LES SURPRENANTES "PRESENCES" DE JOËL BAST, sculpteur

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Depuis bien des années, Joël Bast bourlingue dans sa vieille caravane cahotante, qui a parfois pris feu, détruisant, hélas, une partie de ses personnages faits de papiers encollés, peints, parfois de vêtements "réels", plâtrés par-dessus l'anatomie. Car cet artiste prolifique emmène de festivals –celui de Banne, en particulier- en jardins… ses étranges et surprenantes créatures. Qu'il appelle ses "Présences".

 

Et pour être présentes, elles sont présentes ! A tel point que de loin (et même parfois faut-il s'approcher de très près), il est impossible de les distinguer des "habitants", qu'il les poste en grande conversation au milieu des boulistes, un vilain roquet aboyant après elles ; au bord d'un bassin ; perchées sur le rebord d'une toiture ; jouant de la guitare sur une place ; se promenant dans les allées d'un parc… On pourrait à l'infini situer ces sosies car le sculpteur a l'art les faire vivre, leur donner des postures plus vraies que vraies. D'autant que chaque soir, il leur fait réintégrer sa roulotte, pour les placer le lendemain matin ailleurs, dans d'autres relations, d'autres contextes.

Grandeur nature, parfois plus grandes que leur auteur, maigres, girondes ou même grosses, droites ou voûtées, elles représentent le petit peuple tantôt vêtu en femme allant au marché avec son cabas, ou coiffée d'un bonnet phrygien orné d'une cocarde à l'occasion d'une coupe de football ; une valise surannée dans une main, de l'autre un bouquet et un enfant (ceux-ci sont rares dans la création de Joël Bast)… Petit gilet et lunettes noires en yé-yé de naguère ; moustache drue et costume noir promenant sa pendule en ordonnance de général de l'armée militaire ; dandy en costume blanc flirtant avec les passantes ! Etc. Présentant toujours un petit aspect rétro, comme si elles appartenaient à une époque révolue dans laquelle leur géniteur se serait senti plus à l'aise qu'aujourd'hui ! Cabossées, jamais parfaites, jamais fignolées comme s'il voulait laisser la trace du passage du temps (peut-être suggérer les cabosses morales, physiques vécues par ses créatures ? Qui sait ? )

Figures seules. Mais une main en visière, un bras tendu, une jambe en avant suggèrent qu'elles sont toutes prêtes à composer avec d'autres, tailler une bavette sur la place, médire un peu du voisin peut-être… Jamais conçues "dans" un environnement. Celui-ci étant la "réalité" dans laquelle il les place, totalement aléatoire, donc. Visages parfois gais, dubitatifs, exclamatifs… jamais tristes. Ces individus vivent leur vie avec la sérénité et l'humour qui caractérisent l'artiste.

 

Et c'est bien cette chaîne d'inépuisables déclinaisons de la vie humaine ; la réitération de ces personnages quotidiens, démodés, tellement "vifs" ; ces créations bon-enfants, sans prétention, mais faites avec amour, qui créent l'humour et font que, d'emblée, le visiteur amusé de s'être laissé prendre, s'approche, commente, s'intègre à la personnalité de l'un ou de l'autre, se fait immortaliser à ses côtés. 

Car, finalement, Joël Bast est l'auteur d'une histoire de vie devenue "son" histoire ; conçue, en un long travail reconnaissable entre tous,  inénarrable et incontournable, artistique et sociologique.

             Jeanine Rivais

Janvier 2016

 

Joël Bast emportant l'une de ses créations
Joël Bast emportant l'une de ses créations