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HENRY MIGNARD, TOUCHE-A-TOUT DE TALENT

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Comment définir Henry Mignard qui, au cours d’un demi-siècle, a effectué à contre-cœur plus d’une vingtaine de métiers pour pouvoir se livrer sans concessions à sa vocation créatrice et qui, dans le même temps, a exploré tous les arcanes de l’art : de la poésie à l’écriture ; de la publicité au vitrail ; du ciné-club aux cafés littéraires comme ce CLEBS (Café Littéraire Epistolaire Bistrot Sélectif) qu’il fit durer trois ans ; du dessin humoristique à l’édition (n’a-t-il pas dans ce domaine participé à des revues aussi diverses que le mensuel « Zèle », les revues « Planète », « Miroir du fantastique », « Satirix »… ; à des journaux comme « Minute » (hum !), etc.). Il ne faut pas oublier (en complicité avec Marc Pessin dont les mondes allogènes sont également infiniment curieux) ses multiples illustrations d’ouvrages d’auteurs célèbres comme Michel Butor, Paul Eluard...

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... Il est bon également de noter les précieux renseignements relevés dans la « Biographie succincte du Professeur Albert-Henry Mignarowicz », réactualisée en 2002 et garantie valable jusqu’en 2916 ! Pour se concentrer enfin (mais le mot « enfin » semble incongru dans le monde d’Henry Mignard !) sur ses courtes nouvelles comme Les Pêcheurs dauphinois, sombre histoire complètement loufoque de voleurs et de volés, de chemises achetées dans une charcuterie, de cheminées qui fument dans le brouillard et dont on ne sait rien depuis le début du XXe siècle car « il a bien coulé de l’eau sous les ponts, disent les vieux du village… » Et sans doute ont-ils raison : le temps semble couler sur Henry Mignard sans atténuer son amour du rire, sa verve, son goût de la bohème, son sens inné de la gaieté, du farfelu, de la dérision. Et peut-être pourrait-on voir en lui le plus abouti et le plus riche de variations, de tous les kaléidoscopes qu’il réalise avec des pierres colorées, des papiers découpés, des ossements récupérés…

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Pourquoi, alors, à l’énumération de tous les rires qui jalonnent la vie de cet artiste, le spectateur/lecteur pense-t-il irrémédiablement au clown Grock tellement triste et qui n’a plus aucun recours lorsque son médecin ignorant son identité lui conseille d’aller voir… Grock ? Pourquoi ce visiteur est-il mal à l’aise, même rétrospectivement, au vu de ces dessins d’humour noir grinçants et dérisoires ; ahurissants d’invraisemblance jubilatoire qui rapprochent Henry Mignard du Surréalisme (comme ce Jésus marchant sur les eaux où il aurait fallu écrire « os ») ; ou, plus directement dénonciateurs de la mécanisation outrancière, comme ce dessin en noir et blanc sur lequel, inconscient du danger un homme tient un pieu à enfoncer, alors qu’à l’évidence le marteau de son collègue va lui tomber sur la tête, et qu’à perte de vue dépassent du sol les têtes de ceux qui ont déjà subi le même sort…)

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Est-ce parce que, conjointement, l’artiste menait une avancée picturale en contradiction avec ces dessins qui, considérés sur leur apparence pouvaient ne sembler qu’intellectuellement satisfaisants ; tandis que ses peintures prenaient des allures militantes plus directement impliquées dans la civilisation contemporaine  en proposant des scènes de villes ou d’usines, avec des ouvriers ; des êtres tassés dans toutes les positions, hurlant leur frayeur de leurs bouches grandes ouvertes et de leurs immenses yeux hébétés ? Est-ce parce que, relatant des scènes d’une vie sociale et ouvrière pour laquelle l’auteur avouait une véritable phobie, elles affectaient des airs étrangement conjuratoires : ne s’agissait-il pas en fait, uniquement, de peindre pour exorciser ses peurs ?

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Néanmoins, même alors, les personnages d’Henry Mignard ne se trouvaient jamais dans des  attitudes de travail, mais dans des situations relationnelles ; et le spectateur ne les voyait jamais entiers : tous semblaient atrophiés. Désormais, si ses « sujets » portent toujours sur l’Homme, ils ont quitté leur facture réaliste ; ils sont devenus des sortes d’entités arrondies et plissées comme des Bibendums, aux contours lourdement surlignés ; baignant dans une sorte de matière pâteuse, peinte comme naguère les toiles des Expressionnistes. Mais ils ont perdu toute connotation spatiale, temporelle ou géographique. Ils se retrouvent définitivement solitaires au milieu de ce magma longuement travaillé comme pour en supprimer les pulsions hostiles et n’y laisser demeurer, à travers les propriétés chromatiques, que les qualités plastiques. Cependant, est-ce sursaut de l’artiste contre cette solitude, qu’Henry Mignard ajoute chaque fois, minuscule, une sorte d’ange gardien, de double peut-être, agrippé au personnage principal, tantôt à la hanche, tantôt entre les jambes, sur le ventre, etc. ?

Peut-être alors, peut-on penser que cette nouvelle formulation, moins naturaliste, plus conceptuelle, corrobore une sorte de transformation personnelle ? Que, l’âge aidant, sa peur des préoccupations matérielles incontournables ait cédé le pas à un sentiment de sécurité ? Que son théâtre de la vie se soit personnalisé en prenant en charge un drame qui, jusqu’alors se jouait au-dehors ? Que son rôle soit parvenu à un moment où sa vie est étale ? Que chaque individu placé sur la toile soit une sorte d’autoportrait incertain, imprécis, encore hésitant ; en face duquel se retrouve Henry Mignard avec pour unique propos de le décrypter ? Qu’il soit, en somme, passé de l’état de créateur témoin de son temps à celui d’artiste universel ? N’y a-t-il pas là matière à gravité ?

                                                           Jeanine Rivais

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