JENNIFER ET FABRICE CAUBERE, peintres

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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Jeanine Smolec-Rivais : Fabrice et Jennifer, si j'ai bien compris, vous fonctionnez en tandem ? Comment définissez-vous votre travail ?

            Jennifer Caubère : Figuratif et abstrait en même temps.

           

                J.S-R. : C'est-à-dire ?

            J.C. : Nous travaillons la matière comme de l'abstrait, et nous insérons un personnage qui émane, qui émerge de cet abstrait. Et après, nous cumulons les deux, pour avoir la richesse de l'un et le côté rassurant de l'autre.

            F.C. : Oui.

 

                J.S-R. : Si je prends le haut-relief placé en face de moi, je vois bien le personnage féminin qui émerge. Mais vous avez dit "il émane de l'abstrait" : comment définissez-vous cette émanation ?

         J.C. : Nous sommes des peintres, c'est pourquoi en général nous ne parlons pas !

J.S-R. : Oui, mais là vous êtes au pied du mur ! Il faudra me parler un petit peu ! Juste quelques questions !

            J.C. : Généralement, Fabrice fait l'abstrait. Et, dès que l'abstrait est fait, au bout de quelques jours, nous prenons la toile et nous la tournons dans tous les sens, pour essayer que l'abstrait nous suggère le personnage qui pourrait surgir de cette toile. Comme dans le ciel, quand nous voyons un nuage, nous essayons de voir une forme. Nous imaginons un canard, des rochers… C'est la même démarche.

 

                J.S-R. : Mais dans votre tableau rouge, votre personnage n'est pas conçu de la même façon que sur le haut-relief, où vous aviez une montée avec des décalages, certes, mais progressive dans les valeurs de la peinture ; tandis que dans le rouge vous n'avez que deux couleurs, et on ne voit pas trop d'où votre personnage –d'ailleurs partiel- émerge. Est-ce un mamelon ? Un sein ? Comment faut-il concevoir cette émergence ?

            J.C. : Dans ce tableau, il a suffi d'une ligne pour suggérer une couverture rouge qui englobe, qui enveloppe le personnage qui est assoupi. Nous avions en plus l'abstrait qui suggérait les cheveux, la masse des cheveux, alors qu'il y a aussi l'oreiller qui est derrière.

           

                J.S-R. : Vous diriez donc qu'elle est au lit ?

            J.C. : Tout à fait ! Elle est allongée sur le côté.

                J.S-R. : Donc, finalement, juste à partir de quelque chose qui n'a pas d'histoire, et d'un petit morceau de personnage, vous arrivez à une histoire ?

            J.C. : Oui.

            F.C. : Une histoire commune.

 

                J.S-R. : Voilà. Et ma question suivante –vous connaissez sans doute les Staëlens qui sont un couple de sculpteurs qui fonctionnent dans une osmose absolument remarquable et qui sont pour moi l'archétype de la création en tandem- ma question, donc, est : comment vous, fonctionnez-vous l'un par rapport à l'autre ?

           F.C. : Nous fonctionnons naturellement…

            J.C. : Et picturalement, sans bla-bla, sans mots…

            F.C. : Sur des grands formats, et…

            J.C. : C'est la peinture qui va nous emmener tous les deux, nous suggérer une histoire qui tient.

            F.C. : Et nous développons notre technique au fur et à mesure. Nous apprenons à la maîtriser au fil de la création ; et en retenir les leçons pour essayer de retrouver les différents effets que nos apprécions, les diffusions, les mélanges, les effets mats, les effets brillants, les effets de craquelures, les cratères…

            J.C. : Les petits labyrinthes et les gros labyrinthes selon les matières, selon la dilution de la peinture.

            F.C. : C'est donc une vision picturale que nous avons de notre collaboration.

                J.S-R. : Dans la plupart de vos tableaux, vous êtes vraiment de très bons coloristes.

            J.C. : Pour certains, il faut s'approcher un peu plus, parce que c'est la couleur par derrière. Nous travaillons aussi par couches successives, et les couleurs changent au cours de la journée, car les rouges que vous ne voyez  pas franchement au premier abord, vont surgir dans la soirée par une petite loupiote que vous allez poser à côté du tableau, qui va vous suggérer le rouge et donner une teinte légèrement orangée ou jaune qui a été posée par-dessus. Notre force est que nous pouvons apprécier notre tableau de loin ; mais que de très près nous avons des effets extrêmement minutieux ; et cela grâce à notre peinture fluide. Qui elle-même réagit aussi avec notre intervention, et qui fait des motifs. Je crois qu'au microscope, nous aurions des effets incroyables !   

                J.S-R. : Le moins que l'on puisse dire, c'est que tous les deux, vous y croyez autant l'un que l'autre !

            J.C. : C'est notre métier, et nous peignons depuis dix ans ensemble ! Nous y croyons plus que tout le monde ! Et nos collectionneurs y croient aussi beaucoup. Et il est vrai que nous avons une belle histoire avec beaucoup de personnes qui ont plusieurs tableaux chez eux et qui ne veulent vraiment pas s'en défaire.

            F.C. : Qui veulent aussi nous suivre dans l'évolution de notre peinture. Parce qu'au début, nous étions beaucoup plus figés. Nous aimions beaucoup les tableaux plus bruts, plus figés, avec des goûts très définis ; et là nous nous sommes un peu affranchis de ce côté scolaire, et nous en sommes ravis. Nous avons donné une liberté à notre peinture.

            J.C. : Et c'est pourquoi, finalement, nous sommes trois ; Fabrice, moi et la peinture !

           

            ENTRETIEN REALISE A BANNE DANS LES ECURIES, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.