LE MONDE FANTASMAGORIQUE D' IRMA DE WITTE, peintre.

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Qui s'est penché sur son berceau ? Une bonne fée ? Une gentille sorcière ? Une amie talentueuse ? Une artiste bourrée de talent et créant hors des sentiers battus ? Quelle que soit la réponse, Irma de Witte en est venue, adulte et autodidacte, à peindre des sortes de "contes" pleins de rêve, de fantastique, de merveilleux ! Des œuvres sereines, possédant une évidence tranquille qui ajoute au charme, à la puissance et la poésie de ses créations.

 

            Le décor –autant que le spectateur puisse en juger, vu la surabondance des éléments qui, au final, viennent le peupler- est toujours "campagnard". Mais cette définition est aléatoire : l'artiste n'a jamais pu se libérer de la peur de la page blanche, et passe sur la sienne des peintures acryliques très diluées qui, en séchant, vont générer des formes. En les "reprenant", elle va "trouver" ici une rivière serpentant du haut en bas (!) de la toile ; là un bosquet, des prairies, quelques amorces de bâtiments… qui, vont en créer d'autres, mentales, cette fois ! Car elle va commencer à organiser (que ce mot convient mal vu l'anarchie finale des situations !) ses "apparitions" en partant du centre, comme d'un bouquet, et "brodant" tous les êtres qui vont rendre vivant ce tableau : Un paysan en train de répandre de la bouillie bordelaise, des enfants jouant au ballon, des baigneurs dans la rivière évoquée plus haut… Tout cela minuscule, -car il faudra bien loger tout le monde-. Sans souci de perspective. Un joyeux méli-mélo, en somme, où si attentif et tendre est le pinceau de l’artiste que chaque scène semble se dérouler dans une sorte d’écrin douillet ; bien calé dans un décor à sa mesure ; bon-enfant, cordial, chaleureux, convivial…

            Faut-il en conclure qu'Irma De Witte peint des scènes bien quotidiennes et sages ? Grave erreur ! Car là, soudain, immense et dominant ce petit monde paisible, surgit un énorme dinosaure à la tête terminée en bec d'oiseau, entre raie aux yeux exorbités et baleine surfant sur l'eau brune. Il domine une paysanne à la coiffe blanche, un rat au ventre rouge surdimensionné, un cavalier au grand galop…Ailleurs, un coq folklorique à la crête rouge vif impose sa prestance au milieu de chats aux aguets et d'oiseaux sur leurs branches (ah ! les chats et les oiseaux ! si multiples et si divers !)... Voilà donc ce petit monde originel transporté dans le temps –lui qui n'est d'aucun temps-, dans l'espace alors qu'en raison de la pléthore de détails, ne subsiste aucune indication géographique !

 

A partir de là, et quelles que soient les variantes générées par des décennies de recherche, il est des récurrences qui corroborent l'originalité d'Irma de Witte : D'abord, il faut parler du talent de coloriste de cette artiste qui affectionne les teintes chaudes ; et, grâce à la conjonction de couleurs pures sur couleurs pures, donne à ses oeuvres une notion si jeune que le visiteur l'imagine très bien allant d'un passage de conte à un autre passage ; d'une petite histoire vécue à une petite histoire imaginaire ; d'une image réaliste à une autre totalement fantasmagorique. Sans vouloir que les éléments soient liés, de façon à ce que chaque visiteur puisse "vivre" les tableaux au gré de sa subjectivité.

Autres récurrences, ces compositions à la fois complexes et harmonieuses ; cette réalité remodelée à l’aune de son imaginaire, qui permettent à la peintre de générer un équilibre facilité par la grande maîtrise picturale acquise au fil des œuvres. Elles amènent le visiteur à s'interroger : Est-ce parce qu'elle n'a pas "appris" à dessiner dans les écoles dé/formatrices contemporaines, que les incertitudes plastiques d'Irma de Witte deviennent autant de petites formes personnalisées, étrangères à l’histoire des styles, des écoles, du temps et des modes… Elles l'amènent enfin à se demander où situer cette créatrice, une fois précisé qu'elle est résolument hors‑les‑normes : Est‑elle "naïve" ? Est‑elle "brute" ? Ou tout simplement insouciante d'une quelconque classification ?

"Naïve", elle l'est, certes, par la préoccupation fantasmagorique que, sous leurs apparents vagabondages, expriment ses peintures. Naïve, elle le serait plutôt à cause de la "simplicité" des contours qui la ramènent par leur véritable science du trait, à ses origines, à ses états d'esprit d'autrefois, en tout cas à la sincérité des productions enfantines ! Naïve encore, et si ludique, par son habitude d'étaler ses rêves.

Proche de l'Art brut, elle l'est aussi, par la profonde implication psychologique qui se dégage de ses oeuvres, la créativité instinctive perceptible dans chacune d'elles ! Etant elle-même riche et multiple, primesautière et intransigeante mais susceptible de la plus grande gentillesse et convivialité, elle se sert en somme de ses petites créatures, tel un complément de ses qualités, pour en faire les témoins si vivants et ensoleillés de sa joie de vivre. Et finalement, -à son corps défendant peut-être-, chaque tableau EST une narration : une histoire fantasmagorique, mythologique, ethnographique, littéraire, voire cinématographique ; profondément ludique sous ses dehors sérieux.

 

Tout cela faisant des créations d'Irma de Witte une œuvre originale comme il a déjà été dit, poétique et jubilatoire, qui émoustille l’imaginaire et fait rêver le spectateur en le ramenant, lui aussi, au temps heureux de son enfance.

                                                                       Jeanine Smolec-Rivais