SI AFFREUSEMENT BELLES, LES SORCIERES de

Catherine BOULOGNE-ROUSSEL, sculptrice

*****

          Mandragore... brouet de crapaud... nocturnes bacchanales... abracadabra... Tout cela est dans l'esprit des gens dès qu’il est question de sorcières! Et les histoires de sorcellerie qui courent les bocages et les ondes télévisuelles contribuent largement à maintenir cette réputation. C’est pourquoi, lorsque, au détour d’une exposition, vous vous trouverez nez à nez avec celles de Catherine Boulogne-Roussel, attendez-vous à un choc ! Pendant longtemps, l'artiste a réalisé avec des enfants, sur des thèmes donnés, des marionnettes. Un jour, elle a commencé à écrire de petits contes, introduire dans le cœur d’une laitue ou le pied d’un champignon, les têtes de ses marionnettes. Et parce qu’elle apprécie les délires de la science-fiction et des contes fantastiques, surtout parce qu’elle a de l’humour, elle en est venue aux sorcières! Sans doute a-t-elle, dès ce moment-là, développé la tendresse qui rend aujourd’hui tellement jubilatoires ses merveilles de laideur!

          Car, comment ne pas rire de ces petites personnes resplendissantes de vie, de facétie ; de leurs pommettes saillantes rouges comme des pommes d’api ; leur absence de crâne et de menton ; leurs nez en trompette ou au contraire résolument crochus comme des becs au bout desquels la suprême coquetterie consiste à arborer une verrue ! Leurs cheveux: bigoudis, papillotes juste assez emmêlées pour avoir l’air naturelles, ou mèches de crin tellement raides qu’elles pourraient servir de toile à une araignée ! Et comme la mère-grand, de grandes oreilles artistiquement décollées !

           Hideuses, hideuses, direz-vous ! Certes, hideuses, elles le sont. Mais il suffit de regarder leurs gros yeux ronds étonnés ou hilares pour être sûrs qu’elles ne vous jetteront aucun sort ! Coquettes, en plus ! posant sur leurs vilains "cheveux” un délicieux bonnet gaufré ou un coquin chapeau rond, découvrant malignement un sein provocateur; peignant en vert leurs ongles de pieds griffus; portant robe de dentelle et savates éculées brodées de roses pour convoler en justes noces avec quelque sorcier! Ou bien encore chaussant des têtes de crapauds dont les yeux exorbités ont l’air de réfléchir aussi fort que la tête perchée à l’autre bout du corps difforme ! Nous voilà vraiment dans un monde ultra-kitch ! Mais comment Catherine Boulogne-Roussel peut-elle imaginer pareilles créatures ? En jouant sur les idées préconçues des gens, face à la notion de sorcière; en créant la dérision sur les personnages : qui envisagerait que des êtres si laids partent en quête du Graal ? Sans états d’âme, la sculptrice y envoie ses sorcières sur un chariot orné d’énormes soleils, tiré par un poisson solidement campé sur ses deux pieds et conduit par un cocher réplique exacte d’un des Stooges qui firent naguère délirer tant d’amateurs de cinéma !

          Il faut dire que Catherine Boulogne-Roussel a l’art de “croquer” très exactement tel tic, tel travers ;  de sorte que, pour quiconque, le paysan “sera” “immédiatement” un paysan, la diseuse de bonne aventure une chiromancienne ! Elle a tant d’esprit, tant d'humour qu’elle donne sans difficulté à ses personnages, un ton parfaitement authentique. Ses merveilleuses monstruosités sont réalisées en terre ocre ; mais parce qu’elle aime la couleur, elle les peint en rouge-sang, vert-pomme- pas-mûre, bleu-charrette comme disait autrefois une expression populaire ! Comme elle aime également les choses bien faites, elle sculpte avec infiniment de patience les plis de la robe, le tricot du châle, les ailes du corbeau, etc. Quel enchantement ! L’oeuvre de Catherine Boulogne-Roussel est tellement forte, tellement personnalisée, hors-le-temps et hors-les-modes qu’il est impensable de voir, sans les reconnaître, ses affreusement belles sorcières. Si vous en rencontrez une, ne fuyez pas : elle vous regardera de ses bons yeux amusés, et tel un dieu lare, vous accompagnera désormais, pour votre plus grand bonheur, dans votre existence quotidienne !

JEANINE RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1995 ET PUBLIE DANS LE N° 56  DE DECEMBRE 1995 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA