QUARANTE ANS DE FIGURATION CRITIQUE

HOMMAGES A MIRABELLE DORS ET MAURICE RAPIN

 qui en firent une manifestation internationale

          L'ANCIENNE, l'originelle FIGURATION CRITIQUE, créée en 1978 par Mirabelle Dors, Maurice Rapin et Yak Rivais, aurait fêté ses quarante ans en cette année 2018.

 

          Dans quelques mois, les amis de Mirabelle(décédée en novembre 1999) lui rendront hommage,  elle qui anima association et manifestations nationales et internationales  jusqu'en 1994 ; où "on" lui fit signer des papiers de passation de pouvoirs, la dépouillant de ce qui avait été si longtemps sa raison de vivre !  

 

           Puisse-t-elle reposer en paix !

 

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Hommage de Maurice Rapin à Mirabelle Dors
Hommage de Maurice Rapin à Mirabelle Dors

MIRABELLE EST MORTE

Hommage de MAURICE RAPIN

Mirabelle Dors  et le Président des artistes de Moscou 1990
Mirabelle Dors et le Président des artistes de Moscou 1990

          “Mirabelle est née en Europe orientale, dans une famille francophone. Très jeune, elle entre dans l’atelier d’un sculpteur célèbre, LUDO, dont Isidore ISOU parlera longuement dans son ouvrage L’agrégation d’un Nom et d’un Messie (NRF-1948). Invitée à exposer à la galerie “A l’étoile scellée”, Mirabelle rencontre, à Paris, René MAGRITTE, Clovis TROUILLE, Jacqueline et Jean-Pierre DUPREY, ainsi que Maurice RAPIN qui l’épouse en 1954. Elle invente alors avec Maurice Rapin, la doctrine et la technologie des “populations d’images”, qui reposent sur des numérations, des énumérations et des analyses multivariées. Quoique ayant beaucoup exposé en galeries, Mirabelle préfère la constitution de grands collectifs d’artistes où son goût du dialogue et du débat démocratique trouve à s’exprimer (Collectif du Dolmen de la Gare Montparnasse, Collectif du Ranelagh...). 

Mirabelle Dors au Grand Palais 1992
Mirabelle Dors au Grand Palais 1992

          Elue présidente du Salon de la JEUNE PEINTURE, Mirabelle fera du vingt-huitième  salon, le lieu d’une prise de parole très étendue. Elle fonde avec Maurice Rapin et Yak Rivais, en 1978, le Salon FIGURATION CRITIQUE, qu’elle anime magistralement jusqu’en 1994. L’expulsion des Salons d’artistes du Grand Palais, accompagnée d’événements très désagréables, altéra la santé de Mirabelle DORS qui fut surtout très profondément choquée par l’attitude des autorités vis-à-vis des salons d’artistes.

Hospitalisée à plusieurs reprises, Mirabelle DORS est morte le 12 novembre 1999.

 

Cet hommage a été publié dans un petit fascicule rédigé par Maurice Rapin qui collationna nombre de photos de Mirabelle dans ses représentations officielles ou auprès de ses amis. Que de souvenirs ces images ne font-elles pas revivre !                 

 

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Sarcophage (Coll. Jeanine Rivais)
Sarcophage (Coll. Jeanine Rivais)

AU SOMMEIL D’AUJOURD’HUI

(Texte surréaliste) : Dans ce palais taillé dans une seule perle, des ombres chinoises labourent les champs avec les doigts de la main. Ailleurs, on a découvert des visages qui se sont imprimés dans des bijoux vivants. Mais un jour reviendra avec des fleurs et des fantaisies musculaires.”

Mirabelle Dors (Texte écrit le 6 mai 1971)

 

Paris le 6 mai 1978                            Mirabelle DORS

Fragment d'une lettre sur des majuscules (¹) : "Il existait il y a quelques dizaines d'années une unité du discours révolutionnaire, on pouvait par exemple passer sans rupture du Marxisme au Surréalisme et réciproquement avec la conviction que le monde s'éclairait ainsi d'une manière foudroyante. Le courant de la vie a fragmenté au maximum ce discours, ce qui fait que la communication ne passe plus, même entre des êtres visiblement proches par les intentions et les moyens d'intervenir dont ils disposent. A l'origine, les problèmes politiques ont été simples pour moi, ainsi le Nazisme a-t-il été un phénomène dont j'eus l'expérience directe et que j'ai combattu, juste âgée de seize ans, sur les barricades de la Libération de Paris. Longtemps cet aspect univoque de la conduite politique m'a semblé être une supériorité, car il me donnait le droit de me soucier de l'Etat, d'où un militantisme qu'il ne s'agit pas de renier. Cependant, c'est je crois la richesse de cette expérience qui me fait paraître pauvre au regard de mes cadets, mais ceux-ci, -s'ils sont estimables- doivent se montrer indulgents, c'est-à-dire généreux, vis-à-vis d'une trajectoire désormais historique. Car certains périodes de l'histoire humaine agrandissent notre vision des êtres et des choses, or toutes ces choses et tous les évènements ne participent pas de la même manière à l'universel. 

Mirabelle Dors : Population d'images
Mirabelle Dors : Population d'images

          Ainsi, Stendhal me passionne, car il surplombe l'Ancien-Régime, la Révolution Française, le Directoire, le Consulat, l'Empire et la terreur blanche de la Restauration. Ce qu'il dit m'est plus essentiel que ce qu'aurait pu écrire  un "génie" accordé au temps du calme plat. Il y a –par conséquent- dans la vie de l'esprit, une inégalité radicale qui ne tient pas à la valeur personnelle, mais à la chronologie vécue et à l'histoire.  Mais il reste la difficulté d'exister dans la transmission d'un message dont l'origine se perd dans la nuit des temps. C'est qu'il faut pour l'interlocuteur, un sentiment aigu de ses propres possibilités pour servir de relai et nous dépendons finalement tous de cette réceptivité. Ainsi, faut-il mettre une majuscule à Bourgeoisie, car celle-ci est la seule classe sociale qui ne s'accepte pas comme…

 

(la suite a été égarée ! Quel dommage !)

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HOMMAGE DE JEANINE RIVAIS A MIRABELLE DORS QUI VECUT ET MOURUT POUR L’ART

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Mirabelle Dors chez Jeanine Rivais. Au mur, un relief de Mirabelle et un Trompe-l'Oeil de Maurice Rapin
Mirabelle Dors chez Jeanine Rivais. Au mur, un relief de Mirabelle et un Trompe-l'Oeil de Maurice Rapin

          “DORS MIRABELLE : (? - 12 novembre 1999). Originaire de Moldavie, après avoir tenté d’animer des groupes surréalistes en Europe de l’Est, Mirabelle Dors fut accueillie à Paris, en 1952, par André Breton. En 1954, elle se prononça contre l’adhésion du Surréalisme au “tachisme” de Charles Estienne. Avec Maurice Rapin qui allait devenir son mari, et quelques autres, elle se rapprocha de Magritte avant de fonder la “Tendance populaire surréaliste”. Peintre et sculpteur, Mirabelle Dors fait surgir de ses reliefs un foisonnement de formes, des visages ou des masques surtout, qui créent un monde féerique ou cauchemardesque. Elle utilise aussi ses reliefs, avec Maurice Rapin, pour engendrer des “populations d’images”. “

 

(Dictionnaire général du Surréalisme et de ses environs. Presses Universitaires de France éditeur)

 

          A lire ce résumé sec de sa vie dans un dictionnaire, je mesure la distance qui peut séparer un texte aussi fidèle soit-il, de la réalité : quand Mirabelle me racontait les aléas de son arrivée en France, ceux où Mitterrand, alors Ministre de l’Intérieur, voulait la renvoyer en Roumanie, je retrouve sa voix rocailleuse, rieuse ou triste de réminiscences, de souvenirs parfois aigus. Tout était à la fois si vrai et si invraisemblable, que je me demandais toujours si j’étais en train d’entendre un conte de fée ou l’histoire d’une exilée qui, dès l’origine, imprima sa marque sur le monde artistique ? Et ce paradoxe a toujours été l’image même de Mirabelle 

Mirabelle Dors : Deux "Poupées" (1975)  et "Tête aux disques de métal (1971)
Mirabelle Dors : Deux "Poupées" (1975) et "Tête aux disques de métal (1971)

          Fougueuse, enthousiaste, généreuse, elle s’enflammait pour nombre de causes difficiles. Même si, trop souvent, cette fougue lui valait des coups de bâton en retour. C’est ainsi que, trop confiante, elle signa des papiers, et fut dépouillée en toute légalité de son Salon qui avait, pourtant, été pendant quinze années le centre de sa vie ! 

          Insoumise, contestataire, elle n’accepta jamais les idées toutes faites, ou les diktats. Pour cette raison, elle se sépara très tôt des Surréalistes qu’elle jugeait trop sectaires. D’une immense culture, dotée d’une mémoire sans faille et d’une vive intelligence, elle créa avec Maurice Rapin une éthique personnelle et une  esthétique auxquelles elle se tint toute sa vie. Elle fut une militante féministe très convaincue.

          Désintéressés, Maurice Rapin et Mirabelle Dors le furent toujours, dépensant sans compter leur argent personnel lorsque les cotisations qu’ils voulaient des plus modiques, ne payaient pas le catalogue et les frais du Salon. Et, à l’aube d’une carrière picturale et sculpturale qui aurait pu être spectaculaire, ils laissèrent de côté gloire et célébrité, pour s’occuper des autres. En créant d’abord des collectifs, puis un Salon, à une époque où cela n’était pas une mince affaire. Ainsi, après avoir été la première femme-présidente du vingt-huitième Salon de la (première) Jeune Peinture où  sa présence ne fut pas de tout repos, elle quitta ce groupe. Et fonda, en 1978, FIGURATION CRITIQUE, avec Maurice Rapin et Yak Rivais. Dures années, pleines de folie et d’aventure qui amenèrent le Salon et ses participants à une réputation internationale et leur valut d’être invités dans le monde entier.  

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HOMMAGE de Jeanine Rivais A DEUX MARGINAUX DE L’ART

Mirabelle DORS (X ?-1999) ; Maurice RAPIN (1924-2000)

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          Nul doute que Mirabelle Dors n’avait jamais envisagé de mourir un jour ! Pourtant, elle a quitté ses amis qui ne la voyaient plus depuis trois ans déjà. Elle est morte près de Maurice Rapin, son compagnon de plus d’un demi-siècle de vie, de couple et de passion artistique partagée.

          Je retrouve avec émotion sa voix rocailleuse, rieuse ou triste de réminiscences, de souvenirs parfois aigus. Quand Mirabelle me racontait les aléas de son arrivée en France, ceux, par exemple au cours desquels  Mitterrand, alors Ministre de l’Intérieur, voulait la renvoyer en Roumanie, tout était à la fois si vrai et si invraisemblable, que je me demandais toujours si j’étais en train d’entendre un conte de fée ou l’histoire d’une exilée qui, dès l’origine, imprima sa marque sur le monde artistique français ? Et cette dualité a toujours été l’image même de Mirabelle Dors !

          Fougueuse, enthousiaste, généreuse, elle s’enflammait pour nombre de causes difficiles. Même si, trop souvent, cette fougue lui valait des coups de bâton en retour. C’est ainsi que, trop confiante, elle signa des papiers, et fut dépouillée en toute légalité de son Salon, Figuration Critique, qui avait, pourtant, été pendant quinze années, le centre de sa vie. Quinze années au cours desquelles elle donna à de jeunes artistes (parmi lesquels ceux-là même qui osèrent la spolier !) la chance d’exposer dans des lieux prestigieux !

           Malgré cet investissement puissant, elle fut la créatrice d’une œuvre picturale et surtout sculpturale immense, et l’auteur d’une littérature critique à la fois prolixe et virulente. Car, insoumise, contestataire, elle n’accepta jamais les idées toutes faites, ou les diktats. Pour cette raison, elle se sépara très tôt des Surréalistes. D’une immense culture, dotée d’une mémoire sans faille et d’une vive intelligence, elle créa avec Maurice Rapin une éthique personnelle et une  esthétique auxquelles elle se tint toute sa vie. Elle fut une militante féministe très convaincue.

 

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Maurice Rapin et Jeanine Rivais à la Galerie Jean-Claude Riedel (exposition Rapin 2000)
Maurice Rapin et Jeanine Rivais à la Galerie Jean-Claude Riedel (exposition Rapin 2000)

          Comment vivre pendant un demi-siècle dans une totale osmose amoureuse, spirituelle, intellectuelle, et continuer seul, alors que sa compagne a disparu ? Très affecté par la mort de Mirabelle Dors, survenue le 12 novembre 1999, très choqué par l’usurpation de Figuration Critique par ceux qui avaient abusé de sa confiance, Maurice Rapin a quitté à son tour la vie onze mois plus tard !

 

          Maurice Rapin fut toujours un être brillant et chaleureux. Il fit des études de mathématiques d’un très haut niveau ; fut très jeune licencié es Sciences. Il entra au Laboratoire d’anatomie et d’histologie comparées de la Sorbonne. Sa thèse soutenue avec succès concernait "le métabolisme des porphyrines observé au moyen du microscope à fluorescence" ! Tout au long de sa carrière, il fut un professeur très apprécié de ses élèves. Même dévoreuse de temps, cette carrière ne le détourna jamais d’une autre passion encore plus dévorante, la peinture.

          Dès l’enfance, Maurice Rapin se passionna pour les images. Très jeune encore, il devint proche des Surréalistes, exposa à la galerie "A l’Etoile scellée", publia des textes théoriques dans "Médium, Informations surréalistes"… Au fil des années, il développa une œuvre picturale originale, basée sur une rigueur toute mathématique, et néanmoins chaleureuse, vivante et colorée. Il fut un amateur de musique très doué. 

Maurice Rapin : "Sens inverse" et "Question de sens inverse" (1989)
Maurice Rapin : "Sens inverse" et "Question de sens inverse" (1989)

          En 1954, il épousa Mirabelle Dors, émigrée roumaine ; et désormais, leurs deux destins furent liés dans une recherche artistique à la fois personnelle et commune : l’une de leurs premières manifestations de rébellion fut leur rupture avec les Surréalistes car ceux-ci défendaient une figuration qui ne leur convenait pas ; et leur rapprochement de Magritte dont ils furent, pendant deux décennies, les amis fidèles. Ils commencèrent également une correspondance qui dura pendant des années avec Alfred Courmes, Clovis Trouille, etc. En 1977, ils publièrent "Trompe-L’œil provoqué" ; en 1978, "Peindre comme on dessine et dessiner comme on écrit". Des centaines de publications suivirent : "Figuration numérique" ; "Populaire surréaliste" ; "Idées au logis" ; "Futuritions" ; "Aporismes", etc.

          Ayant sans ambiguïté pris leurs distances pour parvenir à une marginalisation libératoire, ils se lancèrent dans des inventions picturales et littéraires très originales. Artistes d’un talent et d’une imagination toujours en éveil, ils renoncèrent à des carrières qui s’annonçaient brillantes, et se tournèrent vers les autres. Délaissant définitivement les voies officielles, ils décidèrent de donner la parole au plus grand nombre d’artistes. Pour ce faire, ils créèrent à Paris des "collectifs", (au Dolmen, restaurant de la gare Montparnasse, au Ranelagh, etc.). Désormais, la houle ne se calma plus. Mirabelle Dors devint la première femme Présidente de la  Jeune Peinture (celle du début), dont elle démissionna pour échapper à l’ambiance non constructive qui y régnait. Elle créa en 1978 FIGURATION CRITIQUE dont, jusqu’en 1994, elle fut Présidente et Maurice Rapin Secrétaire général et Trésorier. Désintéressés, Maurice Rapin et Mirabelle Dors le furent toujours, dépensant sans compter leur argent personnel lorsque les cotisations qu’ils voulaient des plus modiques, ne payaient pas le catalogue et les frais du Salon. Animateurs intelligents, soucieux de donner à ce salon une envergure internationale, ils migrèrent à travers le monde (Espagne, Danemark, USA, Russie, etc.) et ils accompagnèrent leur manifestation annuelle de catalogues qui portèrent témoignage de leur esprit contestataire et de leur militantisme à la fois politique (en particulier à l’égard du Ministère de la Culture stérilisateur et élitiste) et pictural.

          Avec eux, deux grandes voix (voies) créatrices se sont tues.  Ils laissent derrière eux un vide immense !

Texte écrit en 2001.

 

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PETITES HISTOIRES DE GRAND PALAIS

ou

MAURICE RAPIN AU SALON FIGURATION CRITIQUE 1991

Par Jeanine Rivais.

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          (Des triptyques, il y en eut dans la création de Maurice Rapin. Mais rien à faire, inutile de chercher davantage, les photos qui correspondent à celui évoqué ci-dessous sont irrémédiablement perdues ! De sorte que ce texte n'a jamais été publié !

          Alors, si un lecteur le retrouve, il sera trop gentil de m'envoyer les photos ! Merci d'avance ! )

 

Maurice Rapin à la galerie Jean-Claude Riedel (2000)
Maurice Rapin à la galerie Jean-Claude Riedel (2000)

     Le triptyque présenté cette année par Maurice Rapin au Grand Palais, dans le cadre du Salon Figuration Critique, est étonnamment porteur d’humour et de jubilation !

   Après un détour par des " personnages " grands, isolés au milieu d’une toile et d’un fond presque uni, Maurice Rapin donne à ses admirateurs de longue date, le plaisir de retrouver des personnages tout petits. Dessinés de façon répétitive, d’un trait de pinceau net, volontaire, incisif même, sans nuances de couleurs, ces petits " humains " s’alignent sur des bandes parallèles, comme autrefois. Pas tout à fait comme autrefois, pourtant, car naguère, pour une œuvre donnée, le même petit homme inexpressif se répétait d’un espace à l’autre. Rien de tel, maintenant, où il sait, de prime abord, traduire ses états d’âme. Ajoutons que, pour ce faire, il va même jusqu’à réaliser plusieurs versions d’une même " histoire ". Tout en veillant, chaque fois, à conserver à sa " narration " une certaine ambiguïté, de façon à laisser perplexe le visiteur !

     Œuvre sérielle, donc, la surprise vient, pour ce triptyque, de ce qu’il est à plusieurs entrées. Peut-être un mathématicien (Maurice Rapin a toujours revendiqué le rapport de ses œuvres aux mathématiques) en trouverait-il de multiples. Mais, pour le simple observateur, la lecture commence comme pour tout triptyque, de gauche à droite et de haut en bas. Mais, bien que dans une relation d’ensemble évidente, chaque tableau peut être lui-même lu de gauche à droite et de droite à gauche, voire de bas en haut ! A partir de ce constat, le spectateur peut, subjectivement, composer son propre "descriptif", créer son " histoire personnelle ", comme pour une bande dessinée. A ceci près que dans la bande dessinée, dessins et commentaires sont porteurs  d’un sens définitif, alors qu’ici, nombre d’interprétations sont possibles !

Voici, par exemple, ce qui pourrait être " vu " :

 

Dans le premier tableau, l’air ahuri du personnage de gauche laisse supposer qu’il vient de s’éveiller ? qu’il a fait un rêve terrible ? qu’il dort encore et rêve les yeux ouverts ? Son vêtement est-il un pyjama ? une tenue de chasse ?

Sur la première " ligne ", il tient sur un plateau, une femme minuscule ; sur la deuxième ligne, il la lance en l’air ; prend son élan sur la troisième ; et sprinte sur la quatrième.

Au milieu, une femme en pyjama rose saumon passe de l’indifférence à la colère, de la colère à la peur ! 

A droite, est peinte quatre fois une femme très grande, tenant un drapeau bleu. Derrière elle, se tient une autre femme toute petite : son double ? sa conscience ?

Qui ou que sont ces bustes plats " découpés dans du contreplaqué " qui traînent au sol, entre les " humains " ? Ont-ils été sculptés par la femme ?

 

Dans le tableau central, l’homme de gauche est debout, l’air mal réveillé. En " descendant ", son expression passe du faciès débile au visage ricanant puis irascible. Le plateau est à terre. La femme, toujours dessus, est debout face à l’homme. Elle a grandi, on peut désormais lire sur son visage : elle est d’abord indécise, puis fâchée. 

Sur un socle central, une terrible mégère à chignon, en position de grand écart, peint l’un des bustes qui, tout à l’heure, traînaient au sol. Elle lui met des cheveux. Elle a la même tenue masculine rose saumon que l’homme.

A droite, les mêmes femmes qu’au début, mais elles ont l’air surpris : d’avoir perdu leur drapeau ?

 

Dans le tableau de droite, l’homme debout, l’air indécis, tient une carabine : tirer ou ne pas tirer ? Sur la deuxième ligne, la femme du plateau réapparaît : elle est aux pieds de l’homme, tandis que sur la troisième ligne, elle est à hauteur d’épaule, et que sur la quatrième elle lui prend le fusil.

Au centre, le buste inachevé traîne de nouveau à terre : sa place a été prise par la femme sculpteur. Elle est maintenant énorme, vêtue d’une robe rose saumon, la carabine à la main. Apparaît un drapeau dans son autre main. Autour de sa tête, évoluent des diablotins. Enfin, elle rend la carabine à l’homme.

Tout à fait à droite, les deux femmes disproportionnées du début, sont maintenant de la même taille. Elles tendent vers l’homme le buste revenu à l’état originel, pour finalement le repousser à coups de pieds et rester immobiles, l’air soumis.

 

Quelles interprétations donner à ces tableautins ?

**Quelles que soient la taille et la situation géographique des personnages par rapport à la totalité du triptyque, s’agit-il bien du même homme ? de la même femme ? Toute autre hypothèse semble exclue.

** Participons-nous à l’élaboration des fantasmes de l’un comme de l’autre ? à une lutte de l’un et l’autre pour le pouvoir : plus prosaïquement à une scène de ménage ?

** Est-ce la même " scène " qui évolue, ou des scènes différentes qui se développent selon des schémas très proches : l’homme " jongle " avec la femme ? La femme " joue " de l’indécision de l’homme ? La femme " baisse pavillon ", pour paraphraser l’apparition-disparition du drapeau ? La femme " rend les armes " ? L’homme " vainc " la femme ? La femme " amadoue " l’homme ?…

** L’homme et la femme jouent-ils finalement au chat et à la souris ? Qui fait peur à qui ? Qui domine qui ? Les variantes des tailles des personnages ne donnent pas de réponses évidentes, à moins qu’elles ne symbolisent, au gré des problèmes du couple, l’importance potentielle de chacun aux yeux de l’autre ? Et sur chaque tableau, les visages suivent la même périodicité surprise-ironie-colère pour l’homme ; indifférence-colère-peur pour la femme.

**Au cours (du rêve ?), la femme parvient-elle à conquérir son autonomie ? Son attitude et ses actions ont-elles pour but de convaincre l’homme ? Le convaincre de quoi ? Est-ce une façon de le rejoindre dans la création artistique ? La perte de son drapeau indique-t-elle qu’elle n’en a plus besoin, parce qu’elle est parvenue sur un pied d’égalité avec l’homme ; qu’elle est même, désormais, sur un piédestal ? Le buste découpé et peint par elle signifie-t-il qu’elle a créé un personnage à l’image de l’homme ? qu’elle a essayé de le " rendre humain " ?…

** Le chassé-croisé avec la carabine suggère-t-il qu’à tour de rôle chacun menace l’autre ? Que chacun se joue de l’autre ?

Finalement, la carabine est " entre " les deux personnages ; le drapeau est " derrière " la femme : la " guerre des sexes " est-elle terminée, chacun restant malgré tout sur le qui-vive ? La " chasse " est-elle fermée (au pouvoir, à la séduction…) L’homme s’est-il réveillé, prenant conscience de l’importance de la " présence " de la femme ? La femme est-elle réellement soumise, ou joue-t-elle à l’être ?…

** La " naine " est-elle la conscience de la " géante " ? Son mauvais génie ? l’image psychologique que veut avoir d’elle l’homme ? Le fait qu’elle grandisse au fil de l’histoire implique-t-il une évolution mentale ? intellectuelle ? (dans l’esprit de l’homme ?)

** La femme devenue féminine l’est-elle pour son propre plaisir ? sa fantaisie ou son moral ? pour séduire et conquérir l’homme ? S’agit-il d’un scénario comparable à celui vécu dans le Jardin d’Eden, face à Adam qui se défend contre Eve qui le tente ?

** La présence de deux personnages féminins (mais sont-elles bien deux, ne s’agit-il pas de deux facettes de la même femme ?) et l’évolution de leurs tailles ; le fait qu’elles soient finalement de la même taille et aussi grandes que l’homme… tout cela indique-t-il que la femme préalablement dédoublée a conscience d’avoir physiquement et (ou) intellectuellement trouvé sa voie ?

 

Quel embrouillamini ! Combien d’autres questions ne restent-elles pas en suspens ! Et l’artiste a-t-il, lui, eu la volonté de " peindre " ainsi une (des) histoire(s) ? Dans ce cas, en détient-il les clefs ? A-t-il, ayant posé des problèmes, imaginé des solutions ? Ou bien, comme l’affirment certains plasticiens, n’y a-t-il là aucune démarche délibérée ? Ce serait étonnant, étant donnée la rigueur créatrice de Maurice Rapin ! Au spectateur, en tout cas, d’y retrouver son compte !

Et si quelqu’un s’avisait, comme la possibilité en était émise ci-dessus, de " lire " ces tableaux à l’envers ? En oblique ?… quelles seraient alors ses conclusions ? S’il était persuadé d’avoir trouvé les bonnes réponses et analysé correctement ce psychodrame, quelles réponses donnerait-il ? Et combien ? Croiseraient-elles celles proposées ici ? Seraient-elles antithétiques, ou tout simplement différentes ? 

 

Finalement, rien ne permet d’affirmer que quiconque aura trouvé le bon jeu (peut-être même pas l’artiste, parce qu’il est probable qu’une partie de sa création lui échappe !) Quoi qu’il en soit, le côté ludique de ce questionnement est indéniable ! La jubilation qui apparaît à se livrer à cet exercice est très forte ! Et, sous ses dehors sérieux, il y a assurément beaucoup d’humour, dans ce triptyque de Maurice Rapin ! 

 

  (Texte écrit en 1991, après le Salon de Figuration Critique au Grand Palais.)

 

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Maurice Rapin et Mirabelle Dors et la lettre adressée aux invités du 1er salon (1978)
Maurice Rapin et Mirabelle Dors et la lettre adressée aux invités du 1er salon (1978)

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Mirabelle de par le monde (quelques exemples)
Mirabelle de par le monde (quelques exemples)

Salon Figuration Critique :

** Grand Palais (Paris)

** Mons (Belgique)

** Biarritz

** Anvers (Belgique)

** Santillana (Espagne)

** Bordeaux avec Jacques Chaban Delmas, maire

** Paris avec Jacques Toubon,délégué à la Culture.

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VOIR AUSSI : 

**** AUTOUR DE LA NOTION DE GROUPE : Entretien de MIRABELLE DORS AVEC  JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique HOMMAGES

**** FRAGMENTS D'UNE VIE ENTIEREMENT VOUEE A L'ART : Entretien de MAURICE RAPIN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique HOMMAGES.  (Des extraits de cet entretien ont été publiés dans les " Cahiers de la peinture " N° 268.)

 

**** Dossiers DORS RAPIN (rubrique Art contemporain) et RAPIN (rubriques Art contemporain, et entretien) et HOMMAGE A DEUX MARGINAUX DE L'ART :MIRABELLE DORS ET MAURICE RAPIN : Le Cri d'Os N° 33/34 de 2001. Et  Idéart N° 65 de mars/Juin 2000.