IL Y A UN AN DEJA !

JACQUES SIMONOMIS : UN POETE ET SES REVES

(Mai 1940-Février 2005)

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          Notre confrère Jacques Simonomis est décédé l’an dernier. Beaucoup trop jeune, alors qu’il était encore en pleine créativité. Il était un grand poète, marginal certes. Mais n’est-ce pas le cas de la plupart de nos autres poètes, décédés depuis quelques mois, dont Jean Breton, voici quelques jours ? Il semble que, de nos jours, "la marge" soit une véritable ruche bourdonnant d’idées qui n’atteignent jamais les hautes sphères, mais qui charment un public amateur de "vraie" poésie.

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   "Mon chien s'appelle Oulipo, ma femme Bricoli et moi : Iom ! pour être en avance" J. S. 

 

 Tel un dernier trait d’humour noir, Jacques Simonomis, depuis toujours moralement gêné dans un monde qui ne lui convenait pas, a quitté ses amis. En devenant poète, Jacques Simon, désireux de quitter la horde de ses homonymes, devint un palindrome, SIMONOMIS, qui lui-même, devint plus vrai que vrai, au point que personne n’imaginait que ce nom pût ne pas être le sien!  

     A en juger par ses premiers textes publiés au milieu des années 70 ("Matricule à zéro", "Les sirènes avec nous"), alors qu’il approche doucement de la trentaine, le cordon ombilical semble difficile à couper

         "O les difficultés du nouveau débarqué, 

          Le bateau maternel a quitté le rivage.

          On reste sur le quai

          avec le mince bagage d'une poignée d'années" ;

 mais la volonté irrépressible d’aller de l’avant le taraude.

          "Ma tentative de liberté ne plaît pas

             Qu'importe

                                                                                   Moi je suis de mon tempérament

                                                                                   D'artiste ou de vieillard intelligent".

Une longue série de livres jalonnera les trois décennies suivantes, mais d’ores et déjà, "Matricule à zéro" en a posé les bases, sauf peut-être concernant la prise de conscience politique de l’artiste. D’emblée, ce titre –tous les titres d’ailleurs- est déroutant mais imagé. Passant outre aux définitions sérieuses du dictionnaire, il s’accroche à l’expression populaire, "avoir le matricule à zéro", qui signifie être mort de peur ! Cette définition convient à merveille à l’auteur, comme résumant ses questionnements.

          "Comment vivre

           à la hauteur de nos amours

           à la hauteur de nos mépris

           De nos paroles les meilleures et de nos silences les

           plus révélateurs".

 Ainsi, dès l’aube de sa quête poétique, Jacques Simonomis met-il en évidence son angoisse existentielle. A l’âge où les jeunes gens se sentent des ailes assez fortes pour conquérir le monde, les siennes sont rognées

          "Avec des vols d’oiseaux blessés

           Il n’y a plus de pays du soleil pour nous

           Parents pauvres des oiseaux libres…"

Sachant intuitivement que la route sera dure, il définit alors son éthique de vie et de poésie :

          "A la force du cerveau

           Je maîtriserai la douleur

           Je secouerai l’attendrissement du stupide…

           Je serrerai mes faibles mâchoires

           Je refuserai l’ivresse alcoolique…

           Je me placarderai d’étiquettes d’or et de décorations

           Et je déambulerai place de la Nation..."

          Dans plusieurs de ses recueils, ces idées se bousculent, et il lui faut faire un formidable effort pour parler de la vie, et non pas comme ce serait si facile, de la mort. Révolte et volonté de vie sont si prégnantes qu’il en bégaie, hache les vers, passe au vers libre, chamboule certaines tournures ; en vient à des allitérations ; à des interrogations exclamatives ("Insensé ! Quand donc comprendras-tu ?"), etc. Enfin, n’en pouvant mais, à bout de souffle et de révolte, il insère, pour se rééquilibrer, entre ces grands moments lyriques, de courts poèmes sans titres, très concentrés, souvent rimés, isolés au milieu de la page blanche. 

          Autre recours, peut-être, contre la solitude et le sentiment d’être mal aimé, Jacques Simonomis affirme la supériorité du poète en général, et sa volonté personnelle de ne tenir aucun compte des opinions d’autrui. Equilibre bancal, sans cesse remis en cause, car au long de sa vie, au long de sa poésie très noire, il constate à diverses reprises sa différence avec ceux qui l’entourent.

          "Par l'amitié

           Déserté

           Jugé par l'amour

           à la famille étranger

           En désaccord permanent avec la foule.

           Seul vraiment".

Et subséquemment se demande avec la plus grande rigueur et honnêteté :

          "Homme sensible parmi les hommes, à quoi sert ton art ?

           Es-tu bouffon ? Es-tu d’église ? Es-tu de politique ?

           Que prétends-tu ? Que veux-tu ? Etre un homme ?"

Jacques Simonomis, le poète au champ (de Jeanine Rivais et Michel Smolec)
Jacques Simonomis, le poète au champ (de Jeanine Rivais et Michel Smolec)

    Au fil des recueils suivants, Jacques Simonomis reprend ces thèmes. Et, à ce propos, le lecteur peut se demander si le poète n’a pas, au cours de ces quelques trente années, été sans cesse trahi par l’homme ? Déjà, comment faire comprendre que l’on crève de mal-être, lorsque votre compagne est une amie précieuse, attentive, toujours souriante et complice ? Mais surtout, comment paraître sincère, lorsque votre corps est plantureux, que votre trogne est celle d’un bon vivant, que vous possédez une gouaille et un humour au vitriol, un sens rare de la gaieté et de la convivialité… ? Jacques Simonomis a dû bien des fois maudire son corps, antinomie de son esprit ! D’ailleurs, il parle souvent de lard, de carcasse, par dérision contre ce corps qu’il n’aime pas. (Un humoriste aurait pu avec bonheur croquer le "corps mi-groggy", le "corps négatif", la "tranche de lard" de cet être 

          "fier il est bête

           c'est moche

           Sa caboche 

           S'effiloche".

De plus en plus dur avec lui-même, il ajoute : 

   " Je me regarde dans la glace

                                                                 Et je regarde sans comprendre

                                                                 Ma tête de mort masquée de chair vivace." 

 

          Tous ces éléments emmènent crescendo la colère de celui qui "est né d'un orteil d'orage sous l'oeil poilu des Carabosses",

jusqu’à ce qu’il en vienne à un autre thème qui l’a également beaucoup tracassé : La Guerre d’Algérie. 

          Après des années de silence sur le sujet, comme une prise de position de fin de siècle, Jacques Simonomis publie en 1999, « La Villa des Roses ». Dans ce lieu de sinistre mémoire, "Un jeune homme de vingt ans embarqué dans une aventure qui ne le concernait pas" aurait pu parler 

           "des six égorgés du 16 mars

            1962

            des suicidés au PM

            Pendant la garde".

Ce recueil est celui d’une prise de conscience. Il va de la constatation amère d’être « différent », pas accepté

          "Les nomades ont rabattu leur porte en peau de bique

           à notre passage"

à la tristesse du jeune appelé qui commence à percevoir la gravité de la situation

          "Le village est cerné

           Tout bascule

           La guerre est là

           Paix à ceux qui nous tirent dessus";

à l’évidence de s’être laissé entraîner

          "Pour ne pas être un lâche

           Pour faire comme les copains"

à l’évocation directe et brutale de la sale guerre et surtout de la torture. « La Villa des Roses » est un livre beau comme un chant de deuil, comme une mélopée tendre ; même si cette tendresse est parfois recouverte par la honte dite avec une ironie désespérée. Sans doute, la maturité de cet ouvrage est-elle liée au temps très long qui s’est écoulé entre les faits et le souvenir. La publication a-t-elle eu pour but de conjurer enfin des peurs dont la rémanence était devenue impossible à endiguer ? Ou bien Jacques Simonomis a-t-il tout simplement éprouvé le besoin, le désir de témoigner ?

 

          Ultime garde-fou, quand l’intensité devient insupportable, quand la coupe est trop pleine, le poète fait appel à un humour féroce. Il devient tour à tour narrateur avec ("L’Essayeur" et "Un âne sur le toit")  pour lesquels on le dit "cousin d’Alphonse Allais, Boris Vian, Tristan Bernard"…) ; bateleur, bonimenteur ("La Parade du cirque" ; homme politique en campagne électorale ("Ca marche ou la Pariade politique")… 

 

Somme toute, Jacques Simonomis paraît détendu uniquement lorsqu’il parle des autres. Ce parcours personnel est en effet ponctué de textes, d’entretiens : Après "Le Triangle sacré" où il "rencontre"

         "Carco Francis qui s’y connaît en cuisses, en cailles, en brumes et en bohème", ce sont successivement Picasso, Archipenko, Pascin, Le Lorientais, Dizzy Gillespie, Jehan Despert, Jean Rousselot, François Lavaur, bien d’autres… Il parvient en 1987/88 à deux poètes régionalistes, l’un, Eugène Bizeau ("Vous avez dit Bizeau ?"), écrivant dans le plus pur français ; l’autre Gaston Couté ("De la terre aux pavés"), chantre d’un patois savoureux et coloré.

 

 Momentanément détendu aussi, bien qu’il revienne vers lui-même –avec toutefois une pointe d’amertume- lorsqu’il compose ses "Poèmes pour les oreillettes et pour ceux qui les aiment", série de comptines joviales, à l’usage des adultes, bien qu’il ait le sentiment d’y "avoir gardé l’esprit d’enfance". Ce titre bizarre ne résiste néanmoins pas à son esprit critique, puisqu’il devient en 1996, "Il faut savoir lire". Et l’amène à son contrepoint, "Les chiffres, ces gens-là", avec lesquels il semble définitivement fâché. 

 

Après avoir "enjambé" d’autres titres, sur lesquels il faudrait pourtant s’attarder, il est impossible d’occulter un petit bijou d’humour, un poème savoureux, intitulé "Le Point"(¹), ce signe fatidique que Jacques Simonomis traite avec une familiarité inattendue. Il l’insulte, le bouscule, s’en prend à lui comme à quelqu’un qui l’aurait fait beaucoup souffrir, mais à qui il ne garderait pas rancune. Est-ce une façon de rendre un hommage irrévérencieux à ce tabou qui, au cours des dernières décennies à bien souvent disparu des livres de poésie ? Ou à Maurice Carême qui, lui, a joué avec tous les signes de ponctuation ?

 

          Il faut, pour terminer, évoquer, au-delà du poète, le directeur de revue. Les poètes assez altruistes pour consacrer bénévolement et à l’infini à leurs pairs, un temps précieux, se comptent sur les doigts de la main. Résolument généreux, Jacques Simonomis a donné une place immense à des poètes qui ont eu parfois du mal à se faire éditer ailleurs. 

          Et puis, d’esprit intelligent et de culture éclectique, il a offert ses pages à des peintres, sculpteurs, théoriciens des arts plastiques, permettant à ses lecteurs de s’intéresser à d’autres formes de création que la poésie. Les fleurons de cette ouverture (proposés par Jeanine Rivais) ont été le long dossier sur le couple Mirabelle Dors et Maurice Rapin, écrivains et plasticiens de grande originalité, longtemps amis de Magritte, et chefs de file de la résistance picturale aux officialités en place. Et surtout la "Petite histoire des arts singuliers" où Jean-Claude Caire, lui-même fondateur du "Bulletin de l’Association les Amis de François Ozenda", a pu raconter longuement l’histoire de la marginalité picturale. 

          D’emblée, le titre de la revue, le "Cri d’os" (emprunté à Tristan Corbière), affirmait en grinçant, et sans ambiguïté, qu’aucune concession ne serait tolérée, aucune complaisance cautionnée. Et, de fait, s’il fit sans compter place aux autres, il en est pour lesquels Jacques Simonomis ne manifesta jamais aucune mansuétude : ceux qui faisaient les beaux jours de ses "Rostres", ces pages au vitriol où il se répandait en pleurs et gémissements faussement pitoyables et authentiquement désabusés sur les poètes qui lui écrivaient pour parler d’eux-mêmes et réclamer comme un dû des exemplaires de cette revue pour laquelle pendant dix ans, il s’est saigné à blanc !  

 

          Aujourd’hui, et bien trop tôt, le corps de Jacques Simonomis repose en terre depuis une longue année. Ce corps qui, une fois de plus, l’a trahi. Mais pour ceux qui ont essayé très fort d’être ses amis, nul doute qu’ "innombrable", (il continuera de commander) "l’armée invisible des écornifleurs". Qu’ (il leur donnera) la peste, le palu, le typhus, la fièvre jaune et le phylloxéra" ? Qu’ (il sera) "le Venimeux, l’Urticant, le Vésicant et la Cantharide de (leur) indépendance" (²). Comment, dans ces conditions, pourraient-ils l’oublier ? 

                                                            Jeanine RIVAIS

(¹) 1993 ; revue Multiples.

(²)  "Mon siècle en deux".

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 49 DE JUIN 2006 DE LA NOUVELLE TOUR DE FEU ET DANS LE N° 56 DE JUIN 2007 DE LA CRITIQUE PARISIENNE. cf aussi : http://jeaninerivais.fr Rubrique HOMMAGES

 

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Un exemple de courrier de Jeanine Rivais vers Jacques Simonomis, suscité par le fait que certains lecteurs n'aimaient pas trouver un même texte dans deux revues pourtant amies : il leur FALLAIT l'exclusivité !  

Paris le 3 décembre 2007, 

   Mon cher Jacques,   

              As-tu donc envie que l’un de nous, ou les deux se retrouve (ent) chauve (s) pour s’être fait arracher les cheveux par des gens pour lesquels tu (nous) n’aurais (rions) pas respecté la hiérarchie!!?? Sache, qu’en Art singulier comme dans les domaines conventionnels il y a hélas, de plus en plus de “règles” à respecter. Et qu’en aucun cas,  -et d’ailleurs ce ne serait pas juste-  nous ne pouvons mettre sur le même plan Praz et Lausanne ou la Fabuloserie ! Que si tu oublies Bègles, tu recevras un rappel à l’ordre historique de Gérard Sendrey, etc.     Pour cette raison, je te demande donc de présenter le texte remanié, et de demander à ton ami Daniel Abel de formuler autrement sa participation à l’aventure singulière. Excuse-moi! Mais si tu “oses” parler de Chabaud, alors que Danielle Jacqui a créé le premier festival hors-les-normes six ans avant lui, et qu’ils se sont disputés comme des chiffonniers, parce que D. J. n’avait pas donné à L. C. la “place” à laquelle il prétendait, lequel L. C. n’a plus jamais invité D. J. à Praz...tu vas créer une ambiance sulfureuse... et des retombées peut-être peuplées de noms d’oiseaux !  Préservons-nous donc, sans pour autant penser une seconde à “fayoter” ;  en rendant à César ce qui appartient à César. 

          Quant à Merlier, je suis désolée, mais je pensais en effet que Ton Cri... serait poussé bien avant la parution du Bulletin, et comme Jean-Claude Caire ne s’occupe pas si les textes sont ou non parus ailleurs, (il lui arrive même très souvent de les joindre à ses dossiers s’il  juge bon de le faire) je ne croyais pas avoir créé un problème. Mais à l’avenir, je ne donnerai plus à d’autres ce que je te proposerai. Promis, juré ! Et excuse-moi! Le texte sur Stahly est paru dans Idéart , et s’il y a le moindre risque que certains de tes lecteurs lui soient abonnés, retire-le, je t’en donnerai un autre. Pour lui, nous avons le temps ; simplement, préviens-moi que je t’en garde un. Pour Sarah Wiame, aucun problème, je te l’avais “exclusivée”, pour son rapport à la fois à la poésie et à la peinture! J’espère qu’ainsi, je ne te donnerai plus d’états d’âme!      J’espère aussi  qu’à part cela, tu n’as pas de nouveaux problèmes d’édition ! Que ce N° de Noël ne naîtra pas dans la douleur !      Peux-tu nous réserver ta soirée du Jeudi 19 février et l’après-midi du samedi 28 février : sauf contre-temps de dernière minute, ce seront respectivement le vernissage à l’UDAC d’une petite exposition de six artistes singuliers (Carresse, les deux Katuchevski, Nidgorski, Rey, Smolec) que j’ai choisis parce que je les trouve représentatifs des diverses tendances allant de l’Art brut à la création un peu intellectualisée) ;  et ma conférence sur “Une petite histoire de l’Art singulier” à laquelle je demanderai aux artistes de s’associer. Puisque tu t’es introduit dans l’aventure, ce serait bien que tu y  vinsses (!!). Ce sera une modeste expo, et une causerie sans prétention, mais “entre bons amis”. Cela me plaît. Yvette est cela va de soi, invitée chaudement!!! Je souhaite que ce courrier te trouve remis de ton agacement causé par l’”affaire” Merlier. Michel et moi nous vous embrassons très fort, Yvette et toi. A bientôt.

Jeanine