JEAN THOMANNE, UN RECALCITRANT DE L'ART

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     Basquiat est mort voilà trente ans. Malgré ce temps très long, son influence continue de s'exercer sur nombre d'artistes qui, comme lui, peignent une sorte de peinture conçue, en dépit de tous les questionnements, avec tant de certitude, que chacune est surlignée sans hésitation d’un unique trait de pinceau ; montrant diverses couches et repentirs. Travaillant directement sur la toile, sans dessin préparatoire. Couvrant, entourant leurs personnages de graffitis.

 

     Autodidacte, Jean Thomanne semble bien être de ceux-là, mais un descendant qui aurait simplifié son "dit" en supprimant ratures et taches multiples ; se contentant de quelques petits cercles, barres, etc. Réalisant des oeuvres très colorées, alors que paradoxalement, il emploie très peu de couleurs, la plupart des œuvres n'en ayant que deux, voire trois, chacune servant de faire-valoir aux autres : un piquetage de rouge sur un fond violet ; un jaune "sale" (¹) sur un gris ; un rouge ou un vert passés à grands coups de pinceau sur un bleu violacé, etc. Et ce qui est surprenant, c’est qu’à partir de ces couleurs dramatiques qu'il place côte à côte ou se chevauchant, il parvient à faire non quelque chose de tragique, mais une oeuvre à connotation calme. Certes, à en juger par ses yeux exorbités et sa bouche tendue en une moue sceptique, exaspérée, protestataire… chaque personnage est certainement quelqu’un qui se pose des questions, et souffre. Néanmoins, il le fait sans agressivité. Et il semble bien que les deux adjectifs qui le définiraient le mieux seraient "calme", "philosophe"  ?

 

          Tout cela animé d’une grande volonté démonstrative proposée sur des matériaux où l’artiste s’autorise toutes les libertés : Comme dans les créations d’enfants auxquelles ses œuvres s’apparentent souvent, il peint sans se soucier de proportions, d’équilibres et surtout de perspective… Et pourtant, tout ce petit monde se retrouve sur ses pieds, à la fois empreint de connotations poétiques, et éclatant de vivacité. 

          Très linéarisés au milieu de leur espace, ses personnages sont seuls, l'air de foncer "vers", ou de danser, tout cela sans aucun souci de réalisme ! Subséquemment, aucun hiatus dans la cohabitation du "Killer" (tueur) avec l'"Artist" ; ou des deux individus, l'un hirsute l'autre coiffé d'une couronne, bras de l'un posé sur l'épaule de l'autre, s'exhortant à "ne pas résiste(r) à la tentation", etc. ; au gré de la fantaisie de l’artiste. Chacun y "raconte" à sa manière une saynète lisible au premier regard. Et chaque fois, il s'agit d'individus non définis socialement, géographiquement, historiquement… intemporels, donc. L’unité de l’ensemble tenant à la patine extrêmement personnelle de l'exécution. 

 

          Bacon disait entre autre "Tout ce qui est bien, arrive par hasard". Jean Thomanne modifie ensuite ce hasard par son intuition, son intelligence, sa sensibilité. Bacon encore employait une expression pour définir les artistes marginaux : les "récalcitrants" de l’art ! Des gens plus ou moins asociaux, incapables de s’intégrer ! Des révoltés mais sans amertume ; pas des gens qui sont rejetés, simplement des gens qui ne supportent pas le système ! Qui veulent changer les choses ! Que leur passion rend tellement bouillonnants qu’ils n’ont pas la possibilité de se faire entendre. Alors, ils déploient toutes leurs ressources pour faire avancer le monde ! 

     Cette définition semble convenir parfaitement à l'artiste chez qui, seule, la poésie née de l’expression sans hiatus du "vécu" du peintre et de son "dit", exprime les états psychologiques de quelqu'un chez qui le besoin viscéral, la volonté de peindre s’accrochent à ses personnages comme à des bouées libératrices qui sont autant de contrepoids et de contrepoints à son mal-être existentiel.

Jeanine RIVAIS

 

 (¹) Rien de péjoratif dans le mot sale, cet adjectif signifiant que les couleurs ne sont pas pures.

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN Belgique.