LES MASQUES DE KARINE AUDOLI-FRATICELLI dite KA

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          Les masques de Ka sont-ils en terre, comme il y paraît pour certains ? Sont-ils en carton ? Sont-ils faits d'autres matières ? Sont-ils un savant mélange de tous ces matériaux qui, depuis l'aube de la vie, ont fasciné les hommes : combien, à travers le monde, de Vénus callipyges, de statuettes ventrues ou filiformes, correspondant à des rites antédiluviens, à des mythes qui enchantaient ou terrorisaient leur vie ? Combien de statuettes faites des bois les plus durs ont-elles servi d’offrandes, allongées côte à côte avec le défunt dans les sables du désert, les houilles des pays humides, les tumuli protégeant des sépultures, etc. ? Parallèlement, au fil des siècles, qu’il s’agisse de personnages ou d’objets, les plus grandes fantaisies ont pris corps, variant les formes, modifiant les textures, les couleurs…

 

          Il est évident que, dans ses créations, Ka aime l’idée du masque, les variations qui lui permettent, lorsque la forme ne se suffit pas à elle-même, de faire des assemblages : elle prend alors ici du papier, là du carton ou de la ficelle… Évident aussi qu'elle est, dans son travail, à la recherche de l’être humain : homme ou femme… mais être humain. Et ce qui semble surprenant, c’est que chaque "sculpture" ait "un physique" différent : les unes sont banales, lourdes ; la recherche se faisant sur les éléments du matériau. D’autres sont beaucoup plus théâtrales. Certaines sont même très élaborées. Et il s’agit là, en tout cas, de créations résolument baroques,  personnages entiers ou simples visages. 

          Avec une précision remarquable et une délicatesse d’orfèvre, sur les uns, dont il est difficile de définir la (les) composante(s), elle génère de légers reliefs et champlevés aux motifs répétitifs ; séparés par des guillochures formant triangles. Monobloc pour l'un, un œil cyclopéen barre le front, tandis que deux yeux "normaux" dominent un nez épaté au-dessous duquel est enfermé, dans une loge circulaire, ce qui ressemble à une petite urne, au-dessus d'une bouche triangulaire : S'agirait-il d'un reliquaire que l'artiste aurait embelli en plaquant de part et d'autre des petites touffes de fils ? ("Bouclier).

          Même problème pour définir un autre visage triptyque, alors que la composition du visage proprement dit est conçue sur le même principe que le précédent : œil au milieu du front empanaché, yeux exorbités, nez collé aux paupières, bouche bée lippue. Mais les deux éléments extérieurs du triptyque sont-ils des oreilles richement ornées de motifs floraux ? Sont-ils là pour garantir un équilibre ? Ou confirmer par les motifs qui les recouvrent, le rôle d'offrande de cette œuvre ? ("Double").

          Et ne serait-ce pas un diable, que ce personnage hurlant, les dents énormes et la langue rouge bien en évidence, les yeux clos sur son cri, brodé et serti de perles tout autour du visage, avec lui aussi, un entour de touffes de fils ?("Grande bouche").

 

          Complètement différent est le travail du PVC, construit chaque fois sur un paradoxe : L'un, simple visage au creux d'une belle rose rouge aux multiples pétales, assis sur une (pseudo-)chaise, comme extrait d'un manuscrit dont le dossier serait une partie ouverte le reste demeurant enroulé, solidement fermé par des ficelles ("Calaverose"). Un autre, au visage également entouré, lui, d'une rose d'un rouge orangé, au-dessus d'un corps coupé aux jambes, aux seins magnifiques, aux épaules sans bras. Mais alors, où réside le paradoxe ? Tout simplement au fait que le corps du second est couturé de plaques cicatricielles ; que les deux visages sont apparemment des têtes de morts : l'un aux yeux/fleurs, l'autre aux yeux charbonneux, tous deux le nez vide et la bouche cousue ! la beauté et la mort  ! ("Blossom")

    Au vu de ces créations de carton, les œuvres de Ka prennent une connotation nouvelle : Tous ces visages intemporels, masques de tous les âges, sans aucune définition sociale, à la fois fantasmes et obsessions d’une sombre réalité ; bâillonnés ou transgressant l’imposition du silence, reflètent peut-être les états d’âme ou les angoisses de l’artiste ? Ou bien appartiennent-ils, dans son esprit, à ces mythes remontant à la nuit des temps, évoqués plus haut ? Ils sont conçus, en tout cas, à l’image de la vie, dans cette zone d’ombre un peu mythique, entre deux états aux frontières mal définies de la condition humaine !

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.