"VISITES AU VILLAGE”,  ou PIERRE CARRESSE, peintre

(1936-2003)

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Pierre Carresse
Pierre Carresse
Le beau dimanche de printemps
Le beau dimanche de printemps

     Né à Bellocq, petit village béarnais, Pierre Carresse peint ses voisins, depuis plus de trente ans, avec un humour et un amour profonds. Tous ont droit à ses “attentions”, le curé qui se fait traîner au château en brouette ; le facteur quotidiennement ivre ; le boucher... Les connaissant bien, il rend compte avec indulgence de leurs travers physiques et moraux. Par contre, il est sans complaisance pour les nantis, les bigots, qu’il massacre avec autant de cœur qu’il a d’excuses pour le  petit peuple !

          Parfois, un peu las de voir autour de lui les mêmes trognes enluminées, l’artiste décide de “monter à Paris”, d’en peindre les miséreux. Les admirateurs inconditionnels de sa verve paysanne, de sa poésie champêtre l’imaginent alors faisant camper ses gueux au pied de la Tour Eiffel, envoyant ses déshérités se chauffer à la flamme du Soldat Inconnu ! C’est compter sans son honnêteté intellectuelle, sa certitude que, hors de son village, point de salut ! Tout naturellement, les Pauvres-comme-Job de la capitale se retrouvent à l’horizon de ses montagnes, dans  l’intimité de ses vallées, car Pierre Carresse leur ouvre son village comme il leur a, depuis  longtemps, ouvert son grand cœur !

La brioche avant
La brioche avant

Cet éloignement sentimental réveille-t-il des nostalgies ?  Le peintre rentre vite “au bercail”, resserre les liens psychologiques qui l’attachent à ses racines, y revient en une série de “portraits de famille”. Et c’est alors une nouvelle vague jubilatoire qui déferle sur ses admirateurs rassurés et ébahis ! Car Pierre Carresse s’y livre à une cuisine goûteuse sur papier de boucherie (!!) qu’il a choisi pour son brillant, son pouvoir inégalement absorbant et les morceaux de paille qui y apparaissent ça et là ! Sur ce matériau inattendu, prennent corps l’Emile, l’Albert ou Pierre Maïs... Commence alors une succession d’opérations non moins inattendues : ajouts d’extraits de chicorée, de sauce de soja (celle-là, Pierre Carresse l’emploie beaucoup, à cause des nuances brun-rouge “terribles” qu’elle incruste dans le papier et qui résistent aux rinçages et séchages successifs auxquels l’artiste soumet son support). A chaque nouvelle opération, il ajoute une couleur différente, la délave, en pose une autre : les sous-couches conditionnent les nuances des apports ultérieurs. Les lavages provoquent des chiffonnements qui persistent irrégulièrement lors des divers  repassages ! Bref, à la fin de ces opérations “ménagères”, le paletot de l’Alphonse est si délavé qu’il a “forcément” été porté des années ; le pied de ferraille de l’Albert resté trois jours entre les lignes franco-allemandes à se faire tirer dessus par les deux camps, est rouillé à point ; les Dentols rient... à belles dents... Et, lorsqu’il consulte les titres, le spectateur se rend compte à quel point le bon sens campagnard  frappe juste, lorsqu’il s’agit de trouver un sobriquet qui, longtemps après sa mort, collera à la peau de la “victime” !

    A travers ces authentiques chroniques de la vie rurale, Pierre Carresse, autodidacte, est devenu, dans le monde de l’Art singulier, un véritable créateur “populaire”, développant une originalité qui fait fi de la perspective, des proportions, des canons traditionnels de la peinture. Ce qui l’intéresse EST en gros plan dans son oeuvre, montagne, maison, ou bouille rigolarde ! Ce qu’il ne sait pas trop bien dessiner est peut-être de travers ; ou plutôt ce qu’il ne veut pas s’embêter à dessiner ! Car, au fil des années, Pierre Carresse a acquis une solide technique, créant dans ce déséquilibre, un équilibre bien à lui qui, au premier coup d’oeil, campe dans sa définition sociale, chaque personnage : L’Attrape-mouches, Le Préfet, Le Lecturant... toute une galerie de figures joviales, matoises, grivoises ou débiles... souvenirs tellement sincères, tellement forts, puisés dans son enfance, lorsqu’il n’était qu’un tout petit bout d’homme coursant le Candidat-député en tournée électorale, qui parcourait le village à bicyclette!...

JEANINE RIVAIS

 

La plupart des photos sont de Raâk André-Pillois.

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 56 DE DECEMBRE 1995 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

VOIR AUSSI L'UNIVERS PITTORESQUE DES PAYSANS DE PIERRE CARRESSE : Rubrique Art singulier.

Fernand le champion joeur de quilles
Fernand le champion joeur de quilles