EVELYNE LANNO, peintre sur broderie

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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Jeanine Smolec-Rivais : Evelyne Lanno, quelle est votre définition de votre travail ?

            Evelyne Lanno : C'est un travail généralement abstrait. Et mon inspiration vient à partir des broderies de nos mères ou de nos grands-mères. Et c'est la broderie-même qui définit tout le tableau.

 

                J.S-R. : Je ne suis pas d'accord sur l'affirmation que vous soyez abstraite. Certes, certains passages sont abstraits, mais l'ensemble est résolument figuratif : ici, l'on peut voir des motifs de broderie, là un palais ou un village,

            E. L. : Mais cela ne représente rien en particulier !

 

                J.S-R. : Si, puisque ce sont des motifs de broderie, des fleurs, ou des villages, parfois même un personnage réalisé jusqu'à sa ceinture brodée, etc.

            E. L. : Ce n'était pas du tout mon intention de faire un personnage !

 

                J.S-R. : Néanmoins, il y est !

            E. L. : Je suis guidée par le manuscrit, par la lettre, par la matière…

 

                J.S-R. : La définition que j'aurais donné de votre travail serait que c'est un travail mémoriel.

            E. L. : Peut-être ?

 

 

                J.S-R. : Vous me dites que ce sont les broderies de nos anciennes, c'est donc un travail mémoriel.

            E. L. : Oui, en effet, un travail de mémoire ! Puisque j'utilise des lettres anciennes, brodées par mes grands-mères…

 

                J.S-R. : Pour avoir brodé ce genre de lettres, je peux vous dire que c'est un travail infiniment difficile, précieux, exigeant une grande concentration !

            E. L. : Mais ce n'est pas moi qui les ai faites !

 

                J.S-R. : J'avais, avec ma mère, pendant mon adolescence, brodé tout mon trousseau, et c'étaient des lettres comme celles que vous collez sur vos œuvres.

            E. L. : J'avais ces broderies dans mes armoires, dont mes enfants ne voudront pas ; donc j'ai trouvé dommage de ne pas les utiliser ! Et c'est ce qui m'inspire.

 

                J.S-R. : Ce sont donc des collages ?

            E. L. : Oui.

 

                J.S-R. : Comment pouvez-vous alors affirmer que vous êtes abstraite, quand je vois ce travail, je devine que chaque collage prend un sens bien particulier, en vous ! Un souvenir, un regret, une question… ?

            E. L. : Mais c'est que pour moi, une lettre ne représente pas une image…

                J.S-R. : Mais si ! C'est bien une image. Prenez le tableau où vous avez quatre motifs de broderie : C'est forcément une image. Il existait autrefois un catalogue de broderies. Si vous êtes trop jeune pour en avoir eu un, vous l'avez forcément vu chez votre grand-mère.

            E. L. : En fait, je ne m'étais pas posé la question de savoir si je fais du figuratif ou de l'abstrait, je "fais", c'est tout !

 

                J.S-R. : Mais votre première réponse est allée vers l'abstrait. En fait, je crois que pour vous, "figuratif" est synonyme de représentation d'un personnage : alors que ce mot désigne tout ce qui est signifiant. J'en reviens au fait que la meilleure définition que vous puissiez donner, c'est que c'est un travail de mémoire.

            E. L. : Bon !

 

                J.S-R. : C'est beau, d'ailleurs. Vos compositions broderies/autre sujet sont toujours bien conçues, et vous êtes une bonne coloriste, donc votre travail est intéressant et original.

            E. L. : Et puis j'aime choisir des matières très variées pour travailler le tout ensemble, trouver un équilibre qui me plaise, etc.

                J.S-R. : Ce qui est amusant, c'est que parfois, à côté de vos écritures, vous avez éprouvé le besoin d'aller en relief. Alors, que, la plupart du temps, tous vos reliefs sont ce qui représente la mémoire : les lettres, les motifs de broderie…

            E. L. : Des empreintes, de petits signes. J'aime beaucoup créer ces reliefs. J'aime bien l'écriture, j'aime bien les écritures anciennes.

 

                J.S-R. : Mais vos écritures sont donc aussi des passages collés ?

            E. L. : Oui. Je fais beaucoup de collages. Et en même temps, je fais des colorisations.

 

                J.S-R. : Ce sont des écritures que l'on peut lire ?

            E. L. : Oui, mais elles n'ont pas de signification particulière dans mon esprit..

 

                J.S-R. : Mais si je prends ma loupe, je peux lire, et ce que je lis constitue une histoire ?

            E. L. : Voilà.

 

                J.S-R. : Donc, cela vous ramène aussi dans votre passé ?

            E. L. : Pas dans le mien, mais dans le passé. Et ces écritures ne pourront plus, après aujourd'hui, être retrouvées sur des manuscrits écrits à l'encre, puisque ce sont de très anciens écrits.

 

 

            ENTRETIEN REALISE A CHANDOLAS, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.