FREDERIQUE CATEL, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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                Jeanine Smolec-Rivais : Frédérique Catel, j'ai l'impression que, même lorsque vous travaillez sur toile, vous utilisez de la récupération ?

            Frédérique Catel : En fait, j'ai très peu de toiles. Ici, je n'en ai qu'une. Et mon travail est surtout un travail d'empreintes. Je travaille sur l'humain, sur l'environnement, sur les matériaux.

 

                J.S-R. : En quelques mots, quelle est votre définition de votre travail ?

            F.C. : L'empreinte.

 

                J.S-R. : Quand vous dites "empreinte", je la vois très nettement sur votre grande toile ; mais sur les petits tableaux, qu'appelez-vous "empreintes" ?

            F.C. : Ces petits tableaux ont une histoire : en fait, quand je travaille mes volumes, j'utilise le feu, je chauffe les matériaux. Pour protéger ma table, j'avais mis des cartons. Et, en enlevant mon travail, je me suis rendu compte que le feu avait travaillé mon carton de façon aléatoire et accidentelle, et j'ai trouvé que c'était intéressant. Je me suis alors dit que si j'avais réussi à le faire par accident sur mon carton de protection, je pouvais réussir à le faire de façon "contrôlée" sur du papier de mon choix. Et c'est pourquoi j'ai commencé à retraduire en deux dimensions, ce que j'avais fait en trois. Avec les mêmes outils, mais chauffé de façon différente, pour avoir des nuances de brun, voire des altérations, des trous… Et l'idée est de recréer les altérations qu'a l'humain sur son environnement en bien ou en mal ; puisque lorsque l'humain est arrivé sur terre, il a commencé à altérer la nature, déforester, cultiver, gratter la terre, modifier des objets pour en faire des outils…

                J.S-R. : Si je considère cette sculpture, ce que vous appelez "empreintes", ce sont les trous, les irrégularités… ?

            F.C. : Oui. Les creux, les trous qui sont faits avec les outils que l'homme a fabriqués. J'utilise donc non pas tout ce qui me tombe sous la main, parce qu'il faut que cela me parle, me donne envie ; mais ce sont des clous, des vis, des rivets, des écrous, des morceaux de métal, etc. Comme vous le voyez, il y a un rappel des objets ethniques de l'art océanique ou africain, qui est très rythmé et originel. Tout en conservant la forme de l'objet d'origine.

 

                J.S-R. : Quand vous disposez de ce qui, à l'origine, est un morceau de bois, et que vous intervenez dessus, vous dites "j'ai mis une empreinte" ou "j'ai mis des empreintes". Pour vous, c'est l'ensemble qui constitue le mot, ou chaque ajout ?

            F.C. : Non, c'est mon empreinte à moi, mon entité, faite d'empreintes plus en écriture automatique. Parce que, pour l'histoire, il faut savoir que quand j'ai commencé ces travaux, j'ai commencé des callipyges que vous pouvez voir à côté, qui sont beaucoup plus raisonnées, pour lesquelles je sais à l'avance quelle forme je vais obtenir. Et c'est pour me décontracter que j'avais commencé à faire ces sculptures, par récréation, une sorte d'écriture automatique, de laisser-aller à instinct. Mais je me suis rendu compte que j'aimais beaucoup faire ce travail, et à l'heure actuelle j'ai laissé tomber en grande partie les callipyges et je ne fais plus que ces grandes sculptures parce que je me rends compte que c'est le moyen d'expression qui me convient en ce moment. C'est donc un travail plus instinctif et libre.

                J.S-R. : Quand vous dites que cela vous détend, j'aurais pensé au contraire que c'était un travail d'une extrême précision, de concentration…

            F.C. : Oui, mais c'est intellectuellement très libérateur, parce que je ne me contrains pas. Je suis aussi illustratrice, et c'est alors un travail de précision, on surveille son trait, on retient son souffle, alors que là, je ne retiens rien ! C'est à la fois précis, minutieux, mais je ne décide pas à l'avance de la forme que je veux obtenir. Je pars et je me laisse aller. Comme Boris Vian dans ses écritures automatiques. Et à l'arrivée, peut-être faut-il corriger des détails, parce que je n'ai pas la culture, parce que malgré son instinct on est toujours récupéré : ça ne se fait pas, c'est bien, ce n'est pas bien, c'est beau, ce n'est pas beau… J'essaie de dépasser ce fait, mais je n'y arrive pas toujours. Néanmoins, je redis que c'est instinctif.

 

                J.S-R. : Et, à quel moment décidez-vous que vous avez assez mis cette empreinte ?

            F.C. : Quand j'en suis lasse, quand je ne m'amuse plus. Par contre, je peux revenir sur des œuvres. Je pars donc du principe que mes travaux ne sont jamais terminés. A l'instant, je pense qu'il le sont, mais s'ils ne sont pas vendus et que je les représente dans un an, peut-être auront-ils changé ? C'est comme l'histoire, l'homme met continuellement son empreinte, ce n'est jamais terminé. Si j'ai envie demain d'ajouter quelque chose qui me semble nécessaire, je le rajouterai.

J.S-R. : Et l'envie ne vous est jamais venue de mettre de la couleur ?

            F.C. : Si. Il y a presque toujours de la couleur. Peu, mais on retrouve toujours cette bande…

 

                J.S-R. : Et que signifie-t-elle pour vous ? C'est une limitation dans le temps ?

            F.C. : Dans le temps ? Non. Elle ne représente rien.

 

                J.S-R. : C'est donc juste un rythme que vous créez ?

            F.C. : Vous venez de le dire : c'est un rythme. Plus mes travaux avancent, plus je rajoute, je rajoute. Et j'envisage de mettre de la couleur. Mais c'est une évolution qui n'en est qu'à ses débuts. Je suis loin d'avoir terminé.

           

            ENTRETIEN REALISE A BANNE DANS LES ECURIES, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.