COUPLES ET INTIMITES DANS L'ŒUVRE D'EMILIE TEILLAUD, peintre

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          Pour quelle nécessité intérieure Emilie Teillaud enferme-t-elle nombre de ses personnages dans une sorte d'ovale ? Est-ce parce que les formes circulaires renvoient à l'idée de perfection ? Ce serait une façon simpliste d'interpréter ses œuvres ! Non qu'il s'agisse d'ailleurs, à proprement parler de tondi, mais d'un sentiment de rotondité qui fait que même si l'ovale n'est pas matérialisé, les personnages se retrouvent en des arrondis qui le suggèrent tout de même.

          Il faut dire que presque toutes les scènes proposées par Emilie Teillaud représentent des couples étroitement enlacés ! Ils sont donc là comme dans un nid, dans la plus étroite intimité ! A tel point que parfois, ils semblent ne faire plus qu'un. Certes, l'artiste souligne certaines formes et travaille le contour en glissant sur la surface du tableau, mais liés l'un à l'autre, il est impossible de dire à qui est cette cuisse, à qui ce pied, etc. Seules, les deux têtes sont distinctes, tendues l'une vers l'autre, les yeux clos sur leur plaisir, les lèvres collées en un baiser passionné. 

 

          Face à une telle récurrence, le visiteur se dit que c'est forcément autant de fois l'artiste, mais il ne peut s'appuyer sur aucun contexte. C'est-à-dire que les fonds (rares, les "amoureux" occupant généralement tout l'espace) ne sont pas signifiants. Les vêtements, quand il y en a, sont toujours atemporels. Aucun détail ne permettrait de les situer géographiquement, socialement ou historiquement. Alors, pourquoi cette volonté de n'être ni dans le temps, ni dans l'espace ? Est-ce parce que seule, la figure humaine l'intéresse ? Et peu importe le contexte dans lequel se situe l'"histoire". D'ailleurs, mis à part les yeux clos déjà évoqués et qui suggèrent un infini plaisir, lire une expression sur un visage de l'artiste n'est pas toujours évident. Peut-être, même, n'est-ce qu'une fois sur la toile, qu'elle peut réaliser la signification de cette expression, et se rendre compte de ce que son subconscient a créé. Comprendre qu’il a foui à travers de nombreuses couches, avant de parvenir à une histoire qui se rapporte à elle, ou à ce qu'elle pense du monde. Car aussi succinctes et répétitives soient-elles, ces personnages appartiennent à des histoires créées de façon très intime par Emilie Teillaud. Et les couples, dans cet univers à la fois spontané et longuement échafaudé, sont conçus avec un sens aigu d’une dramaturgie picturale. Peut-être, d'ailleurs, est-ce parce que le côté aléatoire de cette expression la laisse insatisfaite, qu'elle quitte parfois les tondi pour aborder des calligrammes dont les commentaires lui permettraient d'expliciter certains états d'âme ? 

         

          Quelle que soit la réponse, ce qui frappe de prime abord dans cette œuvre foisonnante, outre le fait qu'aucune géométrie ne figure dans les déploiements d’énergie, l'explosion de rythmes brisés sitôt nés ; c’est une grande science des couleurs, les complémentarités et les oppositions des bleus violacés qui s’enchevêtrent, des rouges sombres ou des jaunes disposés avec parcimonie pour faire vibrer ces bleus ; le tout s’organisant au moyen de fins surlignages noirs séparateurs, entre lesquels jouent les ombres et les lumières. 

     Finalement, autobiographiques ou purement fantasmatiques, grâce à son savoir-peindre, son imaginaire qui lui permet de "dire" sans réalisme voire avec du non-dit… les personnages d'Emilie Teillaud sont, par l’éternité des sentiments qu’ils expriment ou suggèrent ; par leur totale adéquation entre création, réalité et fiction, porteurs d’un message universel d’une poésie puissante !

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.