HOMMAGE A LOUIS CHABAUD

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         Louis Chabaud nous a quittés. Et les quelques jours que sa volonté de vivre a arrachés à la mort, après qu’elle ait été inopinément annoncée, ont assurément été précieux pour sa famille qui essayait de le garder le plus longtemps possible.

          Sa vie ne fut qu’un long voyage : dans l’Art singulier auquel il laisse une œuvre personnelle énorme ! Pour ses festivals qui ont permis à de nombreux artistes de montrer leurs œuvres, et de cohabiter… Cohabitation qui était parfois mouvementée !!!

          Voici l’un des textes que je lui avais consacrés en 2008 : 

Louis et Paulette lors du festival de 2003
Louis et Paulette lors du festival de 2003

          Comme beaucoup d'artistes qui décident de sortir d'eux-mêmes, et regarder vers les autres, Louis Chabaud (secondé sans faille par Paulette, son épouse), a été, pendant plus d'une décennie, connu pour son Festival d'Art hors-les-normes de Praz-sur-Arly, petit village de Haute-Savoie. Sa force de persuasion a été telle qu'il a réussi à investir tout le village, ce qui lui a permis d'offrir à la vingtaine d'artistes participant à chacune de ses biennales, un confort unique, une ambiance et une convivialité sans égales. Malheureusement, la vie impose parfois des aléas incontournables, et le couple Chabaud a dû, la mort dans l'âme, arrêter le festival.

          C'était sans compter avec leur esprit d'entreprise. Et les voilà maintenant dûment installés dans un atelier-galerie, inauguré à l'automne 2005, avec une remarquable série de tableaux et de peintures de Louis Chabaud.

Louis et Paulette lors d'un festival
Louis et Paulette lors d'un festival

          Né à Aubagne, Louis Chabaud se laisse guider par Théo Sicar, professeur de céramique, qui l' "empêche de finir à la rue". Il devient santonnier chez Maurice Chave ; commence à peindre des paysages impressionnistes ; pleure sa grand-mère qui l'a élevé ; quitte définitivement son village à 25 ans ; parcourt l'Europe ; devient animateur touristique ; cultive son goût pour les clowneries jusqu'à son amitié avec le comédien Michel Crémadès. Le voilà, avec son comparse, reparti de plus belle ! Spectacles, routes, cafés-théâtres... et toujours son jardin secret fait de peintures, petites sculptures, compilations de satires philosophico-sentencieuses ("Le jour où l'on pourra manger les cons, finie la famine" ; "Chauffeur, tu te prends pour King-Kong, mais tu es plus kong que king"...). Un jour, dans la vallée de Megève, lui vient la certitude qu'il lui faut choisir entre l'aventure du spectacle et l'aventure picturale : ce sera la seconde. Il pose son baluchon, se marie et s'installe à Praz-sur-Arly.

Ces vieux sur leur banc ornent le jardin du musée de la Création franche de Bègles et ornaient celui du musée de Stadshoff à Zwolle en Hollande
Ces vieux sur leur banc ornent le jardin du musée de la Création franche de Bègles et ornaient celui du musée de Stadshoff à Zwolle en Hollande

          A mesure que s'apaise son humeur vagabonde, son esprit part en campagne, abandonne les compositions traditionnelles pour une œuvre totalement fictionnelle, faite de personnages stylisés, aux lignes incisives ; de plus en plus personnalisée, chaleureuse, car désormais, quelle que soit la forme d'expression choisie, l'artiste "parle" de l'Homme.

      Ses œuvres les plus "calmes" en apparence, sont les dessins en noir et blanc, à l'encre de Chine ; tous plus ou moins autoportraits satiriques, dans lesquels un personnage très élaboré ou au contraire réduit à un trait enfantin, "occupe" une place centrale. Animal ou homme, il est nanti d'un visage humain, avec une conquérante moustache "à la Chabaud". Autour de lui, gravitent d'autres personnages très mobiles, dansant entre les "murs" de petits espaces bien cloisonnés, amenant le spectateur à une lecture épisodique comparable à celle des bandes dessinées, et une lecture globale de ces œuvres qui "fonctionnent" en fait en colimaçon, s'enchaînent comme des idées fuseraient une à une, ou bouillonneraient hors d'un cerveau !

Peintures dans l'atelier
Peintures dans l'atelier

          Le voyage imaginaire ne fait que commencer, car Louis Chabaud s'en va très loin, en tableautins colorés dont chacun est une étape d'un long périple cérébral jaillissant ensuite de toutes parts sur des oeuvres de grand format ! Sa démarche prend corps au sens littéral, sous forme de lascives créatures érotiques, nues, plantureuses, tailles de guêpe et seins arrogants. Et néanmoins sylphides, flottant, mordorées, dans des ciels aux bleus tourmentés. Elles semblent jalonner ? perturber ? illustrer ? les occupations ? les fantasmes ? de personnages qui, paradoxalement, ne sont jamais "réels" : linéarisés de manière un peu puérile (La femme est une tornade) ; filiformisés (A chacun sa folie) ; serpentisés (Le lanceur écologiste) ; décérébrés (Jaillissement-né)... Ils sont incontestablement masculins, sans posséder aucun des attributs emblématiques de leur sexe. Lourdement chargés par contre, de symbolisme. Jamais simplement hommes, mais corps-villes, corps-fossiles, corps-pubs, têtes-châteaux... A coups de pinceaux épais, de surfaces piquetées, striées, de collages ponctuels, de grandes taches violentes, l'artiste semble essayer à la fois de météoriser les péripéties de ses petites "histoires" peintes et contrôler ce foisonnement, appréhender ses créations, s'approprier leurs pensées, comme dans ce cauchemar où une main énorme se tend vers vous et vous échappe sans trêve.

Sculptures dans l'atelier
Sculptures dans l'atelier

          Mais grâce à son humour, Louis Chabaud a la chance de se réveiller avant de parvenir au bout du rêve, pour empoigner l'argile, le béton, la pierre...les malaxer en de très concrètes sculptures sur lesquelles semble chaque fois gravé "Mais bien sûr ! Voilà ce qui me tracassait !"... et la drogue, le sida, les ambiguïtés de la religion, la misère des concentrations populaires, la "connerie" à l'échelle planétaire sont tour à tour dénoncés par le truchement de cette litanie de têtes aux couleurs chaudes qui complètent le monde de Louis Chabaud, truculent, érotique, provocateur, volontiers sexiste (car la femme est belle, mais seule la tête de l'homme est remplie de "pensées"), toujours tendre et gentiment ironique : une façon de se moquer de soi, s'écouter pontifier, dédramatiser les problèmes, dire à la cantonade : "Regardez comme je m'amuse ! Faites comme moi ! "Jouez" !

Jeanine RIVAIS

AU BOUT DU RËVE ! Louis y est parvenu. Au revoir Louis ! Nous t’avons aimé !! 

1995 : Louis Chabaud et Cérès Franco lors du 2e festival dnt elle était la marraine
1995 : Louis Chabaud et Cérès Franco lors du 2e festival dnt elle était la marraine