DOMINIQUE SCHAETZEL ET SES HIVERS

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     Est-ce donc toujours l'hiver dans le monde de Dominique Schaetzel, pour que ses œuvres aient pour fond non pas une belle neige étincelante comme il est dit dans les romans ; mais de tonalité mélancolique née de gris, de bruns et de bleus délavés, en des formes qui se délitent sur des blancs incertains, décomposées en lourdes couches successives s’étalant tantôt à longs traits du pinceau ; tantôt en aplats brutalement appliqués. Toutes actions qui négligent l’illusion de la perspective, au profit d’un espace où tous les éléments du paysage se retrouvent agglomérés en une sorte d’intimité géographique : Toujours, partant d'un point central, des maisons, églises, tours… complètement déjetées. Exprimées en lignes irrégulières, extrêmement simplifiées, avec des "maladresses" comparables aux tentatives des dessins d'enfants ; corroborant par leur aspect de guingois l'instabilité de la scène. Avec parfois, des troncs couchés sur lesquels résistent des écritures à demi-effacées ; laissant supposer qu'elles étaient des messages dont le passage du temps aura oblitéré le sens : "… à l'homme et du pé…", "… ETAT…"; ou bien encore, des murs disparaissant sous des affiches déchirées, parmi des pages d'écritures en lambeaux, au milieu desquelles "on" a tagué un énorme homme/oiseau qui, de ses yeux morts, semble regarder le visiteur.

 

        Telle est, très forte, la première impression. Mais en revenant sur ces œuvres éminemment personnelles, hors du temps et des chapelles, s'agit-il bien de neige ? N'est-ce pas plutôt une façon pour l'artiste d'exprimer son mal-être, une sorte de spleen comparable à celui dont souffraient les poètes du XIXe siècle ? Et ce qu'elle aimerait peindre serait en fait, non des paysages, mais des idées, sachant qu'un tableau doit frapper, émouvoir, faire naître des émotions puis une réflexion… D'autant qu'à bien regarder, il est évident qu'elle a peint chaque fois "un tableau dans le tableau", l'un appuyé sur deux parpaings ; ailleurs, accrochée au bout d'une chaîne, une horloge avec un sablier ; ailleurs encore un reflet dans une glace ou un chevalet flanqué d'une statue costumée, au visage invisible ; les coulures servant de lien entre le "contenant" et le "contenu". Que ce paysage hivernal silencieux se retrouve à l'"intérieur" des lieux proposés, lesquels sont vides de toute vie humaine, à l'exception d'une silhouette vêtue de rouge, à peine visible à travers une sorte de brume. Est-ce chaque fois l'artiste en lévitation peut-être ; en tout cas en dés/équilibre sur un fil ; ou de dos, se dirigeant vers des fenêtres situées au fond du tableau ? Si, comme tout le laisse supposer tel est le cas, alors le visiteur a la confirmation que cette œuvre à l'esthétique déroutante, est bien le miroir de la personnalité de son auteure, avec ses zones d'ombre se prêtant à revivifier le mythe de l'artiste. Et que c'est plutôt la vie qui, pour Dominique Schaetzel, EST  "l’hiver" ?

 

     De cette création où se devinent les silences, le cheminement des mots vers les images et inversement, résulte une poésie sèche, dont l'évidence profondément humaine n'apparaît qu'après avoir longuement gratté sous l'"apparence hivernale". Car, finalement, aucun laisser-aller ne peut alerter le spectateur dans ces œuvres tellement denses. Une introversion absolue, un sentiment subjectif profond de souffrance latente, d’incomplétude… Tout cela créé non pas, comme il est habituel, par l’expression, mais au contraire par la non-expression, par toute cette humanité suspendue qu'il ressent comme un manque (au fond, ne souffre-t-il pas de cette absence d’image de lui-même ?) Et il faut saluer le grand talent de Dominique Schaetzel, son savoir-peindre et son souci de l’action de peindre, son imaginaire mono-obsessionnel qui lui permettent de "dire" avec du non-dit !

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.