JULIE FRILLERIE, sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

(Entretien réalisé au milieu des éclats de rire des deux protagonistes, le sujet se prêtant à cette bonne humeur ! )

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                Jeanine Smolec-Rivais : Julie Frillerie, comment en êtes-vous venue à ce genre de création ?

            Julie Frillerie : J'aime bien travailler les gros volumes sur lesquels je peux me défouler physiquement. Lorsque je "bats" la terre pour me fabriquer un bloc, je me confronte jusqu'à quatre-cents kilos de terre ! C'est donc un très gros effort physique et énergétique ! Et lorsque je bats cette terre, je passe tour à tour par la colère et l'émotion. Ensuite, j'en viens aux outils qui me permettent d'épurer la forme.

 

                J.S-R. : Nous en arrivons donc à la technique ?

            J.F. : Voilà. Et après j'évide l'intérieur. Donc, j'accumule puis j'épure.

 

                J.S-R. : A regarder votre succession d'escargots, je dirai que cette création relève de la monomanie !

            J.F. : Tout à fait !

 

                J.S-R. : D'autant plus que nous sommes absolument dans le symbole : nous avons l'arrondi d'une femme enceinte, par exemple ; le creux "sorti" comme un sexe féminin ; les cornes dardées… ! Nous sommes donc en plein érotisme, alors que nous sommes chez des hermaphrodites !

            J.F. : Eh oui ! En fait, j'ai la trentaine, j'ai donc beaucoup de pulsions biologiques ! Et puis, intervient la raison : je ne veux pas d'enfant, c'est clair et net. Pour plusieurs raisons. Mais après, il y a le biologique qui parle ! Avec la trentaine, je suis à bloc au niveau hormonal ; et du coup j'exprime mes pulsions érotiques, sexuelles, sensuelles.

                J.S-R. : Elles y sont bien ! Car tous vos escargots sont "en érection" ! C'est ce qui m'a toujours surprise, que des bestioles hermaphrodites soient ainsi obligées de s'accoler, et que cela dure des heures !

            J.F. : Des heures, oui, et c'est magnifique ! L'escargot, c'est le bonheur !

 

                J.S-R. : Nous pourrions maintenant parler de vos couleurs. Parce qu'en fait, vous employez des couleurs qui, normalement seraient crues, pures, mais vous les avez tellement travaillées, mélangées, etc. que, finalement, on dirait presque de la mousse ! Donc, un parasite qui serait fixé sur vos bestioles !

            J.F. : Oui. J'essaie de vieillir la couleur. D'inventer la patine du temps ! Si je les laissais en couleurs naturelles, il faudrait des années pour qu'elles se patinent !

 

                J.S-R. : Donc, en fait, c'est de la triche ?!

            J.F. : Non ! Une patine est une patine ; il y a toujours plusieurs épaisseurs. J'ai aussi travaillé sur des meubles, sur bien d'autres choses dans le même esprit. Pour trouver un aspect sympath, c'est bien d'ajouter des épaisseurs l'une après l'autre.

 

                J.S-R. : En tout cas, on peut dire que c'est hors-les-normes, et que c'est original.

            J.F. : Tout à fait, et en général, cela incite à la caresse.

 

                J.S-R. : Et là, dans l'entrée, vous êtes bien placée pour que le public établisse ses premiers contacts avec vos escargots !

            J.F. : Oui. Au début, j'ai un peu paniqué parce que, d'habitude, ils sont exposés à l'extérieur. Je n'ai pas l'habitude d'exposer dans des salles. Ils sont assez résistants pour aller dehors et y rester.

 

                J.S-R. : Et comment les déplacez-vous ? Car tout de même, ils ne sont pas doués de mouvement ! Même s'ils en ont l'air !

            J.F. : J'ai trois personnes pour m'aider. Des bénévoles ! Je leur paie des coups pour qu'ils soient là aussi pour remballer ! Et maintenant, j'ai envie d'en faire des beaucoup plus gros : il me faudra donc encore davantage de copains ! A la maison, ils paniquent un peu ! Ils m'ont dit que ce format leur convenait parfaitement !

 

                J.S-R. : "Jusque-là, on assure" !

            J.F. : Oui, voilà ! Il va falloir que je travaille chez un potier avec un grand four, parce que j'ai envie de faire un escargot géant, à ma taille !

 

                J.S-R. : En fait, il faudrait que vous les réalisiez sur place, et qu'ils ne bougent plus !

            J.F. : Oui, voilà ! Le problème est qu'il faut les cuire ! L'idéal est donc que je travaille à côté du four, et que je n'aie pas à déplacer l'œuvre terminée. Parce que, quand elle est juste sèche, la terre est très fragile. Mais j'ai bien conscience que si je veux les faire plus gros, je ne pourrai pas les déplacer, il faudra les faire tout près du four, parce qu'une fois cuits, ça va !

 

ENTRETIEN REALISE A CHANDOLAS, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.