"S'il n'y avait pas de Pologne, il n'y aurait pas de Polonais", décrétait Alfred Jarry, dans Ubu Roi, sa très burlesque comédie. Et s'il n'y avait pas de Polonais, il n'y aurait pas de Ryszard Kozek qui n'a vraiment rien à envier à la bouffonne caricature de la débilité humaine, de son illustre prédécesseur. C'est ainsi que le spectateur, à la fois amusé et perplexe devant l'audace, la causticité et l'humour d'un créateur capable de lui proposer une telle galerie de portraits, voit se succéder les protagonistes d'une très emblématique saga, peinte au vitriol !

           "Pris" en format "photo d'identité", tous ont un faciès idiot, le crâne en pain de sucre, chauve ou hérissé de bigoudis ; immenses oreilles pointues de vampires ; petits yeux étrécis ou tout ronds autour d'une "boule" généralement foncée ; mufles hypertrophiés, très largement brèche-dents et rigolards. "C'est un monstre, ça ?" demandait à Bègles, un petit garçon. "Non, c'est un monsieur qui n'est pas beau", rétorquait le père. C'est le moins qui se puisse dire à propos de ces personnages dont l'un est un moine peut-être, ou un notable, comme le suggère sa fraise à la Rembrandt. Mais immédiatement, les gros boutons d'un possible manteau d'Arlequin détruisent cette connotation et introduisent la dérision. Un autre est violoniste et, tandis que deux de ses longs poignets osseux font saillir de manches trop courtes deux mains recroquevillées sur son instrument, ses deux autres mains (!!) couvrent le haut du visage, le bas disparaissant dans une sorte de caroncule poilue ! Ces mains supplémentaires ainsi placées, sont-elles un geste de prière ? de concentration ? Mais, comment le croire, lorsque l'individu louche si affreusement, et que deux cochons bien roses batifolent autour de sa tête ?

 

         Le thème du cochon ailé revient d'ailleurs fréquemment dans l'oeuvre de Ryszard Kosek qui en fait évoluer un au-dessus du crâne calotté d'un(e) nurse s'apprêtant à faire boire à la bouteille un gentil lémurien échappé d'un film de science-fiction. Mais, paradoxe, c'est la (le) nourrice (impossible d'être définitif sur son sexe !) qui porte la bavette. Un autre encore est lové dans les bras de quelque paysan couvert de bandages telle une momie : Tous deux lèvent au ciel des yeux d'un bleu intense, énamourés : l'Accordée de village, en somme !

      Ainsi, de visage sanctifié échappé d'une icône orthodoxe, en Ménine à l'air nunuche arborant ses petits noeuds-noeuds..., l'artiste soulève-t-il chez le visiteur une réelle fascination pour ces êtres sans âge, parfois sans garantie de sexe, sans définition sociale ou temporelle ! A ce dernier de projeter son imaginaire et ses fantasmes sur ces "énigmes" ubuesques, afin de "jouer" avec cette déroutante "famille" !

 

      Par contre, Ryszard Kosek ne laisse à personne le soin de faire se découper ses personnages sur des fonds, longuement travaillés dans des nuances de rouges au sein desquelles traînent des volutes brunes comme des fumées : Ne s'agirait-il pas des miasmes de l'Enfer" ?

      "Cornegidouille !" dirait le père Ubu, "que me contez-vous là ! De par ma chandelle verte", me voici dans cet enfer infernal, roi de bien laids "sagouins" ! Je m'en vais "leur couper les oneilles !"

Jeanine RIVAIS

 

RYSZARD KOZEK / Les Jardiniers de la Mémoire 1996. Site de la Création franche de BEGLES.

 

  CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996 ET PUBLIE DANS LE N° 59 DE JANVIER 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.