LES CREATURES MONSTRUEUSES DE WALTER DE RYCKE

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“Monstres sont choses qui apparaissent outre le cours de Nature... comme un enfant qui naît avec un seul bras, un autre qui aura deux têtes”. Ambroise Paré : "Des monstres et prodiges" (1573).

          Etranges, les créatures de Walter de Rycke,  mi-monstres, mi-humains pour la plupart ; carrément monstres parfois ; jamais tout à fait humains ! Tellement proches de toutes les définitions qu'en ont données au cours des âges les chercheurs ! Les uns, les monstres biologiques, n'auront pas de bras, auront des yeux au-dessus de la tête, des pieds à trois orteils, quatre mains, etc., sortes de "Freaks" à promener dans les cirques !  D'autres, les analogiques, seront atteints de gigantisme et percheront leurs minuscules corps en haut d'interminables membres inférieurs, voire affecteront des têtes/bonnets ou trapézoïdales amplement déformées ! D'autres encore sembleront carrément humains, mais auront le corps couvert de lichens peut-être, ou autres végétaux insolites, ce qui les disqualifiera. Pour ne rien dire d'une apparente agressivité, souvent, du fait de leurs dents écartées et pointues. 

          Ces hybrides protéiformes, souffrant tous d'hyper ou hypotrophies encéphaliques, élongations ou rétrécissements des corps et des membres, distorsions, empâtements, absences…  pourraient figurer dans les "humanimaux" de H.G. Welles dans sa célèbre "Ile du docteur Moreau" ! 

 

          Mais au fait, qu’est-ce que ces monstres démontrent ? Longtemps considérés comme des êtres envoyés des dieux dans toutes les mythologies, pourquoi naissent-ils ainsi désormais de façon tellement récurrente, de l'imaginaire des artistes ? Et, en la circonstance, de celui de Walter de Rycke et de sa fantasmagorie ! Car le propos de l'artiste n’est pas d’être hyperréaliste. Mais de faire intervenir d’abord ses talents de sculpteur en choisissant des terres dont les couleurs fades et monochromes vont générer l’immédiateté des silhouettes monolithiques de ses créatures. Un premier stade où seule la forme participe d’une sobre excentricité. Seulement après, intervient le peintre. Qui change totalement leur apparence. Les voilà couverts de taches irrégulières, impressions de couleurs, grisâtres, ocrâtres, beigeâtres… proches mais différentes pour chacun. 

          Mais alors, -est-ce la permanence de ces couleurs ?- Le spectateur a le sentiment que, sous la rigueur paradoxale de cette apparence, se cache chez le créateur, une intense souffrance intérieure ? En tout cas, qu'il est animé de violences pulsionnelles, passionnelles, qui font de ses créations autant de jalons d’une démesure atemporelle, et néanmoins bouleversante.

 

           Malgré cela, il s'agit d'un monde d’où ne surgit aucun malaise, bien au contraire ! La répétition des dissemblances, la récurrence des anomalies, des altérations de la réalité, des signes sexuels très marqués (seins, phallus…) génèrent l’étonnement ; plongent le visiteur dans la perplexité ; éveillent son sens de l’humour, l’entraînent dans un schéma ludique et fantasque auquel il ne s’attendait pas ! Car tous, quelle que puisse être leur possible "catégorie" scientifique originelle, dépassent la définition. Et tous sont tellement laids qu'ils en sont beaux ! 

 

 

Ainsi, la démarche humano-monstrueuse de Walter de Rycke a-t-elle généré une sorte d’ethnographie personnelle insolite ! S’il est vrai, comme le pensent des philosophes, que chaque individu possède en lui sa créature de prédilection, voilà l’artiste perdu dans la multitude de ses réalisations, bien empêché de préciser quelle est la sienne ! Et s’il est vrai, également, que toute oeuvre a une valeur identitaire, alors, plaignons le sculpteur qui, dans son inconscient, a la tête trop…, le corps trop ou pas assez…, les membres trop ou trop peu… Rêvons ! 

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.