LES SCULPTURES DE PAPIER D'ISA PAPASIAN

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   Il est surprenant de voir comment, arrivant en un lieu anonyme, Isa Papasian commence à en couvrir les murs de pages de très vieux livres jaunis, patinés  par le temps, aux images grises ; le tout disposé  à l'endroit, tête bêche, ou perpendiculairement à la logique, de façon à ce qu'aucun espace ne subsiste entre les feuillets. Et, lorsqu'elle a ainsi constitué une sorte de cocon, elle apporte les sculptures qu'elle a  créées avec des papiers similaires. 

     Et c'est alors que le visiteur, surpris par la beauté de ses œuvres imagine combien d'heures elle a passées à "mâchonner" ces papiers, pour les réduire en pulpe ! Heureusement, lui vient à l'idée de consulter son dictionnaire, et être ainsi rassuré ! Car l'artiste, en fait, ne s'est pas fait les dents sur ses vieux livres, elle a tout simplement employé le deuxième sens du mot "mâcher" qui signifie : "Couper sans faire une section nette, déchirer". Puis elle roule ces bandes en colombins encollés et les pose côte à côte sur un support ou dans un moule, ou les presse entre des moules positif et négatif. Lorsque la colle sèche, l'objet ainsi formé durcit, devient très résistant et garde la forme. Techniques qui la ramènent aux XVIIIe et XIXe siècles où elles ont connu un grand succès. Et grâce auxquelles, elle obtient un sujet léger, solide, et élégant. 

     Par ailleurs, la sculptrice se donne quelques consignes : n'utiliser que des papiers ayant déjà servi : Vieux livres, comme il est dit ci-dessus, mais aussi papiers alimentaires, kraft, etc. ; tous matériaux qui ont eu une vie propre, A partir de là, ses œuvres sont toutes tridimensionnelles, murales ou spatiales, avec toujours une résonance contemporaine. Et ainsi, se développe une création originale, et toujours étonnante née de la relation très intime entre ces matières premières et Isa Papasian. 

      Laquelle ne se simplifie pas le travail, tantôt utilisant et prolongeant les dessins imprimés ; tantôt créant de véritables palimpsestes en reconstruisant, à la place des textes préexistants, ses propres images et ses textes. 

 

          Ainsi, naît, trônant sur un lit de jetons blancs ou roses, une tête de mort aux gros yeux ronds, au crâne tatoué, orné d'une fleur, qui ramène Isa Papasian à toutes les Vanités réalisées par les peintres et sculpteurs à travers les âges et symbolisant à la fois la vie, la nature, l'activité et la mort ; et qu'elle intitule "Joyeuse vanité", sans doute parce que, sous son globe de mariage, elle a l'air de rire ? Ailleurs, également sous globe, se dresse une main similaire à la célébrissime Main de Fatima dont les origines et interprétations sont si diverses qu'elles suggèrent des mondes des Mille et une nuits, d'autant que sur presque chaque doigt, voltige ou se pose un oiseau, d'où le titre "LA CHANCE TE SOURIT", et en anglais et en calligraphies diverses, "TO Fabulous Birdland" et que des écritures le long des doigts (Terre / Sommeil / Chéri / Fiesta) précisent l'évolution des pensées de l'artiste. D'autres encore, enfermés dans des bocaux à large col, suscitent la perplexité : une sorte de scarabée noir géant ; une chauve-souris, peut-être, pendant la tête en bas, sous le titre paradoxal "La tête dans les étoiles" ! 

          Et puis, il y a ceux "hors-les-verres", des poupées aux corps/totons dont le bas semble prêt à tenter le destin en tournant au gré du hasard ; tandis qu'une fois passé ce qui pourrait être le bouton tourneur ou une taille très fine, se dresse le buste d'une femme au-dessus duquel se présente une tête  : photographie, peut-être, chaque fois encadrée ; ou carrément création variant de la tête de chat tirant la langue, à la tête aux yeux bandés au-dessus d'une paire de seins très nettement détachés, etc. Toutes ces "personnes" sont faites de la pointe du bas aux cheveux, de multiples boudins, peints de couleurs différentes, toujours en harmonie les unes par rapport aux autres. L’inventivité et l’audace de ces oeuvres les imposent instantanément tandis que leur puissante charge évocatrice empêche toute conception d’une figure unique et définitive, et laisse ainsi libre cours à d’autres formes possibles.

         Viennent enfin les plus simples, tableaux suspendus sur les murs de papiers ! Tout simples en effet, papiers plats, sans fioritures, représentant de petites scènes comme si l'artiste voulait entrer dans le monde du conte ! Et, procédant ainsi, elle crée des objets dont la beauté devient matière à poésie.

 

     Pénétrer dans l’art polymorphe d"Isa Papasian, c'est à la fois admirer le savoir-faire de la technicienne et l'osmose tellement parfaite qu'elle a créée avec les vieux papiers ; et sa relation intime avec ses œuvres réalisées dans le respect des techniques ancestrales. Ce qui leur confère une forte puissance psychologique et  en fait un champ de réflexion et un champ rêvé aux propositions infinies pour quiconque sait établir un rapport exclusif à l’œuvre, rare et privilégié.

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.