HOMMAGE A JEAN-CLAUDE CAIRE

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            C'était un matin gris, froid et pluvieux du début d'octobre. J'assistais au festival de Saint-Sauveur et je sortais de l'atelier d'une artiste.

            Quand mon téléphone a sonné, vu l'heure, j'ai eu le pressentiment d'une mauvaise nouvelle ! Mais je ne m'attendais pas à ce que j'allais apprendre : la mort de Jean-Claude Caire. Hélas, c'était bien ce que Simone m'annonçait !

            Jean-Claude et Simone Caire, deux amis très chers ! Dont l'un vient de nous quitter des suites d'une "longue maladie", lui dont la taille herculéenne donnait à penser qu'il était indéracinable !

        Amis ! Comment le sommes-nous devenus ? En fait, c'est par eux que je suis "entrée dans l'Art singulier" ! Depuis longtemps, j'étais en quête de formes d'art où je trouverais les tripes et le cœur des créateurs. Un jour, visitant une artiste, j'ai vu sur sa table une revue -un fanzine plutôt- qui me montrait ce que je cherchais partout. Avec le "Bulletin de l'Association les amis de François Ozenda", je venais de le découvrir !

          Ce fut le début d'une collaboration de dix années. Au cours desquelles nous n'avons jamais eu la moindre dissension, où je n'ai jamais eu à regretter la moindre censure : Jean-Claude Caire, -les Caire, car ils étaient dans une telle osmose qu'il était impossible de les dissocier- c'était la largeur d'esprit, la compréhension, la convivialité. L'humour, aussi, et l'indéfectible amitié pour les gens qu'ils côtoyaient, les artistes surtout !

 

          Il faut dire que pendant des décennies, Jean-Claude Caire a été médecin. Que bien des années après, ses anciens patients se souvenaient de ses réactions de bon sens, son discernement, et surtout l'empathie qu'il leur manifestait. En somme il était ce que l'on appelait alors "un médecin de famille" !

          Et puis, parallèlement, l'esprit ouvert dont il faisait preuve, l'a amené à s'intéresser à l'art. Contemporain, d'abord, surprenant son public par des expositions organisées dans des lieux non orthodoxes… Jusqu'au jour où il a fait la connaissance de François Ozenda. De ce moment, il a témoigné à ce personnage hors-normes, quasi-analphabète mais auteur de milliers de pages d'écrits qui le fascinaient, respect, amitié, admiration un peu amusée pour son talent de peintre ; allant jusqu'à créer une revue, le "Bulletin de l'association les amis de François Ozenda", dont le but premier était de publier les textes de ce rebelle dyslexique…

          François Ozenda décédé en 1976 (¹), la revue a élargi le champ de ses intérêts, et celui de Jean-Claude Caire pour les arts marginaux. Bien que remontant à la nuit des temps, cette passion commença officiellement en 1978, lors de l’exposition des Singuliers de l'Art, au Musée d’Art moderne de Paris. Exposition où il se rendit, emportant des œuvres de ses poulains, qu'il présenta, lui le parfait inconnu, à cette manifestation internationale !

Jean-Claude et Simone Caire à la dernière Assemblée générale du "Bulletin..." en 2003
Jean-Claude et Simone Caire à la dernière Assemblée générale du "Bulletin..." en 2003

          Après 1978, l’aventure du "Bulletin…" se mit en route. Des écrivains écrivirent ; des peintres peignirent ; des sculpteurs sculptèrent ; tous informant, illustrant… joignant le flot de leurs courriers à celui d’amis et d’autres moins, mais ils étaient rares, qui envoyèrent leurs impressions… Et vingt-huit ans s’écoulèrent ainsi. Le Bulletin parti de seize pages, grossit, grossit… devint un référent dans lequel il était impossible de ne pas trouver le renseignement souhaité ; où furent notées les turbulences inhérentes à une mouvance qui, parallèlement, allait s’amplifiant. Toujours au poste, les Caire couraient d’un lieu à un autre, rendaient compte ; recevaient, transcrivaient…

            Qui pourra dire combien de milliers d’heures ils ont ainsi consacré à la Singularité et à ses Singuliers, Jean-Claude tapant les textes, Simone étant le metteur en pages !? Combien de millions de leurs deniers personnels ils ont englouti au fil de ces années pour publier régulièrement cette revue si riche, si floribonde, restée (volontairement) de modeste apparence ; et (de force) de trop modeste tirage !

            Finalement, l’usure, la nostalgie, le découragement ont eu raison du grand cœur de Jean-Claude et Simone Caire, submergés par trop de travail, de désinvolture et de changements d’esprit dans la marginalité. Malgré les exhortations et les suppliques de ceux pour qui le "Bulletin..." était essentiel, ils ont décidé de jeter aux orties machine à écrire, scanner, imprimeur…

 Finies, donc les assemblées générales sous le gigantesque sorbier devant leur maison ! Terminé, le travail de mémoire de la mouvance singulière ! Heureusement, restaient les visites : moments uniques où, du haut de sa grande taille, avec son accent du Midi, Jean-Claude, entouré de ses visiteurs, racontait les mes/aventures de ses rencontres avec les artistes !!! 

A la Halle Saint Pierre lors de la conférence sur les fanzines
A la Halle Saint Pierre lors de la conférence sur les fanzines

        Mais, infatigable et curieux de tout, il avait bien d'autres cordes à son arc : il fut également fondateur et président du Rotary Club de Salernes en Haut-Var.

Un moment conseiller municipal de Salernes, il participa activement à la vie, la gestion et l’animation de la commune.

          Collaborateur de la revue Verdon depuis vingt ans, il a publié de nombreux écrits sur le patrimoine provençal, les coutumes locales.

Grand voyageur, il s’est passionné pour les différentes cultures qu’il a pu découvrir à travers ses voyages.

          Il était également féru de généalogie, et transmetteur des histoires familiales.

 

 

          Aujourd'hui, Jean-Claude Caire nous a quittés, le 27 septembre 2020. En ce temps où les centenaires font florès, il était bien trop jeune pour mourir ! D'autant qu'il avait encore tellement de choses à faire.

          Heureusement, pressentant peut-être qu'il était condamné, il avait ces derniers mois mis la touche finale à ses archives auxquelles il avait, depuis toujours, consacré un temps infini, de sorte qu'une maison entière leur avait été réservée. Chaque texte du "Bulletin…" ; chaque papier reçu, du plus petit entrefilet au dossier le plus copieux… faisaient l'objet d'un classement rigoureux. Il faut donc se réjouir que notamment la montagne de documents relatifs à Danielle Jacqui soit prise en charge par la ville de Draguignan ; que ceux concernant Raymond Raynaud soient sauvegardés par l'association créée autour de son œuvre. S'inquiéter aussi de savoir ce que deviendront les autres, tellement précieux ?

 

          En ces tristes circonstances où le chagrin le dispute à la colère et au sentiment d'injustice, toutes mes pensées vont à Simone, son épouse, son alter ego, avec qui il a partagé tant d'aventures, tant de moments intimes, et qui reste le réceptacle de tous les écrits personnels et/ou collationnés. Et, personnellement, je suis fière d'avoir été l'amie de ce personnage haut en couleur et tellement singulier !

                                               Jeanine RIVAIS

                        A Courson-les-Carrières le 7 octobre 2020.

(¹) " Jacques Simonomis, éditeur de la revue de poésie Le Cri d’os" avait publié un entretien entre Jean-Claude Caire et Jeanine Rivais, "Petite histoire des arts singuliers à travers celle du Bulletin Ozenda". La revue Trakt vient de republier cet entretien, dans son numéro 11, paru quelques semaines à peine avant le décès de Jean-Claude Caire.

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A TRIBUTE TO JEAN-CLAUDE CAIRE

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          It was a grey, cold, and wet day in the beginning of october. I was attending Saint-Sauveur Outsider Festival, and walking out of an artist's studio.

          When my phone started ringing, seeing the early hour, I had a foreboding of a bad news, but I did not expect what I was going to learn : Jean-Claude Caire's death. Unfortunately, it was indeed what Simone broke to me ! 

Jean-Claude and Simone Caire, two very dear friends. And one of them had just left us, died from a "long illness", he whose herculean size made everybody think he could not be uprooted !

Friends ! How did we become friends ? In fact, it was through them that I "came into outsider Art" ! For a long time, I had been searching kinds of arts in which I should find both artists' guts and heart. One day, visiting a friend, I saw a magazine on her table -rather a fanzine- that revealed to me what I was everywhere looking for : With the "Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda", I had at last discovered it ! 

It was the beginning of a ten-year collaboration. During which we never had the least discord, and I never had to regret the least censorship : Jean-Claude Caire -both the Caire, for they were in such osmosis that it was impossible to dissociate them- was broadness of mind, understanding, conviviality. Humour, too, and an indefectible friendship for the people they were close to, chiefly artists.

Jean-Claude Caire à l'inauguration du musée Danielle Jacqui.
Jean-Claude Caire à l'inauguration du musée Danielle Jacqui.

I must say that, for decades, Jean-Claude Caire had been a doctor. That, many years later, his patients of old used to remember his common sense reactions, his discernment, and chiefly the empathy that he manifested to them. In fact, he was what was then named "a family doctor". 

 

And then, in parallel, the open mind he gave proof of brought him to be interested in art. Contemporary Art, at first, astonishing his public with exhibitions organized in non-orthodox places… Till the day he met François Ozenda. From that moment, he showed that outsider, almost illiterate man, yet the author of thousands of written pages which fascinated him, respect, friendship, somewhat amused admiration for his talent as a painter ; going as far as creating a fanzine, titled the "Bulletin de l'Association Les amis de François Ozenda", the first objective of which was to publish this dyslexic rebel's texts.

After François Ozenda's death, in 1976 (¹), the magazine widened its field of interests and Jean-Claude Caire's for marginal arts. Though going back to the night of time, this passion officially started in 1978, at the time of The outsider ART Exhibition in Modern Art Museum in Paris. Exhibition which he went to, carrying his nurselings' works that he presented, he the complete unknown, at this international manifestation.

After 1978, The adventure of the "Bulletin…" started. Writers would write ; painters would paint: carvers would carve ; all informing, illustrating… mixing the flood of their mails with those of friends, -others less than that but they were scarse- who would send their moods, their impressions… And twenty-eight years thus rolled by. Started with sixteen pages, the "Bulletin…" grew bigger and bigger… became a referent in which it was impossible not to find the wanted information ; in which were noted the turbulences inherent to that ever changing scene -the outsider movement-  which, in parallel, went on growing. Always in station, the two Caires would run from a place to another ; rend accounts ; receive ; transcribe…

Jean-Claude Caire entre Simone et Jeanine Rivais, chez Jeanine Rivais.
Jean-Claude Caire entre Simone et Jeanine Rivais, chez Jeanine Rivais.

          Who will ever be able to say how many thousands of hours they thus devoted to Singularity and its outsiders, Jean-Claude typing texts, Simone being the layout designer !? Nor how many millions of their personal funds they sank along the years, to regularly publish this so rich, so floribund magazine, (willingly) remaining of so modest appearence ; and (by force) of too modest printing ! 

Finally, wear, nostalgia, discouragement got the better of Jean-Claude and Simone Caire's great heart, overwhelmed by too much work, casual attitudes, and changes of minds among Singularity. In spite of exhortations and prayers of those for whom the "Bulletin…" was essential, they decided to throw to the nettles typing machine, scanner, printer… 

End, therefore, of general meetings under the gigantic mountain-ash before their house ! End of memory work of the outsider movement ! Fortunately, visits were still possible : unique moments when, from the top of his high stature, with his southern accent, Jean-Claude, surrounded by his visitors, would tell the adventures and misfortunes of his encounters with artists !!!

 

     But, tireless and curious about everything, he had a lot of other strings to his bow : He was also founder and president of The Rotary-Club in Salernes in the Var.

     For a time a municipal counsellor in Salernes, he activaly participated to the life, management and lively atmosphere of the city.

           A Collaborator for twenty years of the "Verdons" magazine, he published numerous writings on provencal inheritance, and local costums.

  A great traveler, he was fascinated by the different cultures he might have discovered during his travels.

He was also keen on genealogy, and a transmitter of family stories.

 

          Today, Jean-Claude Caire has left us, on september 27th 2020. In our times when centenarians are flourishing, he was much too young to die ! Especially since he still had so many things to do.

          Fortunately, perhaps foreboding that he was condemned, he had, during the last months, completed his archives to which he had always devoted endless time, so that a whole house was deserved to them. Every text of the "Bulletin…", every paper received, from the shortest paragraph to the heaviest file… were subjected to a strict classification. One must therefore be glad that especially the mountain of documents related to Danielle Jacqui are going to be taken in hand by the town of Draguignan ; that those related to Raymond Raynaud will be saved by the association created around his artwork. On the other hand, be worried, about what the others will become, that are all so precious ? 

 

          In these sad circumstances, when my sorrow vies with anger and a feeling of injustice, all my thoughts go to Simone, his wife, his alter ego, with whom he partook so many adventures, so many intimate moments, and who remains the collector of all the personal writings and/or collated ones. And, personally, I am proud to have been a friend to this so colorful and singular character !

Jeanine RIVAIS 

(¹) Jacques Simonomis, the editor of the magazine "Le Cri d'O" published an interview between Jean-Claude Caire and Jeanine Rivais, titled "Petite histoire des Arts singuliers à travers celle du Bulletin Ozenda" (Short history of outsider Arts, through the one of the Bulletin Ozenda). The Trakt Magazine has republished that interview in its number 11, which was on sale just a few weeks before Jean-Claude Caire's death.