HOMMAGE A GILLES CORMERY

(1950-1999)

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Pourquoi la vie fut-elle si chienne envers le jeune Gilles Cormery qui, pourtant, n’était que douceur, patience et talent ? N’est-ce pas, justement, à cause de ces traits de caractère. Car, de cette douceur et cette patience, le père abusa. Quant au talent du jeune homme, sa volonté, son besoin irréfragable de peindre, cet homme autoritaire ne trouva jamais de mots assez durs pour en récuser la valeur !

            Il faut dire que, sur cet unique point, Gilles Cormery opposa à son père une résistance, passive certes, mais de chaque instant. Peignant sur des cartons à bouteilles parce qu’il était totalement démuni ; recto verso lorsqu’il était si fatigué qu’il ne pouvait sortir en récupérer d’autres ; avec les doigts faute de pinceaux, des œuvres monochromes, au mieux bicolores lorsqu’il ne pouvait même plus acheter de peintures. A ce régime, lui l’autodidacte absolu ; le rejeté de tous les bien-pensants qui l’auraient toléré s’il avait peint des bouquets de fleurs ; le refusé de toutes les galeries, produisit malgré tout, des milliers d’œuvres qu’à sa mort, son père, hostile et méprisant jusqu’au bout, décida de jeter à la poubelle. Heureusement, elles furent, de justesse, sauvées par un membre de la famille ! Mais il était trop tard pour la belle exposition dont Gilles Cormery avait tant rêvé. La mort passa par là, l’abattant dans un caniveau.

            N’était qu’au cours  de sa scolarité révoltée, l’adolescent avait pris goût à des lectures personnelles et acquis au fil des années, une sidérante culture, ce peintre à l’imaginaire floribond, semblerait tout droit issu des créateurs de l’"Art brut" découverts par Dubuffet. Mais son cœur écorché, son infinie souffrance furent bien les leurs. Comme eux, tout son être s’étala, pendant des années, sur les supports les plus inattendus. Comme eux, il avança vers sa mort en ayant conscience de sa situation misérable et marginale. En attestent les multiples titres reprenant, ressassant le même thème : "Ma solitude tant aimée, mon errance fidèle", "Exposer l’artiste ? Du balai !"

            N’était qu’au cours  de sa scolarité révoltée, l’adolescent avait pris goût à des lectures personnelles et acquis au fil des années, une sidérante culture, ce peintre à l’imaginaire floribond, semblerait tout droit issu des créateurs de l’"Art brut" découverts par Dubuffet. Mais son cœur écorché, son infinie souffrance furent bien les leurs. Comme eux, tout son être s’étala, pendant des années, sur les supports les plus inattendus. Comme eux, il avança vers sa mort en ayant conscience de sa situation misérable et marginale. En attestent les multiples titres reprenant, ressassant le même thème : "Ma solitude tant aimée, mon errance fidèle", "Exposer l’artiste ? Du balai !"

            Il faut dire qu’aucune règle, aucune contrainte autre que monétaire, n’influença jamais la création de Gilles Cormery. Et, malgré cette solitude, malgré les avanies, les amertumes sans doute et les craintes, un thème y fut récursif, aussi bien dans les dessins que dans les peintures : l’humain, la femme en particulier. Œuvres aussi vivantes, chargées d’amour aujourd’hui, que lorsqu’il les portait sur le pauvre matériau, pour s’assurer par ce témoignage qu’il était bien vivant.

Les dessins de Gilles Cormery, très gestuels, linéarisés à la gouache, ressemblent à des peintures dont l’artiste n’aurait exprimé que les contours, sans leur conférer plus ample densité. Tous proposent des scènes du quotidien. Mais un quotidien sans contexte, comme s’il lui fallait extraire son sujet de la laideur du monde. Ce sujet récurrent, les bars, qu’il fréquentait assidûment, lui fournit très souvent l’occasion de dessiner des gens penchés les uns vers les autres  ("Les amoureux sont seuls au monde" ; "C’est l’hiver"…). Bars encore affichant leurs enseignes à l’envers, pour bien prouver qu’il était " à l’intérieur ", qu’il faisait partie de "ce" monde chaleureux. Cafés, bistrots… avec toutes les nuances imaginables, depuis les tablées évoquées à l’instant, où devisent tranquillement des gens de bonne compagnie ; jusqu’à des intérieurs de lupanars où, en off, eux, car ils font partie du monde hostile, les clients se font servir par des femmes nues ("Fais-la boire"…) ! D’autres "demoiselles" sont allongées sur le piano ; ou évoluent sur une scène, dans un décor pornographique, proposant d’un côté un sexe béant, de l’autre un énorme phallus ! A l’"extérieur", dans le monde sans complicité, un jeune marin en bordée solitaire, chaloupe le long des quais, une "Sœur Angèle…" aide les miséreux, etc. Tout se passe comme si, indifférent à l’environnement, chacun se sentait libre de ses actes ("Mondaine chiant", "Princesse jambes ouvertes d’un temps révolu").  Pas de psychologie, pourtant, pas d’état d’âme : des ébauches parfois ; le plus souvent, un simple constat, comme le ferait une photographie.

            Les peintures, par contre, dans leurs diverses propositions, sont très expressionnistes : Les unes sont peintes à larges traits passés couche à couche tout en nuances formant un fond non signifiant. Il est permis de s’interroger sur la nature de ce fond qui, géographiquement occupe une place importante : S’agit-il, à la manière des poètes, d’une marge chargée de concentrer le "dit" de l’artiste ? Est-ce une protection pour le personnage enfoui en ce centre ? Est-ce au contraire une façon de l’étouffer, en l’enserrant, empêchant toute communication avec le monde extérieur ? Aucune clef définitive ne fut donnée par l’artiste ; ni n’est donnée rétrospectivement à l’examen de ses œuvres, même s’il est vraisemblable que la troisième proposition soit la bonne. Quoi qu’il en soit, le personnage est là, regardant les yeux dans les yeux le visiteur hors champ ; un individu à la tête hypertrophiée, au corps quasi-inexistant, aux jambes courtes et cagneuses, sorte de Toulouse-Lautrec revisité par l’artiste ; ou Goulue hors de toute connotation de temps, dégingandée, lançant aux quatre vents de son huis clos, ses gambettes moulées dans des bas noirs…

            Dans d’autres oeuvres, au contraire, pas le moindre espace libre, une ambiance lourde et capiteuse de lieux mal famés : Ici, fleur vénéneuse au milieu d’énormes plantes exotiques à semblable connotation, trône une femme, une Vahiné peut-être, à cause de ses longs cheveux noirs entrelacés de couronnes, yeux clos et lèvres lippues d’un rouge écarlate, qui exhibe au tout-venant son sexe vermillon explosant en étincelles bleues. Il semble que Gilles Cormery ait eu beaucoup de succès auprès des femmes, et que les innombrables tableaux où il les a peintes constituent finalement un hommage multiforme à leur beauté. Toujours nues. De dos parfois, hanches plantureuses et fesses callipyges ("Femme fleur rose", "Femme fleur bleue"…). Assises en rond, devisant sans gêne. Exhibant leurs charmes jusqu’à ce que, de langueur, elles s’endorment sur la plage… Couples copulant au premier plan… Un monde érotique, donc, mais de simple monstration, sans vergogne ni arrogance.

Et puis, un thème dont le poids, sans doute, pesa trop lourd sur ses épaules parce qu’il n’eut personne auprès de qui l’exprimer, en expurger la violence psychologique, l’"Inceste", qu’il évoqua souvent dans ses œuvres. Enfin, compagne sans doute effrayante, l’épiant sans cesse au long de sa triste existence, la mort ("L’Ange de la Mort", "Aimez-vous les uns les autres"…).

            La mort ! Elle fut omniprésente dans la vie de Gilles Cormery. Sans doute est-ce sa constance sous-jacente qui amena l’artiste vers des tableaux où il voulait l’ignorer ? ("Le Jardin des Délices", "Le petit Jardin des Délices"…) : Lieux idylliques, paradis peut-être, dans lesquels les habitants nus forment de petits agglomérats amoureux, chacun enveloppé d’une sorte de cocon de couleur différente de celle du fond, isolant chaque groupe dans son monde de bonheur. Du moins, les attitudes de ces êtres minuscules, les sinuosités de leurs corps, suggèrent-elles chaque fois, volupté et bien-être. Antithèses, en tout cas, des œuvres nombreuses au cours desquelles il exprima désespérément sa solitude.

            Finalement, lorsqu’il peignit à cœur que veux-tu l’amour physique, et peut-être l’Amour ; lorsqu’il finit par comprendre que jamais la vie ne lui garderait celui des femmes qui l’entouraient et partageaient ses paradis artificiels ; lorsqu’il créa son ultime et immense toile qui pourrait s’intituler "Le Paradis", Gilles Cormery avait peut-être déjà, psychologiquement, franchi le Rubicon ? Et la mort ne lui fut donc pas une surprise ! Souhaitons que dans l’"ailleurs" où il est parti, il ait trouvé le bonheur qu’il a tant cherché ; et le repos qui l’a si longtemps fui !

                         Jeanine Rivais.                        

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2009.                              

           

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L'affiche de l'exposition
L'affiche de l'exposition

En 2012, une magnifique exposition a été organisée au Château de Tours, par la sœur de l'artiste défunt, sous l'égide de M. Favrault, Conservateur du Musée qui a intelligemment et avec beaucoup de sensibilité, installé les œuvres sur les cimaises du Musée.

Un catalogue raisonné en dix volumes de l'œuvre de Gilles Cormery, paraîtra courant 2013.