Est-ce son prénom celtique et la fréquentation des paysages bretons qui donnent à Yseult Houssais son goût si prononcé pour l’idée de la mort ? Toujours est-il que, consciemment ou non, celle-ci est omniprésente dans toutes ses œuvres, sculptures ou peintures. 

 

          Sculpteur, l’artiste réalise des sortes de petits bas-reliefs comparables à ceux des évangéliaires ou des médaillons médiévaux ; dans lesquels l’ivoire champlevé a été remplacé par du bois aux motifs exécutés en repoussé. Les personnages tête-bêche se définissent en plusieurs apparences paradoxales : Perçus de loin comme "en groupe", ils apparaissent en fait de près, comme des éléments isolés, où seuls de temps à autre, deux bras enlacés laissent penser qu’il peut s’agir d’un couple. Leurs corps anguleux, leurs déhanchements, leurs imbrications insufflent à ces êtres une grande vitalité, contredite par la peinture blanche, mate sur laquelle sont peints les éléments corporels et faciaux, à l’image de ces squelettes qui accompagnent les fêtes religieuses non dénuées de paganisme de nombreux folklores. De ce fait, les visages expressifs sont néanmoins mortuaires, et les sexes masculins et féminins très marqués n’engendrent aucun érotisme. Travail la fois poétique et mémorial, dont la préciosité est rehaussée par l’ajout d’un écrin de velours galonné, serti dans un cadre encollé de vieux papiers dénichés dans des greniers poussiéreux, porteurs de ces belles écritures calligraphiées à l’encre d’autrefois et jaunis par le temps, et qui renforcent la connotation surannée de ces créations.

 

          Peintre, l’œuvre majeure d’Yseult Houssais est une fresque sur tissu, de six mètres de long et un mètre de hauteur ; l’équivalent contemporain des scènes qui, naguère, aux tympans des églises, préservaient du péché la populace : un Jugement Dernier. Mais une évocation moderne, non exempte de fantasmagorie science-fictionnelle : au centre, un diable cornu consulte un grimoire tandis que le lutine une succube, nue comme un ver.  De part et d’autre, s’avancent des hordes de personnages humanoïdes, atterrissant, peut-être, au terme d’un voyage intergalactique ? Ils brandissent comme des radars leurs phallus énormes, et évoluent sur des "coussins" qui leur permettent de passer par-dessus des rivières, enjamber des viaducs, etc. Leurs têtes hypertrophiées sont entourées d’une sorte de heaume dans lequel seuls sont visibles les grands yeux sans paupières : largement ouverts sur le monde qu’ils abordent ? sur le spectateur/témoin situé en off ? ... Là, se noue ou se dénoue apparemment le drame : car, de part et d’autre encore, tanguent deux barques vers lesquelles se dirige cette foule : à gauche, un bateau appuyé sur des roues crantées entre lesquelles sont broyés des personnages et dont le nautonier est la mort ; à droite une nef toutes voiles dehors, apparemment désertée, dont les mâts sont surmontés d’une boule ressemblant à ces moteurs interstellaires si spectaculaires dans les films de fiction. Au-dessus de chacun, volent des " anges ? " -dont les oreilles sont reliées à des antennes-qui deviennent des sortes de branches -qui partent de troncs- qui semblent émerger de la terre… (faudrait-il y voir l’équivalent d’un Arbre de Jessé ?) 

 

          Là encore, Yseult Houssais se complaît dans une incertitude un peu perverse, ludique à tout le moins : les " Elus " sont-ils bien ces êtres dont les têtes laissent partir de tous côtés d’autres êtres qui pourraient être leurs rêves ? leurs fantasmes ? et dont la quintessence serait cet étrange cosmogone fait de cercles concentriques et de coulées déliquescentes, érigé tel un totem à l’extrême gauche de l’œuvre ? De là, il faudrait conclure que les " bannis " seraient ceux de droite écrasés par des quotidiennetés de linge séchant sur des fils, de livres et de cailloux, et dont l’émanation serait un " homme " d’une navrante banalité dans son petit costume étriqué ? Il faudrait alors en déduire que leur " punition " serait le train-train d’une vie morne et sans relief ? Il semble bien que l’artiste se soit délectée de cette absence de " clés " définitives (à moins que quelqu’un pétri de religion soit capable de les ouvrir ?) ; et de l’obligation pour le visiteur de rester dans l’expectative dont, seule, sa subjectivité soit apte à le tirer ! 

          Mais quelle que soit la conclusion de ce dernier, il sera forcément sensible à l’imaginaire floribond d’Yseult Houssais, au grand élan de vie qui anime sa toile, à la retenue des couleurs qui l’illuminent ; à l’étrange mélange de hardiesse créatrice et de sagesse ancestrale qui l’illustre ; au savant dosage d’évidence et de mystère qui l’ennoblit… Bref, chez cette artiste encore si jeune, au grand talent de peindre !

Jeanine RIVAIS 

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 71 DE JANVIER 2002 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA