TIDRU, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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Jeanine Smolec-Rivais : Tidru, votre création est vraiment très noire, tant au point de vue pictural que psychologique ?

            Tidru : Non, on peut l'interpréter de bien des façons.

 

                J.S-R. : Voulez-vous donner votre définition de votre travail ?

            T. : Il est vrai que l'apparence est assez sombre. C'est la première approche qu'ont les gens. Mais après, c'est en fait, un travail libre d'interprétation. On peut y voir ce que l'on veut. Mais ce qui est intéressant, c'est d'entrer un peu à l'intérieur ; de passer le voile, le rideau de la pigmentation un peu sombre.

 

                J.S-R. : Pourquoi me répondez-vous "non", quand je vous dis que votre travail est sombre psychologiquement ?

            T. : Si c'est vous qui me le dites, c'est vous qui le ressentez de cette façon. Dans ce cas, je devrais vous répondre "peut-être" ?

 

                J.S-R. : D'où je conclus que, pour vous, ce n'est pas un monde sombre que vous avez peint ?

            T. : Ce n'est pas un monde sombre, c'est un monde où il n'y a pas de couleurs. En tout cas, où il y a moins de couleurs que dans les mondes qui nous entourent.

J.S-R. : Mais je suppose que si vous avez mis du noir, c'est que vous pensez qu'il convient mieux que la couleur ?

           T. : Non, en fait, c'est plutôt dans la démarche des apparences. On pourrait imager cette idée avec la maxime : "L'habit ne fait pas le moine", par exemple. Ce n'est pas l'apparence qui détermine ce qu'il y a à l'intérieur. Mes sculptures sont sombres. On peut dire qu'elles sont lugubres et tout le vocabulaire qui va avec, mais peut-être qu'à l'intérieur on peut trouver quelque chose de différent de ce qu'elles montrent.

 

                J.S-R. : Vos sculptures me semblent plus paradoxales que vos peintures. Vos personnages y ont souvent des "bonnes têtes", ils sont en train de sourire. Par contre, les personnages de vos peintures, comme les deux enfants ou les deux individus dont l'un est à moitié effacé, -il faudra donc que nous parlions d'apparition ou de disparition- me semblent terribles, terrifiants.

                D'ailleurs, je pense beaucoup à Rustin, en voyant vos deux enfants.

            T. : C'est votre ressenti !

 

                J.S-R. : Vous connaissez la peinture de Rustin ?

            T. : Oui.

 

                J.S-R. : Il me semble que, dans certains tableaux, vous en êtes très proche ?

            T. : OK. C'est votre point de vue aussi.

 

                J.S-R. : Par ailleurs, il me semblait que les deux autres tableaux où l'on a des évêques –du moins des personnages coiffés de la mitre- étaient plus conçus que les précédents dans un humour macabre ?

            T. : Un humour macabre ? Un humour macabre ! Oui, si l'on veut. En fait, mon travail est complètement libre d'interprétation. Je n'ai pas de mode d'emploi pour l'analyser. Ce qui est intéressant, c'est que chacun se l'approprie, a un ressenti différent.

                J.S-R. : Tout de même, quand vous ajoutez deux fois une mitre sur la tête de vos personnages, vous créez forcément une connotation. Je ne dirai pas une connotation antireligieuse, mais c'est une manière de parodie. Par exemple, récemment, dans le Canard enchaîné, il était question de Monseigneur Dupanloup qui était mort chez une prostituée. La scène peinte sur votre tableau m'a tout de suite fait penser à ce fait-divers réel. Une telle scène ne me semble pas innocente !

            T. : Et pourtant, encore une fois, il n'y a pas de connotation religieuse ! J'ai utilisé un chapeau de pape dans plusieurs peintures, mais c'est d'un point de vue presque purement esthétique. Ou, même s'il y a une symbolique derrière, elle n'a rien à voir avec la religion. Elle peut avoir, encore une fois, une apparence religieuse, mais elle n'a rien de religieux. Mes peintures ont une apparence sombre, mais peut-être que cela n'a rien de sombre ? Tout dépend comment on veut le prendre, voilà !

 

                J.S-R. : Comme le Canada-dry ! On croit que c'est du whisky, mais ce n'est pas du whisky !

                En quelle terre faites-vous vos sculptures, pour qu'elles soient si noires ?

            T. : J'en ai fait en faïence et en grès. Elles sont cuites au four, puis patinées.

 

J.S-R. : Pourquoi ce parti-pris de les faire en noir ? Vous allez me répondre que c'est parce que vous avez supprimé la couleur ?

            T. : C'est cela, oui. Il ne faut pas aller chercher plus loin !

 

                J.S-R. : Puisque, apparemment, j'ai tout faux, et que je ne suis pas allée au-delà des apparences…

            T. : Il n'y a pas de vrai, pas de faux !

 

                J.S-R. : Oui, mais je suis apparemment complètement à côté de votre "dit", -soyez sans inquiétude, cela ne me fâche pas, je dis toujours aux artistes qu'ils "ont le droit" de ne pas être d'accord avec moi !- ce que je voulais dire c'est que, contrairement à ce que vous avez un peu exprimé, la présence de ce chapeau papal, ne peut pas être innocente ! Et elle ne peut pas être seulement esthétique ! Je vous prends à contre-pied et vous demande : pourquoi un chapeau papal, plutôt qu'un chapeau melon, ou un canotier ?

            T. : Allez savoir ! Moi, je ne sais pas ! Et puis, je ne cherche pas analyser tout ce que je fais. C'est comme cela !

 

                J.S-R. : Venons-en à vos sculptures. Il me semble que vous avez, les concernant, plusieurs démarches ? Celles où les personnages sont complètement libérés, comme celui qui est carrément nu avec un petit sexe en évidence. Et puis les groupes, dont on pourrait dire qu'ils sont en émergence ; qu'ils ne seraient pas encore sortis d'une sorte de magma ; qu'ils seraient en train de naître ? Et ils seraient dans le même esprit que votre grand tableau évoqué tout à l'heure, où il m'est impossible de dire si votre personnage est en train d'apparaître ou de disparaître ?

            T. : Encore une fois, il est intéressant d'entendre votre interprétation. Chacun en a une ! Je ne me suis pas posé la question de savoir s'ils étaient en train d'apparaître ou de disparaître !

 

                J.S-R. : J'ai tout de même du mal à croire qu'à réaliser un travail aussi psychologiquement puissant –et ce n'est pas innocent que j'aie, en regardant vos œuvres, pensé tout de suite à Rustin, et chacun sait que le travail de Rustin n'est pas innocent- vous me disiez que vous ne savez pas du tout ce que vous avez voulu dire !

            T. : Bien sûr, il y a des sentiments à sortir, des expressions à sortir, mais qui ne s'expliquent pas forcément avec des mots ! Ou avec des écrits ! Ils peuvent s'exprimer par la musique, la peinture, la sculpture. Et il me semble justement que si je l'exprime de cette manière, c'est que c'est ma façon !

J.S-R. : Mais nous sommes ici en face d'œuvres finies ; qui disent forcément quelque chose !

Quelles ont été les réactions des visiteurs, jusqu'à présent ?

            T. : De toutes sortes. Certains ont trouvé, justement, que c'est "sombre", "lugubre", "effrayant". D'autres s'exclament que c'est beau, qu'il y a des sentiments ; "cela me rappelle un souvenir de mon enfance" ou "Cela me fait penser à ceci ou cela". C'est ce que j'entends. Mais il n'y a jamais de bien ou de mal, ou de vrai ou de faux…

 

                J.S-R. : Mais il ne s'agissait nullement pour moi, de dire du mal !

            T. : Non, mais de parler de sentiments. Il y a des gens que cela dérange ; d'autres qui trouvent cela très doux. Finalement, cela me semble bien qu'il n'y ait pas de mode d'emploi.          

 

                ENTRETIEN REALISE A BANNE, DANS LES ECURIES, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.