LES POPULATIONS HETEROGENES DE BERE

***** 

Hétérogène : "Composé d'éléments différents". N'est-ce pas l'adjectif qui qualifie le plus exactement les créations de Bere ? 

          Déjà, entrant dans son exposition, le spectateur est accueilli par un mur entier de "tableaux" constitués de collages proposant des pages de vieux illustrés : Et là, il se demande si c'est par nostalgie que l'artiste offre côte à côte "DU SANG ILLUSTRE", "LIBEREZ L'INTESTIN près de chez vous", "HALEINE FRAICHE A L'EXTRAIT DE VIANDE" et autres joyeusetés rétros… ? Mais en s'approchant pour lire les autres propositions écrites en plus petit, il se dit que c'est impossible, que comme pour ses créatures dont il sera question ci-dessous, toutes ces saynètes dûment encadrées et placées sous verre sont de la Récup', des éléments isolés qu'il a reconstitués pour créer ce monde tellement kitsch, où finalement prévaut l'humour ! Car dans la première citation évoquée, le couple de mariés est bizarre ! bizarre ? Devant un décor de murs très XVIe arrondissement, la jeune mariée vêtue d'une robe et manteau ultra-chics donne le bras à son époux, mais dans l'autre main, elle tient un pistolet, et elle tire la langue d'un air jubilatoire ! Lui, costume bobo démodé, tient un énorme verre à vin, mais il est coiffé (aveuglé ? ) d'une sorte de soucoupe volante d'où sortent trois tubes (ses cornes ? Un moyen d'évacuer ses pensées ? Des appendices nasaux ?...)

          On pourrait, dans le même esprit, décrire le second, où le personnage hilare est drapé dans le manteau bleu fleurdelisé du sacre de Louis XIV, mais le sceptre inversé de celui-ci a été remplacé par une brochette sculptée d'une main recroquevillée ; tandis que la tour de Pise penche plus que jamais et qu'un petit personnage tiré d'une BD des années 70/80 (¹) en chapeau haut-de-forme cligne de l'œil d'un air coquin ! Ou le troisième, dans lequel, carrés devant une carte d'Etat-major, deux personnages trapus ont eu la tête remplacée par un vieil appareil photos pour l'un, par un masque à gaz pour l'autre… Et continuer ainsi, à l'infini, de tableau en tableau, jusqu'à l'extrême bout du mur ! 

 

Aussi insolites et fascinants, sont les personnages créés de la tête aux pieds par Bere. Aux pieds… Façon de dire, car certains n'en ont pas, limités au bas du dos ; chez d'autres ils ont été remplacés par des pilons, ou encore par des pattes de crabes …

          Non que le sculpteur ignore l'anatomie humaine, il est même très capable de modeler une magnifique créature, grandeur nature, musclée comme un homme, fuselée comme une femme parfaitement galbée ; au visage énergique, séduisant avec ses traits bien découpés. Bref, ambivalent. Viril. Mature. Dont l'allure générale suggère un contraste excitant. Avec des zones troubles. Le mystère. 

          Mais, là commence la fiction, car la tête de ce Roméo est  entourée d'un paraphernalia inattendu : couronne moulée au sommet, au-dessus de laquelle dansent à qui mieux mieux, jambes et bras de baigneurs apparemment en celluloïd ; pieds de rétroviseurs sortant des tempes, téléphone archaïque collé à une oreille et attaqué par des ciseaux pointus, etc. Un allochtone, finalement ? 

 

Mais, cette perfection physique à l'"imitation de…" est-elle, pour Bere, trop peu imaginative, trop similaire aux "vraies" personnes ? Uniquement une affaire de technique ? Toujours est-il que, fantasmagorie oblige, il a créé des êtres, incontestablement humanoïdes, mais proposant toutes les sortes de configurations imaginables d'anatomies ! Ce que l'on pourrait en somme définir comme des corps anarchiques. Les uns ont des têtes, parfois des corps de poupées,  les autres des bustes de mannequins tronqués… Bipèdes ou apodes. Mais pour tous, "Qui s'y frotte s'y pique" ! Car ils sont lardés de clous, de fils, de piques… tantôt partant des cuisses ou du front de l'individu… tantôt en éventail à partir de l'articulation, remplaçant les bras… tantôt encore émergeant du sexe… ! 

          En somme, issus d'un imaginaire varié et sans limites. Un monde magique, des créatures de légende, oniriques ou fantastiques, toujours irréalistes, venant du plus profond des fantasmes de l'artiste pour évoquer la science-fiction. Des êtres qui, au-delà de la fascination qu'ils suscitent, laissent  chacun  libre d'en donner sa propre vision.

Jeanine RIVAIS

(¹) Les amateurs de BD connaîtront sûrement son nom ! 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.