IVe BIZ'ART FESTIVAL 

FESTIVALS D'ART SINGULIER 2017

 

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LE BIZ'ART FESTIVAL DE HAN-SUR-LESSE ET L'ART SINGULIER

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L'heure de la pause : Jeanine Rivais et Michel Smolec sur la terrasse des gîtes
L'heure de la pause : Jeanine Rivais et Michel Smolec sur la terrasse des gîtes

COURT HISTORIQUE DE L'ART SINGULIER

           D’abord il y eut l’"Art brut", mot créé pour et accepté par Jean Dubuffet pour désigner l’ART ASILAIRE qu’il collectionnait avec la plus vive curiosité depuis que l'avaient fait connaître Marcel Réja avec "L'Art chez les fous" publié en 1907, puis Hans Prinzhorn publiant "Expressions de la folie" en 1921. Ce faisant, il amorçait une ère où entraient en scène des autodidactes jusque-là oubliés derrière les murs de leurs asiles, en milieu carcéral, ou seuls au fond de leur jardin, moqués, méprisés, considérés comme des fous, à tout le moins des marginaux. Ces gens-là sculptaient sur tout ce qui leur tombait sous la main ; peignaient sur les plus invraisemblables supports ; collaient mies de pain, papiers et épluchures ; composaient poèmes ou pictogrammes… se souciaient comme d’une guigne des réactions qu’ils suscitaient… créaient simplement pour souffrir moins ; oublier leur solitude ; sans conscience ni volonté d’être considérés comme, ou de devenir des artistes. Sans désir, surtout, de vendre ces œuvres qui embellissaient leur vie et le cadre misérable dans lequel elle se déroulait.

           Et soudain, leurs productions furent reconnues, encensées, exposées, muséifiées même ! Et tandis que ces créateurs anonymes qui s’étaient mis à l’ouvrage en toute ignorance du monde extérieur, demeuraient en leurs huis clos, leurs œuvres devenaient un art à part entière et prenaient la clef des champs.

           En même temps, Jean Dubuffet, interdisant aux autres, dans les années 30, l’emploi du terme "Art brut" , déclenchait une véritable déferlante de néologismes (L’Art immédiat ; les Friches de l’Art, La Création franche, l’Art cru, l’art intuitif, l’Art spontané, l’Art médiumnique, l’Art du bord des routes, l’Art insitic (inné), l’Art différencié, l’Art en marche, l’Art en marge...) Néologismes sortis de l’imaginaire de gens concernés par ces créations étranges ; et qui, finalement, s’inscrivaient toutes dans une même démarche solitaire, un même esprit riche, foisonnant, protéiforme ; s’intégrant au fil du temps à une mouvance qui, après l’Art hors-les-Normes d’Alain Bourbonnais à la Fabuloserie de Dicy (Yonne), en France donc, et les Singuliers de l’art (exposition de 1978 au Musée d'Art Moderne de Paris), allait constituer l’ART  SINGULIER.  

Mais, rétorque-t-on souvent, tout art ne doit-il pas être singulier ? Bien sûr que si ! Mais dans le cas de l’Art Singulier, il y fallait des majuscules, car sa connotation si particulière, tellement spécifique désignait outre l’originalité et le talent autodidactes, des créations situées dans une absolue marginalité. 

Trois quarts de siècle se sont écoulés. Le terme "Art brut" qui aurait dû demeurer entre les murs du musée de Lausanne, n’en finit pas de courir le monde. Dans le même temps, que s’est-il passé dans le microcosme de l’Art Singulier ? En sont devenus partie prenante, nombre de gens formés par les Beaux-arts, soucieux de se libérer des carcans contemporains, et sincèrement désireux de trouver dans cette marginalité, une fraternité, une convivialité qu’ils ne trouvaient nulle part ailleurs. Et puis les autres, qui sentaient le vent tourner…Quoi qu’il en soit, finie la seule création autodidacte ! Une nouvelle vague était née, qui traversa plusieurs décennies. Mais ces nouveaux venus non plus " indemnes de culture artistique "(¹) mais possédant souvent de solides connaissances, étaient trop remuants pour rester dans le monde réservé où étaient cantonnés leurs prédécesseurs. La mouvance Singulière grandit de façon tentaculaire, conservant encore, heureusement, beaucoup de fraîcheur et de sincérité. Et puis, très vite, elle commença à essaimer…

Aujourd’hui, l’Art Singulier, porteur de tant de richesses, de fantasmes et de formes tellement inattendues, continue, malgré les changements, à susciter surprise et émotion. Mais il s’exprime désormais dans un champ aussi large et diversifié que l’Art dit contemporain. Souvent côte à côte avec lui, d’ailleurs. Subséquemment, il reste à se demander, compte-tenu du fait que, trop souvent les artistes se réclament de ce label sans même connaître son histoire, combien de temps il résistera au chant des sirènes, et préservera sa si passionnante hors-normalité ? Tous ces créateurs en se dégageant des formes plus classiques, en s’emparant de matériaux inédits, en concoctant leurs œuvres, réinsufflent de la vie dans l’art, le désacralisent, le popularisent certes, mais que sont devenues les définitions antérieures ?

Hugues Leroy et Jeanine Rivais
Hugues Leroy et Jeanine Rivais

DANS CES CONDITIONS, OU SE SITUE LE BIZ'ART FESTIVAL PAR RAPPORT A L'ART SINGULIER ?

La Belgique a une longue histoire concernant l'Art brut : Le Musée de l'Art en Marge, le Creahm, en sont la mémoire ; des centres comme La Pommeraie œuvrent pour en conserver l'esprit, tout en essayant de faire connaître les créations imaginées derrière leurs murs.

Il va de soi que le BIZ'ART FESTIVAL, né en 2013, se situe dans l'émancipation de ses exposants par rapport à l'histoire et malgré sa définition qui se veut dans une marginalité. D'autant que, s'étant voulu d'emblée "international", s'il propose des créations qualifiées de «bizarres, abracadabrantes, inhabituelles, drôles, curieuses, surprenantes, épatantes, déconcertantes..." (²), les exposants ont indifféremment étudié l'art, ou sont autodidactes ! Par eux, donc, (comme tous ceux qui suivent la même démarche), qui, animés du souci de vendre, ne se contentent plus du seul  plaisir de créer, mais reproduisent trop souvent l’attitude des artistes et des voies officiels, soucieux de réussite, la Singularité est grandement menacée.

Par ailleurs, leur volonté d’exposer “partout” les place en porte-à-faux par rapport à l’attitude singulière : nul, en effet, n’est doté du don d’ubiquité : comment être "Singulier" au sens originel, c’est-à-dire hors des voies piétinées ; et dans le même temps, les piétiner soi-même ? La question non ambiguë est donc : le festival de Han-sur-Lesse, comme les nombreux autres en France sont-ils toujours des festivals d'Art singulier ? 

Par contre, la volonté du festival  de Han-sur-Lesse est avant "tout d’être une rencontre : rencontre des artistes, rencontre des histoires, rencontre des idées, rencontre des regardeurs… des rencontres qui entraînent bonheur et questionnement" (³). Il s’agit d’un choix, avec une évocation qui fait partie intégrante de nos racines et de notre patrimoine. Ces artistes que rien ne détourne de leur monde sont des bâtisseurs de l’imaginaire, ils s’expriment en toute liberté et livrent leur monde intérieur à qui veut prendre le temps de les regarder, de les écouter. 

Quant à la qualité de cette énorme exposition, elle est indéniable, haute en couleurs, attestant de la diversité des imaginaires et de la créativité des participants. Une belle manifestation, organisée par Loran Haesen,  Mauricette Jordant, Hugues Leroy, et quelques complices, et menée dans l'amitié (internationale, donc ! ) et la convivialité !

 

Restons malgré tout optimistes ! Espérons que longtemps encore tous ces courants hors-les-normes enrichiront, hors des sentiers battus, la création picturale mondiale ! 

Et que, contre vents et marées de la modernité, le goût des œuvres sincères (hors le respect des consignes de Dubuffet, lointaines désormais), elles continueront à participer d'une authentique marginalité, même s'il faut admettre à regret que le mot "Art singulier" est bel et bien, à Han-sur-Lesse comme ailleurs, devenu obsolète.

                               Jeanine Rivais.   

 (¹)Jean Dubuffet.

(²) Qualificatifs proposés par les visiteurs.

(³) Marthe Pellegrino, fondatrice du Festival de Banne en France, en 2000.