Convoi 37
Convoi 37

      Il est des êtres pour qui la vie est vraiment trop chienne ! Tel est le cas pour Jacques Braunstein, né d'une famille juive émigrée de Roumanie, et dont le père s'était installé dans le deuxième Arrondissement de Paris où vivaient déjà des membres de sa famille. Il exerçait le métier de tailleur. Mais un jour, il fut emmené avec son épouse pour ne jamais revenir, vers l'horreur des camps de concentration. 

          Né à Livry-Gargan en 1931, Jacques Braunstein, qui vit son enfance dans l'ambiance du deuil, de la souffrance, est pleinement concerné par la mémoire des événements qui se sont déroulés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Et vers la quarantaine, incapable de résister à l'oppression du souvenir de la Shoah, il décide de témoigner à sa manière de toutes les violences, les injustices, appartenant non seulement au passé où l'horreur, l'humiliation et la cruauté sont parvenus à des sommets rarement atteints dans l'histoire du monde, mais à ceux qui subsistent dans la période contemporaine. 

         Il a une formation d’Ingénieur Technicien, diplômé de l’Ecole Boulle. Il est successivement directeur de l’Ecole Régionale des Beaux-arts de Nantes et de l’Ecole Nationale des Beaux-arts de Nancy. Il devient Président d’Honneur du Musée l’Art en Marche de Lapalisse, où il expose ses œuvres depuis 1998 jusqu'en 2014.

Vierges sages et vierges folles
Vierges sages et vierges folles

          En 1998, lors de l'inauguration de son musée, Luis Marcel qui a décidé de permettre à certains artistes de créer des "espaces", offre à Jacques Braunstein l'occasion de créer le sien en installant des objets-symboles réalisés à partir d'éléments de récupération. Touche-à-tout, l'artiste propose des peintures, des sculptures en nombreux matériaux.

          Mais, le sujet étant particulièrement âpre, la lutte est rude, ensuite, pour trouver des lieux où les responsables accepteraient de s'engager, présenter ces œuvres tellement puissantes et chargées d'histoire. Il expose finalement à Vichy, Centre Valéry Larbaud en 2000 ; Aix en Provence, Le pluriel des singuliers en 2002 ; Saint-Etienne, l’Art dans la ville en 2004. Bien que très fatigué, il se met à prospecter, et le musée de la Faïence de Nevers (ville où il réside) auquel il souhaitait offrir des œuvres, lui propose d'organiser une exposition. Qui aurait dû avoir d'autant plus de résonance que c'était le soixante-quinzième anniversaire de la libération des camps. Malheureusement, Jacques Braunstein décède en 2020, le Covid interrompt l'exposition à peine commencée. Ce sont donc son épouse et sa fille qui ont repris le flambeau. Et une magnifique exposition se déroule sur les cimaises du musée. Non plus une rétrospective, mais un hommage intitulé "Porter témoignage et préserver une mémoire". 

 

L'Arbre au rouge
L'Arbre au rouge

          La manifestation se déroule dans deux salles : l'une, la salle capitulaire, au rez-de-chaussée, l'autre au troisième étage.

          Dans la première salle, se côtoient des personnages qui appartiennent à l'histoire juive, "Vierges sages et Vierges folles" ; "L'Arbre au rouge", aux branches duquel sont pendus des personnages sans visages ; un masque aux orbites vides ; un Golem, cet être artificiel de la mythologie juive, généralement humanoïde, fait d'argile ; incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre, façonné afin d'assister ou défendre son créateur. Sur son front, figure le mot "emet" (vérité en hébreu) qui devient, lorsque la première lettre est effacée, "met", "mort", faisant retourner l'homme artificiel à la poussière. Et puis sur le mur du fond, un immense "tableau" noir, la ""Spirale des victimes du nazisme", où gît une foule d'individus, éparpillés en tous sens, (comme dans la réalité, les épouvantables fosses communes) ; et un personnage du corps duquel se détachent d'autres personnages ligaturés, et dont la chevelure est formée de millions de nœuds. Car, pendant quarante ans, Jacques Braunstein a fait des nœuds : en parlant, en écoutant, il réalise des nœuds, avec le désir d'en créer un par Juif exécuté par les Allemands ! "Quand j’ai commencé le travail présent en ce lieu, j’ai décidé de faire des nœuds sur les ficelles. Je vais en faire symboliquement six millions !”, se disait-il avant 1998, dans l'entretien que nous avions réalisé au musée de l'Art en Marche, à Lapalisse. "J’en suis sans aucun doute aujourd’hui à plus de dix millions. Ces nœuds sont devenus mon matériau de base, symbole de ma certitude que tout le monde peut faire le travail que je fais, car je refuse la virtuosité".

 

Victimes du nazisme
Victimes du nazisme

          Au troisième étage, le visiteur découvre d'autres preuves que cet artiste avait un talent protéiforme lui permettant de travailler toutes les matières qui lui tombaient sous la main : le papier, la pierre, le bois, les miroirs, la corde... A gauche de l'entrée, est omniprésent le terrible Convoi 37 qui concerne directement la Shoah : pour la figurer, il a conçu une partie “réelle”, prise sur des documents relatifs aux Juifs déportés le 25 septembre 1942, au cours de laquelle ses parents furent emmenés à Drancy puis à Auschwitz le 27 septembre. C’est donc une partie du convoi qu'il a représentée là : 99 personnes, présentées sous forme de “momies”. "Ces “morts” sont dans des cercueils individuels, drapés naturellement dans des suaires. Ces personnages sont ligotés de ficelles nouées, pour figurer l’enfermement. J’ai progressé de droite à gauche, sens de l’écriture hébraïque : 98 noirs, et un blanc". Dans cette même salle, se trouve "L'Ecorché", crucifié, au-dessus de plusieurs vitrines proposant des dessins en noir et blanc (témoignages du talent de Jacques Braunstein présentant ici un vieux Juif polonais, là un Rabbin, un garçon, cachant ses frères, etc. Et enfin, sans doute le dernier tableau de l'artiste sur cette thématique, puisque c'est à cette date, en 2014, qu'il décide de cesser de créer picturalement pour se livrer à l'écriture.

 

          Jacques Braunstein a quitté en 2020 ce monde qui lui fut si dur. Il laisse une œuvre mémorielle, à la fois symbolique, grave, poignante, portant sous ses diverses formes, toute la misère du monde ! Une oeuvre qu'il faut espérer revoir un jour de façon pérenne dans un musée.

Jeanine RIVAIS

 

Un Rabbin
Un Rabbin

          A l'occasion de cet hommage rendu à l'artiste, un petit catalogue a été édité par le musée de Nevers, qui, page après page, rappelle les impressions de Jacques Braunstein sur les différentes étapes de son œuvre.

La couverture du catalogue
La couverture du catalogue

Exposition PROLONGEE JUSQU'AU 11 JUILLET 2021 au musée de la Faïence de Nevers, 16 rue Saint-Genest, ouvert du mercredi au dimanche de 12 h à 18 h. Contact : 03.86.68.44.60.

 

VOIR AUSSI : Entretien de Jacques Braunstein avec Jeanine Rivais : http://jeaninerivais.jimdocom/ Rubrique HOMMAGES

 

Et le site de l'artiste : jacquesbraunstein.com

Ultime tableau (sans doute) réalisé par Jacques Braunstein
Ultime tableau (sans doute) réalisé par Jacques Braunstein