JOCELYNE BESSON-GIRARD, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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                Jeanine Smolec-Rivais : Jocelyne Besson-Girard, pouvez-vous me donner votre définition de votre travail ?

            Jocelyne Besson-Girard : Je dirai que j'exprime ce que je ressens. Je suis une sentimentale, une passionnée, et j'exprime ces sentiments dans mes œuvres. Ce que j'ai en moi. De toute façon, créer est vital pour moi, je ne peux donc pas m'empêcher de peindre. Il faut que je mette sur la toile tout ce que je ressens, tout ce que je vis. Et il faut que ce soit gai. Je ne peux pas faire des choses tristes.

 

                J.S-R. : Cependant l'une de vos femmes a plutôt l'air mélancolique. Elle est en tout cas dans une posture de mélancolie.

            J. B-G. : Oui, mais ce n'est pas triste ! Ce n'est pas dur. En fait, je reprends pour nuancer : il ne faut pas que ce soit dur. J'ai envie que les gens qui voient ma peinture ressentent une émotion douce…

 

                J.S-R. : Il y a beaucoup de tendresse dans tous les tableaux.

            J. B-G. : De poésie, aussi.

 

                J.S-R. : J'allais y venir. En fait, quand je regarde vos tableaux les uns après les autres, je ressens beaucoup de tendresse et de poésie. Et de mélancolie. Je ne peux pas trouver un personnage dont les yeux rient.

            J. B-G. : C'est vrai, vous avez raison. Pourtant, j'aimerais bien ! Je suis quelqu'un de très gai. Mais je pense qu'au fond je suis dans une recherche. Il est toujours difficile de parler de son travail ! Je suis toujours ennuyée par ce sentiment, parce que je ne sais pas bien en expliquer les nuances !

J.S-R. : Venons-en à vos tableaux. L'un d'eux représente-t-il la fuite en Egypte ? Ou est-ce simplement un mariage ?

            J. B-G. : Un jour, je suis allée voir un cirque roumain, le cirque Ricolo je crois. Le thème était "le Mariage". Nous étions tous invités dans le cirque à manger la soupe avec la troupe pendant l'entracte. La mariée était à cheval sur un sanglier. Et c'était super ! Toute cette mise en scène m'a infiniment plu ! Cette mariée se promenait sur un fil, le marié la portait ; et c'était joyeux. Cela m'a tellement plu que j'ai fait ce tableau.

 

                J.S-R. : Mais tout de même, les deux mariés sont tous les deux montés sur un cochon ?

            J. B-G. : Oui, comme je vous l'ai dit, un sanglier ou un cochon noir. Sur scène !

 

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 J.S-R. : Ce tableau est donc une histoire vécue ! Par contre, nous avons parlé de poésie, tout à l'heure, et je trouve qu'il y en a beaucoup dans ce petit personnage qui me fait penser à Murillo et à son "Petit mendiant" ! Ce petit personnage qui tient la lune me semble très poétique !

J. B-G. : L'origine de ce petit tableau remonte à ma petite enfance. A l'école, quand nous avions été très sages, nous avions droit à des images. Je me souviens très bien que la première image que j'avais eue était un Georges De La Tour ; et la deuxième était cet enfant-là, le petit mendiant de Murillo. Votre remarque me fait ressouvenir qu'en fait, j'avais toujours des images de peintures !

Je pense que le goût de la peinture est quelque chose que l'on a depuis tout petit ! Après, on fait ce que l'on peut, ce que l'on sait faire, ce que l'on a envie de faire. Je me souviens de mes premiers dessins à l'école. Quand la maîtresse affichait les dessins, j'ai encore la vision de certains d'entre eux. Pas forcément les miens ; mais aussi bien ceux d'autres enfants. Je m'en souviens bien. Et je me souviens aussi très bien de ma première boîte de peinture. C'étaient des gouaches Paillard. Je n'osais plus l'utiliser, parce que je me disais qu'après je n'allais plus en avoir

                J.S-R. : Quand on entre dans la pièce, on a l'impression d'une œuvre extrêmement colorée. Mais lorsque l'on regarde vos tableaux, on s'aperçoit que vous avez très peu de couleurs. Trois ou quatre, au plus.

            J. B-G. : Oui. Les bleus, les gris sont une déclinaison des bleus et des verts. J'ai deux grandes gammes de couleurs. Je les travaille beaucoup. J'ai toujours beaucoup travaillé les couleurs. Il m'est arrivé de m'arrêter de peindre parce que je ne me trouvais pas assez performante. Je suis très attachée à la technique, alors cela me gêne peut-être un peu. Je ne supporte pas quand ce n'est pas parfait. Bien sûr, on peut toujours aller plus loin, mais je vais jusqu'à ce qui me semble être le bout. Je regarde ce que je sais faire, et ce que je peux faire. Pour moi, la technique est hyper-importante. Il faut que les couleurs soient bien passées. Je ne veux pas de couleurs sales dans mes tableaux. Je suis très exigeante envers moi, même si je pense parfois qu'il faudrait que je sois plus libre.

                J.S-R. : Justement, c'est peut-être un paroxysme de technique ; ou l'inverse qui fait qu'il n'y a jamais une démonstration technique dans vos œuvres. Elles sont très linéarisées. On n'a que les lignes essentielles. Par exemple, dans ce couple enlacé, quelqu'un qui aurait voulu faire une démonstration brillante de sa technique, aurait fait les plis sous le bras ; elle aurait des ongles alors qu'elle n'en a pas... Je trouve que vous créez dans une économie de technique remarquable.

            J. B-G. : Je n'en avais pas conscience. Merci de me le dire. Peut-être que j'épure de plus en plus. En tous les cas, j'ai besoin d'aller jusqu'au bout d'un tableau, d'une peinture et je dois éprouver le sentiment de ne plus pouvoir aller plus loin. Surtout, je veux y mettre de l'émotion. De façon que les gens aient du plaisir et de l'émotion à regarder l'œuvre. Je fais, et c'est l'essentiel.

            En ce moment, je fais beaucoup de gravure, parce que je trouve que cela me libère de "dire trop" dans mes tableaux. J'aimerais qu'ils soient plus légers. La gravure me libère dans la mesure où je ne la maîtrise pas. Je me sers de ce que je ne maîtrise pas, pour avancer ; pour faire sur toile ce que je fais en gravure.

 

                ENTRETIEN REALISE A SAINT-PAUL LE JEUNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.