JOYCE BENVENISTE, Créatrice de personnages

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

*****

Jeanine Smolec-Rivais : Joyce Benveniste, quelle est votre définition de votre travail ?

            Joyce Benveniste : Le thème, c'est : "Souriez, la vie vous sourira". J'essaie, avec des bijoux qui suscitent une émotion première quand on les regarde, de donner des émotions de bonheur et de joie. Parce que je pars du principe que, lorsque l'on se pare, on essaie de se sentir mieux, d'être plus beau…

 

                J.S-R. : Plus belle, en général !

            J.B. : Plus beaux, parce que je fais aussi des hommes… Mais pour le festival, j'en ai manqué !

 

                J.S-R. : Ils sont tous "partis" ?

            J.B. : Tous partis ! Mais il est vrai qu'il est plus facile de faire des femmes parées que des hommes en "pingouins" ! Car ils n'ont pas droit aux robes, sauf les Ecossais ! Cela réduit donc la palette possible.

 

                J.S-R. : Donc, ce que j'avais pris des poupées, serait plutôt pour vous, des mannequins ?

            J.B. : Ce serait le rêve de chaque femme. Ou de chaque homme. Ce serait le désir de s'embellir, à un moment donné, à un moment festif. J'emploie bien sûr des bijoux, mais aussi des matières premières comme le végétal… Ce qui est très important, c'est l'harmonie, en fait. L'harmonie avec la nature, ou avec des objets faits par les hommes.

 

               J.S-R. : Mais par moments, n'est-ce pas frustrant, de jouer –parce que je pense que cette création relève largement du jeu- de jouer, donc, de tout ce strass et de se dire que, pendant le même temps, Place des Vosges à Paris, des voleurs cambriolent de vrais diamants, de vrais saphirs, etc. ?

            J.B. : Non, parce qu'en fait, quand on les regarde, on sait très bien qu'ils sont faux ; mais on a l'émotion première comme lorsque vous regardez des Leds. On sait très bien qu'ils ne coûtent pas très cher, mais cette lumière vous attire. On sait que cette lumière n'est pas éclairante, mais qu'elle rend belle. On la met sur les sapins de Noël, le long des allées… Et lorsqu'on la voit, on est heureux, on se sent mieux. Donc on sait très bien que ces bijoux sont factices, mais le fait de les voir, de constater cette transformation que fait la main, rappelle les émotions éprouvées lorsque l'on essaie de s'embellir. On sait bien que l'on ne sera jamais riche, mais le fait de les voir nous rend riches d'émotions.

J.S-R. : Je remarque tout de même que toutes vos femmes si belles et si heureuses ont toutes les jambes dissimulées. Et aucune n'a de bras : pourquoi les avez-vous mutilées ?

            J.B. : Elles ne sont pas mutilées, elles sont dansantes. Celles que vous voyez ici font partie d'un thème sans bras. Mais je fais aussi des compositions où il y a des bras, des pieds… Ce n'est qu'un thème !

 

                J.S-R. : Et c'est chaque fois la jeune fille unique ?

            J.B. : Non, parce que je n'ai pas apporté de grands tableaux : je savais que je serais dans un endroit où j'aurais un minimum de place, et qu'il fallait faire de petits prix, donc ce que j'expose est très commercial !

 

                J.S-R. : Avant de placer tous ces bijoux, vous positionnez vos personnages –ici, toutes des femmes- et vous peaufinez leur robe. En fait, c'est la robe qui va conditionner les bijoux que vous allez ajouter ?

            J.B. : Voilà. En fait, ce que vous voyez, c'est une partie sans bras ni mains. Mais l'essence même, ce sont leurs visages et leurs parures. Alors que, dans les autres tableaux que vous ne voyez pas, donc que vous ne pouvez pas analyser, il y a toute une mise en place, et toute une histoire. Celle que vous voyez par terre est toute simple, elle n'a pas de parure, elle n'a presque rien dans les cheveux. Par contre, il y a tout un système derrière qui montre un endroit, un lieu, des palmiers faits avec des bouchons, des pompons. Elle est moins bling-bling, parce qu'elle n'est pas de sortie, alors que les autres le sont, et donc s'embellissent. Disons que dans chaque tableau, il y a l'essence-même du tableau, celui qui est par terre est une composition, il n'y a pas besoin de beaucoup de bijoux, mais il y a besoin d'avoir une mise en place, une histoire (donc il y a le seau, la petite fille, le palmier qui l'abrite) et on est tout de suite dans une émotion première enfantine. Et celles qui sont en haut sont en tenue de soirée. Donc les bras et les pieds n'ont pas beaucoup d'importance. Ce qui a de l'importance, ce sont les matières premières, les tissus, les ports extraordinaires que l'on affecte pour s'embellir. Pour avoir ce sentiment de bonheur après lequel je cours.

J.S-R. : Je remarque aussi que, lorsque vous mettez un papier très travaillé, il est lisse, alors que dans la plupart des compositions, vous les avez chiffonné. En particulier sur celle qui a les coquillages dans les cheveux et qui est magnifique parce qu'elle est complètement déséquilibrée et en même temps elle est tellement royale !

            J.B. : Vous voyez un mouvement, malgré tout. Elle n'est pas statique, elle est en mouvement.

 

                J.S-R. : Tout à fait !

            J.B. : En fait, choisir les matières premières que j'ai sous la main, peut être un prétexte. Pour le papier peint que vous évoquez, je trouvais qu'il était sublime, et qu'il n'avait pas besoin d'autre chose pour cette première vision. Alors que l'autre qui est couvert de dentelles avait besoin, lui, d'une sorte de vie, donc il est en mouvement. Certains sont en mouvement, d'autres pas. Il y a des papiers, des tissus froissés, d'autres pas. Je froisse ou défroisse. C'est à partir du moment où je l'ai entre les mains, que je vais sublimer la matière, soit parce que je trouve qu'elle a besoin d'être travaillée un peu plus, soit qu'elle peut supporter d'être travaillée un peu plus ou pas. Et puis, il y a toute la chevelure avec tout ce que l'on est capable de supporter. Quand je les fais, je me souviens par exemple de l'époque de Louis XIV où les gens mettaient des perruques, des plumes, des chapeaux, des bijoux ; où l'on mettait assez de choses pour faire double volume ! Et puis, des époques où l'on ne met rien comme maintenant où l'on se pose juste une casquette sur la tête !

                J.S-R. : Les têtes sont toutes bien rondes, et les yeux, parfois la bouche et/ou le nez sont également des bijoux. Pourquoi procéder ainsi sur certaines et pas sur d'autres ?

            J.B. : Parce que le visage est une sculpture. Il a une forme bombée. La manière de le bomber est de mettre le rouge. C'est donc une couleur qui va donner l'ombre, en fait. Et bien naturellement, je pourrais dessiner les yeux, parce que contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, je sais peindre. J'étais autrefois portraitiste, je n'ai donc pas de problème avec le dessin. Mais je voulais enlever le dessin pour montrer la main de l'homme. Pour la montrer autrement. Par la création autre. C'est-à-dire que les objets qui forment les yeux ont été faits par l'homme. C'est donc un peu plus neutre. On a l'impression que je n'interviens pas trop. Et c'est ce qui me plaît dans ces personnages.

            Ceci dit, j'ai toute une autre gamme de personnages où je fais moi-même les yeux, où je les peins… Mais vous avez la personnalité, vous avez l'écriture dans ces autres-là. Bien évidemment, vous n'avez ici qu'un petit panel, on ne peut pas tout montrer. Mais j'aime bien montrer qu'avec ces bijoux, ces objets sont mis en valeur quand ils deviennent des yeux. Alors qu'ils vont devenir un élément de mosaïque quand ils sont mis dans la chevelure.

 

                J.S-R. : Mais de toutes façons, elles sont toutes souriantes car "Ce soir, nous irons danser" !

            J.B. : Oui. Et "Souriez, la vie vous sourira, nous sommes tous beaux !" Il suffit de le voir, de le croire, et avec le sourire finalement, pour la même émotion, pour les mêmes problèmes que nous avons, cela soulage. C'est une sorte de philosophie que j'ai eu à donner à mes enfants ; et je l'ai appliquée dans mon art !

 

            ENTRETIEN REALISE A BANNE DANS LES ECURIES, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.