LES PETITS THEATRES DE LA VIE DE SYLVIE LEGENDRE

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          Ce qui frappe de prime abord dans la création de Sylvie Legendre, c’est la grande explosion de couleurs, les complémentarités et les oppositions des bleus crus qui s’enchevêtrent, des jaunes et des rouges sans nuances qui se chevauchent, des verts denses qui s’interposent ; des orange et des violines… créant de ce fait une œuvre majeure, aux vibrations chromatiques si fortes, aux charges de matières si drues, qu’il faut s’éloigner pour les percevoir toutes. Un théâtre de la vie où se happent et se repoussent les sentiments les plus divers. Le tout organisé au moyen de très légers cernes noirs surlignant des personnages aux gros yeux exorbités et brillants entourés de longs cils épais ; le nez réduit à une simple barre ; bouches bées aux lèvres lippues ; cheveux bouclés revenant coquettement de chaque côté du visage. Suscitant chez le spectateur amusement d’abord, puis perplexité par la façon dont, d’observateur il devient observé, car ils semblent lui rendre regard pour regard. 

          Ici, pas d’espaces, aucune respiration ; des personnages serrés les uns contre les autres à tel point que parfois ne se voient d'eux que les têtes ; comme empêchés de communiquer par le fait qu’ils sont souvent d’espèces différentes, hommes/femmes/animaux/ voire végétaux lorsqu'il s'agit de bananes, pommes… La différence homme/femme étant pourtant pour cet observateur plus intuitive qu'évidente  !

          Il faudrait ainsi suivre (en s’amusant de la connotation ludique de telles non-logiques) l’enchaînement de chaque tableau, pour y voir avec quel bonheur les éléments les plus hétérogènes y sont réunis ; comment tout est lié ici par une grappe de raisin, là par un oiseau la queue levée… ; et comment des détails récurrents se retrouvent sur chaque œuvre (femme ou tête de femme presque toujours centrales, vaches et cochons côtoyant une fillette ; chiens chats, lapins (peut-être) entourant une femme etc.)… 

 

     Dans ce déploiement à l’infini de "scènes" où les protagonistes sont apparemment en train de s’ébaudir, à tout le moins de héler quelqu’un, le visiteur s’émerveille également du talent de Sylvie Legendre qui, d'individus statiques, sait créer le mouvement. D'autant que rien ne permet de définir socialement, historiquement, géographiquement ces "présences" immobiles/remuantes … Et qu'ainsi, les créatures de cette artiste sont-elles de nulle part et de partout, de nul temps et de toujours, de nulle chapelle et de toutes possibilités ; de nulle complaisance et contre tous les stéréotypes ! Et que, sur le plan formel elle n’accepte apparemment aucune contrainte. Elle passe, au gré de son humeur d’une sobriété exemplaire à une débauche presque baroque… Parfois, le "dit" laisse le visiteur dubitatif, du fait de l’absence de perspective… D’autres fois, elle ajoute des éléments en relief, (telles ses poêles à frire et ses petites sculptures), comme si ce passage dans la troisième dimension lui permettait d’introduire de l’humour dans une réflexion grave ; et d’insister sur un détail qui, autrement, se serait fondu dans le reste !…

 

          Il s’agit, en tout cas, d’une œuvre forte, sincère, réalisée avec la fausse naïveté d’une artiste soucieuse de styliser ses personnages pour mieux dire l’essentiel ; affirmant ses qualités plastiques et esthétiques d’une grande contemporanéité malgré l’atemporalité évoquée plus haut.

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.