SYLVIE DELARSE, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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Jeanine Smolec-Rivais : Sylvie Delarse, quelle est votre définition de votre travail ?

            Sylvie Delarse : D'abord, je ne suis pas seulement plasticienne, parce que je n'utilise pas que la peinture dans mon travail. J'utilise des éléments comme le papier, le plastique, parfois le métal. La définition de mon travail est simple : je travaille sur l'idée du mur. C'est pourquoi, dans beaucoup de mes toiles, il y a des coulures, des salissures, des projections. J'utilise plusieurs médiums, la peinture acrylique bien sûr, le papier sous plusieurs formes, sous forme d'affiches, de photographies que je développe en papier affiche ; et puis l'encre de Chine, le fusain, la bombe, le posca qui est un feutre à pistons qui envoie des encres… Je peux ainsi faire des graffiti, des écritures, etc.. J'utilise aussi les pastels, gras, secs, à l'huile.

            Puis, j'essaie de créer un univers avec tous ces éléments. A chaque fois, en racontant une histoire. Et en construisant l'œuvre comme un tableau classique. En travaillant également les fonds pour créer des contrastes de couleurs, puisque je suis de formation coloriste.

 

                J.S-R. : Quand vous dites que la base de votre travail est l'idée de mur ; de vieux murs, donc, graphités, rongés par les éléments… vous devez aimer Prévert ?

            S.D. : Oui, bien sûr. Mais dans mon travail, ce n'est pas lui qui me guide…

 

                J.S-R. : Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. C'est que, pendant un moment, tous ses livres de poèmes présentaient l'image d'un vieux mur sur la couverture.

            S.D. : Oui, et il faisait beaucoup de collages. Tout le monde ne le sait pas, mais c'était le cas !

 

                J.S-R. : Sans doute est-ce pour la même raison que vous êtes presque toujours dans des couleurs de terre ?

            S.D. : Des couleurs de terre, mais d'autres gammes, également. Dans les orangés et rouges. Je travaille aussi beaucoup dans les couleurs vives; car l'étendue du Pop'art, et des gens comme Andy Warhol m'ont beaucoup influencée, mais pas qu'eux. J'ai été influencée aussi par les affichistes des années 40 à 70 comme Villeglé, comme Raymond Hains ou l'Américain Rauchenberg qui glissent dans leurs toiles de nombreux éléments différents. Ce sont tous ces gens qui m'ont donné envie de faire ce travail-là.

                J.S-R. : Mais quand vous parlez de ces référents, vous avez quand même quarante ans de moins qu'eux. D'ailleurs, la plupart sont morts ou moribonds ! Comment se fait-il que vous alliez si loin dans cette direction ?

            S.D. : Je dirai que je ne suis pas si jeune que j'en ai l'air ! Et puis le passage des années 70 fait partie de mon adolescence. Disons mon enfance ! Mais je crois que l'on peut aussi prendre des référents dans la peinture hollandaise, chez Léonard de Vinci… Picasso… D'autres… Les références n'ont pas d'âge. Ni frontières, ni âge. L'influence est dans la position que l'on peut avoir par rapport à l'art en général.

 

                J.S-R. : Puisque nous parlons du mur, il faut parler du tag. Certains de vos tableaux ne me semblent plus si près du tag, une fois que j'ai regardé de près vos œuvres : certaines me paraissent plus proches de la bande dessinée que du tag. Qu'en pensez-vous ?

            S.D. : Oui, plus près de la bande dessinée et du Pop'art. Puisque dans le Pop'art, il y a aussi beaucoup d'influences de la BD. Je crois que cela dépend aussi des périodes de ma vie : il y a eu des périodes où j'étais plus près des personnages ; d'autres où l'abstraction était plus dans mon état d'esprit. Chacun a une évolution naturelle qui fait qu'à un moment donné, les choses évoluent, changent, sans forcément que l'on s'en aperçoive. Quelquefois, c'est le regard extérieur qui va percevoir ces changements ou ces évolutions.

                J.S-R. : Vous avez évoqué "coulures", "vieux murs"… Les coulures sont forcément aléatoires ; les vieux murs proches de l'uniformité, parfois de la déconstruction. Mais il me semble qu'il y a quand même une partie qui est très construite dans votre oeuvre. Sur votre grand tableau, c'est Lauren Bacall ?

            S.D. : Non, c'est une jeune femme qui était très connue dans les années 60. Qui est en fait devenue la baronne de Rothschild, on ne la reconnaît pas mais à l'époque elle n'était qu'une jeune starlette. J'ai bien aimé introduire cette image un peu désuète, avec ce personnage beaucoup plus effrayant, que j'ai mis complètement en opposition, et qui est beaucoup plus actuel, en fait.

 

                J.S-R. : Qui me fait beaucoup penser à Basquiat…

            S.D. : Voilà !

 

                J.S-R. : Il a exactement la même forme de visage.

            S.D. : J'ai vraiment voulu mettre ces éléments en opposition, tout en travaillant quand même sur le thème de la ville. En fait, ce sont un peu les bidonvilles, mais les bidonvilles font partie de la ville. L'idée du bidonville est intéressante pour la construction de mon tableau. Et j'ai repris cet aspect-là dans plusieurs. J'ai aussi repris cette idée de ville qui est du haut en bas, à flanc de colline, qui est vraiment en plan vertical.

                J.S-R. : A ce moment-là, vous avez quitté l'idée de ce plan fixe mural que nous avons évoqué au début, pour en venir à quelque chose de beaucoup plus lointain et complexe ? Et là, nous sommes dans un paradoxe entre cette ville qui est forcément lointaine puisque vous la voyez entièrement verticalement, et ce personnage en gros plan à l'avant, et qui est un personnage de bande dessinée.

            S.D. : Non, celui-ci n'est pas du tout un personnage de bande dessinée. J'ai voulu travailler sur un film de Bergman qui s'intitule "Face à face". C'est un sujet un peu particulier, car en fait il part d'une affiche polonaise qui n'est pas du tout représentative de l'affiche française, qui n'a rien à voir avec elle. Sur l'affiche polonaise, il y a ce personnage, et j'ai gardé cette évocation du travail de Bergman. Le sujet du film est en fait le viol, ce qui n'a rien de drôle, et j'ai voulu le mettre avec la ville, parce que j'ai trouvé que les deux thèmes fonctionnaient bien ensemble.

            Il y a une évocation BD, effectivement, par le tracé, la façon de dessiner le personnage.

 

                J.S-R. : Et je dirai que, peut-être, le seul point d'humour est le petit personnage de profil qui me fait penser à Hitchcock qui apparaît dans tous ses films.

            S.D. : Bien sûr. Qui, à la fois, pourrait être une ombre, mais est en même temps un personnage. Tout à fait, là vous l'avez bien vu !

 

           

            ENTRETIEN REALISE A BANNE DANS LES ECURIES, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.