LES VILLES DE CORINNE PIRAULT, peintre

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          De prime abord, la plupart des villes de Corinne Pirault semblent vides ! Pour la simple raison qu'elles forment une unique bande ininterrompue de tours à grande hauteur dont il faut admettre que les architectes se sont donné du mal pour qu'elles soient plus ou moins de guingois, mais très colorées. Pour autant, rien d’anarchique dans les œuvres de cette artiste ; mais au contraire un grand sens de la composition ; car elle possède non pas peut-être le sens de la perspective, mais d’une authentique intuition des lignes de fuite ; grâce à laquelle elle place les éléments topographiques de ses œuvres ; renvoie dans le lointain le ciel bleu -le ciel est toujours bleu-, avec tout au plus quelques légers nuages blancs placés là pour créer un relief plutôt que pour suggérer la menace d’un orage !

          Pas la plus petite ruelle, entre ces gigantesques gratte-ciels ! A se demander comment les autochtones peuvent y circuler ? Mais au fait, les autochtones, où sont-ils ? Apparemment, ils seraient plutôt noctambules ? Car, quand le ciel se fait sombre, que les lumières s'allument, des silhouettes minuscules apparaissent aux fenêtres, aux balcons ; enlacées, tendant les bras… etc. 

Mais alors, pourquoi aménager une situation paradoxale qui veut que la vie diurne –et elle est bien là- ne se trouve qu'à l'avant-plan des tableaux ? D'abord, pour paraphraser le titre d'un film célèbre, "Et au milieu, coule une rivière". Elle est toujours là, peuplée de barques, bateaux à voiles, barges et péniches… Introduisant une note d'humour lorsque les voiles blanches sont couvertes de têtes de pirates ou de légumes ! Et adjacente à la rivière (parfois leur position est inversée d'ailleurs), la route. Et route et rivière, collées l'une à l'autre, adoptent strictement les mêmes courbes, donnant l'impression de franchir toutes deux les mêmes collines. Car le paysage est mamelonné, au point de cacher parfois le bas des tours. Et sur les deux, pas de doute, la circulation est intense! 

Et puis, encore à l'avant, tantôt dans des prairies émaillées de fleurs à profusion, tantôt sur des "dalles" (comme on les appelle en banlieues) couvertes de pavés, là enfin, bruit la Vie ! Là est le domaine des piétons ! Enfants faisant voler leurs magnifiques cerfs-volants si haut qu'ils dominent les tours ; montgolfières qui font rêver ; mères de famille promenant leurs bébés dans des landaus ; énormes femmes/sandwichs portant des placards publicitaires ; cirque préparant un spectacle, entouré de ses caravanes autour desquelles s'exercent des équilibristes ; petits groupes bavardant… le tout constituant un  microcosme très coloré. Mais, quelle que soit leur situation géographique, les êtres qui peuplent cette avant-scène, sont tous de même taille. Et, comme dans l'esprit de la créatrice, ils sont en parfaite harmonie avec leurs habitations, ils sont aussi petits qu’elles sont grandes ! 

Alors, une question se pose : où sont ces villes ? Apparemment, elles sont sans nom ! Et la seule carte susceptible de les situer se trouve dans la tête de Corinne Pirault. Dans son cœur, plutôt, car ses créations ne se veulent ni ethnographiques ni sociologiques. Elles "sont", tout simplement ; bâties au gré de sa fantaisie et de son imaginaire.

   

Parfois, à moins qu'il ne s'agisse de décorer ces villes, -(Avec des tags ? Mais où seraient ces décorations qui n'apparaissent nulle part, mis à part un gigantesque personnage tout couvert de dessins qui domine une ville entière ?)- est-ce le repos du guerrier ? Car l''artiste les quitte et "part en voyage", littéralement d'ailleurs, puisque apparaissent des titres comme la "Pescaderia" qui suggèrent qu'elle repense à de lointains horizons ? Isolément, ce sont des têtes fleuries, humaines ou animales… D'autant plus décoratives, après la sobriété des paysages urbains. 

Pour ne rien dire de ses girafes en trois dimensions, ses champignons, et autres veaux, vaches, cochons… 

 

         Ainsi, Corinne Pirault va-t-elle peignant à sa façon naïve sa réalité, créant une fiction gentille ; explorant son monde si personnel fait de tendresse et d’innocence. Mais une innocence mêlée de réflexion, de subjectivité, d’intransigeance. Tout est donc pour le mieux dès lors qu'ayant défini ce qui lui est important, elle crée sans se soucier de temps, de modes… Crée pour son plaisir, tout simplement !

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.