui du culte vaudou, plus mystérieux, pratiqué à l’égard de quelque minuscule Loa qui, subrepticement se serait glissé sur une bannière**…. Bref, il s’agit chaque fois pour la créatrice, et quel qu’en soit le récipiendaire, de traduire le plus objectivement possible, la ferveur religieuse, en une conception structurelle à la fois moderne et traditionnelle des rites indigènes et populaires.

            Tout cela baigné d’une lumière orange, douce et laiteuse, telle que la décrivent les miraculés lorsqu’ils ont le sentiment de revenir de l’au-delà ! Cette couleur omniprésente comme un encouragement à la dévotion, confère en même temps aux œuvres de l’artiste, un parfum d’ailleurs, une connotation exotique. Auxquels s’ajoute une impression de scintillement provoqué par des milliers de mouchetures, oiseaux, papillons multicolores : ces minuscules taches ponctuent les intervalles entre les longues théories de gens vêtus d’habits que les femmes ont mis une année à broder. Ils gravillonnent les chemins où progresse cette foule. Il émaillent les prairies constellées de fleurs…

            Fleurs, pointillés, absence de perspective, récursivité de bribes de prières manuscrites dansant au-dessus des têtes…: cette manière obsessionnelle de décorer chaque tableau, de le rendre lumineux, rapproche Tania Pedrosa de l’Art brut. Pourtant, elle appartient incontestablement à l’Art naïf… Au fond, qu’importe la mouvance : elle est l’auteur d’une œuvre puissamment spirituelle, chaleureuse, personnelle ; précieux témoignage ethnographique de la vie cultuelle au Brésil.

                                                                   Jeanine Rivais.

**(et dont l’esprit, d’ailleurs, est si souvent assimilé aux saints de la religion catholique)

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 72 DE FEVRIER 2003 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA