LES HUIS CLOS DE BRUNO GUEDEL ,peintre 

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          Depuis longtemps, Bruno Guédel explore les tentatives de prise de territoire de ses personnages picturaux.

          D’abord, il les a déclinées en des oeuvres sur bois : Parti de fonds en relief faits d’agglomérats ou de projections de plâtre, l’artiste jouait avec ces formes aléatoires ; s’en servait pour essayer d’emmener ses créations dans une possible troisième dimension ; en ressentait la vanité et revenait à l’à-plat ; se tirait d’embarras en générant leur enfermement par des ajouts concentriques d’épaisses couches de peintures figurant des végétaux surabondants dont l’omniprésence était telle que le visiteur en avait la lecture avant même d’avoir la vision des personnages. Seuls, deux au plus, tous humains, ces individus étaient là, tordus, contorsionnés, presque réalistes, cernés de fleurs ou de piquants, dans des équilibres comparables à l’ambivalence de la vie. Coincés à l’intérieur de ces “cadres”, ils semblaient repousser des pieds, des épaules, comme s’ils étaient en train d’étouffer, ces cercles claustrateurs.

Bruno Guédel : Encres
Bruno Guédel : Encres

          Oeuvres d’exploration, de fouissage, aux symbolismes souvent forts, générés par des motifs très décoratifs qui ont amené Bruno Guédel à les trouver trop complaisants, et l’ont conduit vers des travaux plus petits, à l’encre sur papier. Ses groupes, alors, se sont faits grappes de personnages serrés les uns contre les autres, “sertis” comme dans des “écrins” très ouvragés, précieux comme des niellures d’orfèvrerie. A la fois incapables de communiquer, et indissociables comme les membres d’une famille.

          Bruno Guédel est d’ailleurs très attaché à l’idée de famille, de tribu apparaissant sous ses pinceaux ; dont l’homogénéité, l’intensité évocatrice seraient capables de le protéger, atténuer ses angoisses. Car sa quête, là encore, est avant tout un travail sur l’enfermement de l’individu. Mais à ce stade de sa création, les situations respectives des personnages suggèrent que soit relativisée leur solitude, par la proximité physique des autres. Aussi, bien que psychologiquement très violente, cette recherche d’une relation muette, difficile, semble-t-elle apporter au peintre, un relatif épanouissement.

          Conforté par ce changement de mentalité, Bruno Guédel a récemment agrandi le format de ses oeuvres : Néanmoins, pas aussi libéré sans doute, qu’il le croyait, de son besoin de repères “géographiques” formels -peut-être aussi pour s’éviter l’angoisse de la page blanche- il a éprouvé la nécessité de retrouver des fonds instables et aléatoires : il a commencé, pour ce- faire, à travailler sur des affiches récupérées au long des rues, dont il exploite les déchirures, les plis insolites, etc. Sur ces accidents, il compose de nouveaux huis-clos. Mais ses individus sont dorénavant placés dans des positions souvent érotiques, nageant dans des fonds d’ocres glauques, comme empêtrés dans des algues ou les mobilités infinies de fonds sous-marins ! De sorte que ce nouvel aspect physique, qui pourrait être libératoire et n’est que voué à l’échec, semble une nouvelle forme de torture, une nouvelle façon pour l’artiste de juguler ses créatures !

          Finalement, chacune de ces trois étapes de l’avancée picturale de Bruno Guédel est porteuse d’une violence psychologique analogue, d’une même introversion infiniment dense : trois volets d’un unique mal-être persistant, générant par tant de beauté malsaine, tant de volonté masochiste de contrarier toute liberté, une gêne quasi-physique chez le spectateur. Celui-ci se prend alors à rêver que l’artiste puisse un jour accorder un droit de vie à ses personnages, en leur ouvrant une toute petite fenêtre, dans son univers si terriblement hermétique !

JEANINE RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1997 ET PUBLIE DANS LE N° 61 DE NOVEMBRE 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.