Appréhender l'oeuvre récente de Béatrice Nodé-Langlois sans en avoir suivi la genèse, semble illusoire, tant sont interdépendantes ses "périodes" successives, "sages" ou "folles" : Ballottée de longues phases statiques à de grands bouleversements, tantôt est apaisé son besoin de structures ; tantôt elle s'acharne à régir des avatars, discipliner des désordres. Jusqu'au moment où, tels des graines trop mûres, ils éclateront de nouveau

          Longtemps, elle a erré dans des "paysages" abstraits où affleuraient des têtes floues, de pellucides silhouettes... ; tableaux dans lesquels, les jeux de la matière avaient plus d'importance que le dessin.

          Comme si ces rêveries sans relief étaient malgré tout trop "libres" ; comme si l'artiste était agacée par l'autonomie de ces créatures devinées plus que présentes, elle est progressivement venue à des oeuvres fermées, réseaux très rythmés qu'elle a remplis de lettres ; plages contiguës ou labyrinthiques dans lesquelles se bousculaient, se chevauchaient en une sorte d'écriture somnambulique, ces signes sans signification ; où le peintre semblait n'être préoccupée que de peupler sans coordination ces espaces cloisonnés, faire danser sans souci de les grouper en sarabandes déchiffrables, ces hiéroglyphes de hasard !

          Bientôt, Béatrice Nodé-Langlois a quitté ces aléatoires topographies pour des formes arrondies, sortes de seins/mausolées, sagement agencés par quelque gigantesque maître d'oeuvre dont la conception serait "passée du carré à l'oeuf" (1). Blottis tels des coupoles byzantines les uns contre les autres en cocons ovoïdes, ils conjuguaient leurs couleurs rose gris feutré, douces sans être mièvres, à peine perturbées ici ou là, d'un bref éclat coloré.

          Au fil du temps, ce mouvement s'est exacerbé, a muté en distorsions de plus en plus humanoïdes, jusqu'à devenir des "corps" tellement serrés qu'ils créaient un sentiment d'irrespirable dont il était nécessaire de s'échapper au plus vite !

 

          Actuellement  jusqu'à quand ?  la rébellion est de nouveau ouverte : Des individus en gestation, des ectoplasmes podés ou ailés, des oiseaux... "flottent" dans l'espace pictural ; dominent ou s'effacent par rapport aux plages cloisonnées avec lesquels l'artiste investit les fonds ; transgressent sans ambiguïté les limites qu'instinctivement elle s'évertue à recréer ; enjambent ouvertement plusieurs cloisons supposées les enfermer ; s'imposent comme des entités au milieu des griffures, pointillés... dont elle couvre leur environnement. Pied à pied, le peintre lutte contre cette anarchie, gomme les accidents qui en jaillissent ; arase les reliefs qui surlignent les formes suggestives : les tableaux deviennent podolithes érodés, murs lépreux affectant une texture surannée à connotation poétique parmi lesquels, sûre d'avoir enfin imposé son empreinte, Béatrice Nodé-Langlois promène son errance malicieuse !... Jusqu'au jour, sans doute, où elle s'apercevra que son oeuvre s'est de nouveau dépeuplée et trop déshumanisée...

                                                                       Jeanine RIVAIS

(1) Béatrice Nodé-Langlois.

          L'artiste nous a quittés brutalement, au cours de l'été 2023. Bien trop tôt ! Elle avait encore tant à écrire qu'à peindre. Elle restera dans nos pensées.