DENISE GRISI, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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                Jeanine Smolec-Rivais : Denise Grisi, ai-je commis un crime de lèse-artiste en vous disant "C'est de la bande dessinée", puisque vous m'avez répondu : "Non, ce sont des fresques" ?

                Définissez votre travail.

            Denise Grisi : Ce sont des affiches trouvées dans la rue, que je colle sur de la toile. J'ai inventé une matière qui ressemble à du mur ; et que je travaille comme de la fresque à l'encre de Chine. Ensuite, je mets la toile à plat ; je reprends ou les couleurs, ou les motifs de l'affiche : et je fais couler la peinture dessus. Je ne dessine pas avec un pinceau, Je dessine en laissant couler le pot, pour être plus dans le lâcher prise. Le rêve, quand on voit des affiches, des bouts de murs plastiquement intéressants, c'est de pouvoir emporter ces bouts de murs. Et dans mon cas, ce sont des bouts de murs que l'on peut rouler comme des papyrus géants, et les emporter avec soi.

 

                J.S-R. : Pourquoi tenez-vous à ce que l'on dise "fresques" ?

            D.G. : Parce que la technique est celle de la fresque. La coloration à l'encre de Chine est une technique de base de la fresque.

                J.S-R. : Quand vous dites "j'ai inventé un système pour faire des murs", vous voulez parler du granité ? C'est du sable que vous avez utilisé ?

            D.G. : Non. C'est une matière que j'ai inventée et qui permet de créer du mur enroulable ! Que l'on peut traiter comme de la fresque classique.

 

                J.S-R. : A partir du moment où ce sont des affiches, une partie vous appartient, l'autre non…

            D.G. : Je me réapproprie les affiches.

Sexy
Sexy

                J.S-R. : Lorsque vous avez collé vos affiches sur la toile, c'est forcément un autre travail qui commence ?

            D.G. : Exactement. Mais ce sont les affiches qui m'inspirent pour les personnages. Ou pour les couleurs. Pour le thème, si ce sont des affiches de cirque, je mets des clowns… Récemment, j'ai trouvé une affiche avec des bocaux, j'ai repris les bocaux. A partir de celle qui était marquée "Sexy", j'ai fait un Roméo et Juliette en graffiti…

 

                J.S-R. : Mais alors, vos personnages sont complètement fictionnels ?

            D.G. : Il peut arriver que ce soit des personnages rencontrés dans la rue : l'une de mes fresques a été faite à partir d'un évènementiel : elle représente donc le Maire de la ville, l'animateur et la musicienne. Ce sont des personnages rencontrés ou croisés dans la rue, cela dépend.

 

                J.S-R. : Et qu'est-ce qui fait que certaines de vos œuvres comportent une très grosse partie affiche ; alors qu'une autre n'en comprend presque pas ?

            D.G. : Cela dépend de l'inspiration du moment. Je peux me servir simplement d'un bout d'affiche pour avoir les couleurs de base et de départ, comme dans le thème mythologique des trois Grâces que je me suis approprié. Je peux même les traiter de façon humoristique.

Saint-Affrique
Saint-Affrique

                J.S-R. : Vous venez de dire que vous vous servez d'un bout d'affiche pour déterminer vos couleurs. Or, dans celle que vous avez intitulée "Saint-Affrique", je ne trouve aucun rappel de vos couleurs de base !

            D.G. : Non, parce que la ville où je faisais l'évènementiel était Saint-Affrique. J'ai pris essentiellement des affiches de cette ville, et ensuite des personnages indépendants. J'ai pris le clown pour la musique, en ajoutant un accordéoniste pour compléter. Et après, j'ai laissé aller l'inspiration. Le but de travailler, de dessiner avec la peinture qui coule, c'est le lâcher prise.

 

                J.S-R. : Qu'est-ce que vous appelez "le lâcher prise" ?

            D.G. : C'est-à-dire que la peinture est plus ou moins épaisse selon les conditions météorologiques, selon le début ou la fin du pot. Cela permet donc d'avoir des accidents, un geste en amenant un autre sans calculer.

 

            J.S-R. : C'est donc simplement une domination de la technique ?

            D.G. : Pas uniquement. C'est un geste qui en appelle un autre, en laissant aller les choses, sans calcul.

                J.S-R. : Et quand vous ajoutez un animal, vous revenez vers les Fables de La Fontaine ?

            D.G. : Voilà. Ces Fables de La Fontaine ont été faites spécialement pour Banne, puisque c'était un des thèmes de cette année. J'ai pris des affiches qui n'avaient pas de rapport avec le thème, et le rapport avec les fables, ce sont les couleurs : le rose de l'affiche sous les pieds du lapin, le jaune, le bleu…

 

                J.S-R. : Votre travail me semble très proche de tous ces arts nouveaux dont moi, je ne suis pas très proche : Je vous demande donc s'il y a des questions que vous auriez aimé entendre, et que je n'ai pas posées ?

            D.G. : En fait, ce sont des graffiti, mais des graffiti qui sont peints avec du dripping¹, tout simplement. Et qui permettent de mettre sur une toile, tous ces bouts d'affiches trouvés dans la rue, tous ces personnages…

 

                ENTRETIEN REALISE A SAINT-PAUL LE JEUNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.

 

(¹) Le dripping : En arts plastiques (incluant les arts décoratifs), le dripping (de l´anglais to drip, goutter) consiste à faire des superpositions de plusieurs couleurs d'un même spectre. Cela se fait sur des surfaces originales, mais aussi sur une toile. Jackson Pollock fit son premier dripping sur une voile de bateau.