HOMMAGE POSTHUME A JEAN LINARD.

(1931-2010)

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Entretien de MADAME LINARD avec Jeanine Rivais.

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portrait de jean linard
portrait de jean linard

Jeanine Rivais : Le site construit par Jean Linard, sur une cinquantaine d'années, à Neuvy-Deux-Clochers, au cœur du Berry, peut paraître, à première vue, "hétéroclite", simplement parce que de nombreux thèmes s'y retrouvent : Or, une fois que l'on évolue au milieu de tous ces éléments, il se crée une sorte de notion d'itinéraire accompagné d'un sentiment de proximité, et cette impression disparaît : Qu'est-ce qui, selon vous, crée l'unité dans la diversité ?

Madame Linard : Un des sens du mot hétéroclite est : « qui s’écarte des règles ». Alors, dans ce sens-là, oui l’œuvre de Jean est hétéroclite. Ce qui crée l’unité, à mon avis, c’est que c’est l’œuvre d’un seul homme, la réalisation au jour le jour de ses deux grands rêves : construire sa maison, et bâtir une Cathédrale où toutes les religions se donneraient la main.

2 sculptures d'accueil
2 sculptures d'accueil

JR. : Il me semble qu'il faut y "venir". Il faut s'en "approcher". Y entrer. Toutes ces créations qui, de prime abord, semblaient différentes, apparaissent peu à peu comme une seule et même oeuvre…

Mme L.: C’est intéressant, votre façon de ressentir ; vous parlez de ses créations ; moi je l’ai vécue comme une création unique et à multiples facettes. Il faut dire que je l’ai vécue au quotidien, que je l’ai vue évoluer au jour le jour, et que pour moi toute cette création est « naturelle », comme il est « naturel » pour d’autres de cultiver leurs champs, de soigner les gens ou d’enseigner aux enfants…

 

JR. : Est-ce que les ajouts étaient dus au hasard (par exemple, au fil des découvertes de leur auteur), à ses impulsions (soudain il avait envie de faire tel ou tel personnage, animal…) ses fantaisies ou ses besoins moraux, esthétiques ?

Mme L. : C'est un peu tout cela à la fois. C'était voir une forme qui allait lui en inspirer une autre. Il avait des périodes où il tournait des bols, des coupes, des assiettes, d’autres où il sculptait des personnages, des anges, des animaux… C'était au fil de son imagination. Lorsqu'il avait rêvé de quelque chose, dès le matin il allait réaliser ce qu'il avait rêvé. La cathédrale, il l'a construite par rapport à ses croyances et à ce rêve qu’il avait, que tous les hommes se donnent la main…

L'un des toits investis par jean linard
L'un des toits investis par jean linard

 

JR. : L'ensemble donne, par ailleurs, une forte impression d'humour : une barrière à base de tonneaux et de bouteilles, émergeant de rangs de vigne ; des volatiles sur le toit ; des gongs sonnant au gré du vent comme dans les monastères…) : au quotidien, l'humour était-il un trait de son caractère ?

Mme L. : Oui, il avait beaucoup d'humour, certains parlent volontiers de son regard pétillant et malicieux !

 

JR. : De nombreux éléments attestent qu'il avait bien conscience d'être à proximité de la campagne, comme tous ces volatiles "grimpés" sur les toits, les oiseaux éparpillés dans le parc, etc. Quelles étaient ses origines ? Pourquoi avait-il choisi cet endroit situé très à l'écart de toute autre maison ?

Mme L. : Il était natif de La Marche, à côté de La Charité, dans la Nièvre. Son grand-père cultivait son jardin, et tout jeune, Jean a jardiné avec lui. Adulte, il a toujours continué à faire du jardin ; il avait même une vigne ! Il s'est intéressé très tôt à la céramique. Dès 18 ans, il venait souvent à la Borne voir les potiers. A 30 ans, il a rencontré Anne Kjaersgaard, potière de talent et il a décidé de s’installer dans la région. Il a repéré cette carrière et il a eu le coup de foudre ; je crois que c’est la raison de son installation ici.

la carrière aujourd'hui
la carrière aujourd'hui

JR. : Ce qui est amusant dans cette démarche, c'est que, partant du vide (puisque cette carrière a la forme d'un amphithéâtre), il a fait de l'extra-plein !

Mme L. : L'espace n'était pas vraiment vide : il y avait des arbres, des ronces, des serpents. C'était très "habité", ayant été abandonné en tant que carrière de silex, depuis 14-18. Disons qu'il l'a "habité" autrement. Avec Anne, ils ont ensemble commencé et construit la maison et les ateliers.

 

JR. : Puisque c'est une carrière de silex, les silex ont-ils fait partie de ses premiers matériaux ?

Mme L. : Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que très vite, il a récupéré des pierres, des briques et des tuiles dans des chantiers et démolitions des environs.

 

JR. : Ce qui l'intéressait, c'était donc simplement le fait qu'il s'agissait d'une sorte d'amphithéâtre ?

Mme L. : Oui, la forme et l'endroit lui plaisaient. Il y a un beau point de vue. Il voulait de l'espace où il pouvait s'installer. Et la configuration du lieu l’a séduit.

 

animaux et personnages de béton
animaux et personnages de béton
n'a-t-il pas la tête d'un ange ?
n'a-t-il pas la tête d'un ange ?

JR. : Il faisait preuve de beaucoup d'imagination, de fantasmagorie (les dragons sont nombreux, des personnages un peu indéfinis...) : cet imaginaire était-il inné, ou le fruit de ses lectures, etc. ?

         Mme L. : Je crois que c'était avant tout son imagination. Il avait une imagination foisonnante, toujours en éveil. Il lisait aussi beaucoup, il aimait la peinture, d’ailleurs il peignait lui-même avec talent. Mais vous savez, on n’invente jamais vraiment totalement… Par contre, on re-crée à travers qui l’on est. Il y a des dragons, il y a aussi des anges, des oiseaux, des chats et beaucoup de personnages qu’il appelait « les gardiens du temple ».

 

JR. : En fait, il partait donc de ses rêves comme vous l'avez dit tout à l'heure. En même temps, il quittait le réel pour aller vers une fantasmagorie tout à fait personnelle ?

Mme L. : On peut le voir ainsi ; c'était un créateur. Il avait une image, une idée en tête, il la réalisait. Il quittait le réel sans le quitter vraiment, parce qu'il mettait en œuvre ce qu'il pensait, il le concrétisait immédiatement. Cela le ramenait donc au réel. Mais effectivement, il ne faisait pas la biche au bois… Il faisait ses personnages à lui. Tout au long de sa carrière, tout au long de sa vie, il a représenté des chats, des oiseaux, des anges, des chouettes  et il a évolué dans la façon dont il les représentait. Ceux de 2010 n'ont rien à voir avec ceux de 1970. Et néanmoins, ils restent des chats, des oiseaux, des anges, des chouettes. Ce sont les formes et les matériaux utilisés qui ont évolué sans cesse.

 

JR. : Quiconque visite le site de Jean Linard a, après un moment, le sentiment d'être un peu chez lui, ce qui suggère qu'il a été conçu dans la plus grande convivialité. Néanmoins, quelques sièges qui jalonnent le parcours, présentent à l'avant, une tête de monstre. Mais peut-être n'êtes-vous pas non plus d'accord avec le mot "monstre" ?

Mme L. : En effet. Pour certains sièges, ce sont des monstres, pour d’autres des anges, parfois avec de drôles de têtes ! 

 

JR. : Je parle de ceux qui sont à l'avant des sièges.

Mme L. : Ceux-là, oui. Il y en a deux qui sont devant « le chœur » de la cathédrale.

les deux sièges ornés de têtes de monstres
les deux sièges ornés de têtes de monstres

JR. : Lorsqu'il plaçait ainsi ces êtres étranges, était-ce une convivialité teintée d'une sorte de défi : "Voyons si vous oserez "prendre le risque"…" ? "Méritez-vous de vous asseoir sur ce siège", etc." ?

Mme L. : Je crois que c'était beaucoup plus simple que cela, pour Jean : il avait envie de mettre un monstre, il mettait un monstre. Il avait envie de mettre un ange, il mettait un ange. Point ! Il n'allait pas chercher plus loin.

 

JR. : Moi, je voyais ces éléments dans le sens de l'humour. L'humour un peu taquin, un peu malin, l'air de dire "n'importe qui ne s'assoira pas sur ce genre de siège"…

Mme L. : Vous pouvez dire cela, si c’est ainsi que vous le sentez ! Lui, il avait envie de faire un siège avec ceci ou cela, il le faisait. Je ne crois pas qu’il y avait toutes ces pensées autour. Il faisait ce qu'il avait envie de faire. Et une fois que c'était fait, il passait à autre chose. Parfois il disait : "Je ne sais même pas pourquoi je fais ça". Vous, vous pouvez l'interpréter à votre façon. Chacun peut l'interpréter. C'est ce qui est intéressant dans l'œuvre de Jean. Chacun peut y voir toutes sortes de choses. Quand vous dites "une convivialité teintée d'une sorte de défi", c'est votre regard sur son œuvre. Lui seul pourrait vous dire son regard !

 

JR. : Bien sûr, que c'est mon impression. Je n'ai pas du tout la prétention de le faire parler. Mais je trouve bien que chaque subjectivité puisse s'exprimer.

Mme L. : C’est vrai et je crois que c’est là une des grandes richesses de l’œuvre de Jean.

petite sculpture placée dans une ouverture de mur
petite sculpture placée dans une ouverture de mur

JR. : Dans quel état d'esprit réalisait-il les éléments de terre qui se retrouvent sur son lieu ? Avait-il le sentiment de les créer pour le simple plaisir, ou "pour" les intégrer à l'ensemble ? C'est-à-dire : se disait-il, pour chaque nouvelle œuvre : "Tiens, celle-ci irait bien à tel endroit" ; ou créait-il juste pour le plaisir de créer ?

Mme L. : Tout dépend de quel élément vous parlez : A l'époque où il construisait la cathédrale, quand il commençait un triangle, il le plaçait à tel endroit parce qu'il était en relation avec autre chose qui avait été fait avant. Quand aux éléments de terre, je crois que c’était d’abord le plaisir de créer.

 

JR. : La cathédrale est pour moi une œuvre bien à part, un monument à elle seule. Je parlais des éléments divers. En fait, je pensais au temps où la cathédrale n'existait pas. Parce qu'il y a bien eu un temps où elle n'était pas encore là ?

Mme L. : Oui, avant 84. Et il n'y avait pas non plus tout ce qui a été conçu depuis la cathédrale !

 

            JR. : Finalement, au cours des décennies, quels étaient ses matériaux de prédilection ?

            Mme L. : La terre, la ferraille, la mosaïque.

 

JR. : Le béton ?

Mme L. : Le béton n'était que le support de la mosaïque. Le béton en lui-même ne l'intéressait pas autant que les autres matériaux, même s’il a fait à un moment des chats en béton. C'était avant tout le support. C'est ce qui lui a permis de faire les triangles.

autre élément rayonnant
autre élément rayonnant

JR. : Il était assurément un homme mystique, pour avoir eu, d'abord l'idée, puis la volonté d'aller au bout, de sa cathédrale ? Croyait-il en Dieu ? Quel Dieu ?

Mme L. : En Dieu. Tout court.

 

JR. : Le Dieu des Chrétiens ? Un autre dieu ?

Mme L. : Dieu. Chacun se fait une image de Dieu. Et pour lui, sa cathédrale impliquait qu'il n'y ait qu'un seul Dieu, un Dieu d'amour. On peut lui donner le nom de Jehova, Allah, Shiva… Peu importe. La "connerie"** est que les gens se battent au nom de ce Dieu. Pour lui, il y avait Dieu. Et c'est le même pour tout le monde. Un DIEU d’AMOUR.

 

JR. : Il a défini sa cathédrale par l'adjectif "œcuménique", donc "universelle" : Est-ce à dire que, pour lui, elle pouvait émouvoir tous les peuples de la terre ?

Mme L. : Je n'en ai aucune idée. Je ne sais pas si elle est là pour émouvoir ? Elle est là pour dire aux hommes : "Quel que soit le Dieu que vous aimez, c'est pour tous un Dieu d'amour". C’est le message de son œuvre. Il y a des Japonais qui viennent et qui trouvent cette cathédrale magnifique. Et j’ajouterai que les visiteurs me disent que c’est un lieu apaisant, mystique, merveilleux, magique, où ils ont envie de revenir.

 

la cathédrale
la cathédrale

         

            JR. : Il semble avoir été un homme sans frontières, sans exclusives, puisque les noms de personnes d'origines très diverses se retrouvent sur ses constructions ? Comment les choisissait-il ? Quelles qualités devaient avoir ces gens pour que leur nom se retrouve sur les murs de sa cathédrale ?

            Mme L. : Ce n'était pas compliqué : il y avait d'abord ses enfants. Les compagnes et les compagnons de ses enfants et ses petits-enfants. Puis les gens qu'il aimait bien. Il y a Monseigneur Gaillaud, Mandela, Martin Luther King, Picasso, Cheval, etc. Des gens qui avaient une belle vision de l'humanité. Qui avaient quelque chose qui les portait. Je crois que l'idée était que ces gens avaient une mission, et qu'ils allaient au bout de leur mission. Peut-être ne l'aurait-il pas exprimé ainsi, mais c'était bien l'idée. C’étaient des hommes et des femmes qui avaient un rêve et qui étaient allés au bout de leur rêve, comme lui.

 

JR. : Parlons plus longuement de sa cathédrale, puisqu'elle est un des éléments –peut-être même l'élément-clef- de son ensemble : Elle est composée de triangles, la pointe vers le ciel. Elle est sans toit, hormis le ciel. L'idée du ciel était-elle tellement importante pour lui ? En quel sens ?

Mme L. : Votre question m’amène à réfléchir : Jean parlait souvent de la vie éternelle, alors peut-être que le ciel comme toit de sa cathédrale était une façon d’être en lien direct avec le Créateur. Et puis, le ciel c'est beau, ça change de couleur, il y a des nuages. La nuit, il y a des étoiles. C'est un élément magnifique. Il disait, "ma cathédrale est la plus haute du monde". Evidemment, puisque son toit est le ciel. Ce qui est sûr, c'est que dès qu'il a commencé à la construire, il n'a jamais envisagé d'y mettre un toit. Il disait aussi : « c’est la seule cathédrale au monde où il y a un pêcher et un pommier, où l’herbe pousse et où l’on passe la tondeuse ». Et si c’était une cathédrale de « lien » entre terre et ciel ? Peut-être est-ce pour cela que les visiteurs s’y sentent si bien ?

l'entrée du baptistère
l'entrée du baptistère
les vitraux rayonnants
les vitraux rayonnants

           

JR. : Et qu'est-ce qui a déterminé la symbolique qui la recouvre (j'avais envie de dire "l'ornemente", mais ce mot esthétisant serait bien trop restrictif) : gargouilles, anges, vitraux rayonnants avec un élément central, souvent un visage. Que signifiait pour lui ce symbole rayonnant ?

            Mme L. : Des gargouilles, il en a toujours fait. Bien avant de construire la cathédrale. Des anges, il en toujours fait. Et, dans une cathédrale, il y a la place pour les gargouilles et les anges. Donc, il a continué à en faire, et les a placés là. Parfois, il les vendait, même s’ils faisaient partie de la cathédrale.

            Les vitraux ? Parce que c'était rigolo de faire des vitraux avec des bouteilles de vin. Les bouteilles sont conçues pour contenir du vin, et, dans l'évangile, le vin c'est la vie, c’est le symbole du sang du Christ. Quant au symbole rayonnant, seul Jean pourrait vous répondre, mais le connaissant, peut-être vous dirait-il en riant que c’est la meilleure façon de disposer des bouteilles à l’intérieur d’un cercle ! 

la barrière
la barrière

 

JR. : Ouvrons une petite parenthèse : quand le visiteur voit toutes ces bouteilles, de toutes les couleurs, dont certaines sont très belles d'ailleurs, il ne peut s'empêcher de se demander si Jean Linard les a toutes bues ?!

            Mme L. : Pourquoi pas ? En vingt-six ans, il aurait eu le temps ! Il en a récupéré beaucoup. Chez des amis, dans des bistrots, des restaurants. Les bleues viennent de la Maison de la Culture. Quelques-unes viennent de Bourgogne. Il en a bu pas mal, et a récupéré les autres !

            Comme beaucoup de choses d'ailleurs, parce que les gens lui apportaient toutes sortes d'objets.

 

            JR. : Cela m'amène à une autre question : Je connais plusieurs artistes travaillant les pierres ou les galets. Eux, trouvent des galets sur lesquels ils voient tel ou tel personnage, telle ou telle figure. Le galet "leur parle". Mais il m'est arrivé d'en trouver des beaux, dont j'étais sûre qu'ils allaient les inspirer. Erreur ! Jamais ces galets ne leur parlaient de la même façon que les leurs. La plupart du temps, ils ne leur parlaient même pas du tout ! Alors, est-ce que les apports que les gens venaient lui offrir lui convenaient toujours ?

            Mme L. : Tout dépendait de quoi il s'agissait : si c'étaient des bouteilles, il trouvait toujours à les utiliser. A un moment, il avait composé une œuvre avec des boutons. Si on lui apportait une machine à écrire, à partir d’elle, il en fabriquait une autre à sa façon…

 

            JR. : Revenons à sa cathédrale. Naguère, les vitraux, piliers et sculptures étaient créés à l'intention de gens qui ne savaient pas lire, mais qui pouvaient comprendre ces images. Quelles réactions souhaitait Jean Linard face aux siens ? Avait-il, comme les créateurs du passé, l'impression de faire un peu oeuvre pédagogique ?

            Mme L. : Jean avait une passion. Il avait une idée. Il avait des idées. Il réalisait ce qu'il avait dans la tête, parce que c'était sa raison de vivre. La pédagogie ? Il a travaillé avec des enfants, il s'est bien régalé avec eux, mais ce n'était pas son but premier. Il faisait ce qu'il avait en tête. Parfois, les gens lui disaient : "Vous avez fait ceci, cela…". Il disait "oui, c'est possible"…

 

Une allée du parc
Une allée du parc

JR. : Etait-il tolérant à l'égard des réactions des gens, des questions qui lui étaient posées ?

            Mme L. : Cela dépendait s'il était bien luné ou non. Cela dépendait des jours. Il faisait en sorte de l'être, mais parfois il entendait des réflexions tellement stupides que cela l'agaçait. Malgré cela, il aimait parler avec les gens, il aimait raconter son œuvre et les gens adoraient l’écouter. Ce n'était pas quelqu'un de foncièrement tolérant, mais il avait très envie de l'être. Mais n'en sommes-nous pas tous là ?

 

J.R. : Combien d'années lui a-t-il fallu pour qu'il dise un jour "Elle est terminée" ? Quel sentiment éprouvait-il alors, en la contemplant ? Allait-il souvent se recueillir dans (faut-il dire "dans" ?) sa cathédrale ?

Mme L. : En fait, il n'a jamais dit qu'elle était terminée. Pour lui, elle ne l'était pas. Il disait toujours qu'elle serait terminée avec sa mort. Il allait s’y promener tous les matins, peut-être même s’y recueillir, en effet.

 

JR. : De nombreux artistes ont le sentiment infus qu'ils n'ont plus rien à ajouter à leur œuvre. Et que, par conséquent, ils mourront bientôt. Avait-il ce sentiment ? Avait-il de ce fait, la conscience d'avoir atteint la plénitude de son site, ou avait-il encore des projets d'agrandissement ?

Mme L. : Penser qu'il avait fini, ce n'était pas Jean ! Il a toujours eu des projets d'agrandissement. Il avait d'autres projets en tête, d'autres idées.

 

JR. : Les avait-il formulés ?

Mme L. : Dans son esprit, il arrêterait le jour où il mourrait. Ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé, mais presque : il a travaillé jusqu'à deux mois avant sa mort Durant ces deux derniers mois, il a fait encore quelques dessins et il a beaucoup lu. Et il est parti serein.

"quelle connerie la guerre"
"quelle connerie la guerre"

JR. : Avec ce lieu, véritable sanctuaire, avait-il le sentiment d'avoir suivi la même démarche, dans le même esprit, que le Facteur Cheval, Picassiette, Tatin, Gaudi, Danielle Jacqui, et bien d'autres qui sont, comme lui, allés au bout de leurs rêves ?

Mme L. : Oui, tout à fait.

 

JR. : Vous a-t-il dit, un jour, "On me pose toujours les mêmes questions. J'aimerais tant qu'on me parle de…" De quoi ?

            Mme L. : Jean n'aurait pas aimé qu'on lui parle de ceci ou cela. Il parlait de ce dont il avait envie de parler. Il n'attendait pas que les gens lui posent des questions. C'était un conteur. Il racontait sa cathédrale, il racontait son histoire. Et les gens écoutaient. Les gens aimaient infiniment que ce soit lui qui fasse la visite.

 

            JR. : Même si vous dites que quelquefois, les gens l'agaçaient avec leurs questions, il était donc très disponible pour les visiteurs ?

            Mme L. : Oui, complètement. Tout ce lieu était son œuvre. Il aimait infiniment en parler.

 

JR. : Et je vous pose la question par laquelle je termine toujours mes entretiens : Y a-t-il d'autres sujets que vous auriez aimé aborder et dont nous n'avons pas parlé ? Des questions que vous auriez aimé que je pose, et que je n'ai pas posées ?

Mme L. : Oui, j'aimerais dire qu’il faut que cette œuvre soit reconnue comme l’a été celle de Tatin, Gaudi, Cheval, etc ; elle est importante et précieuse ; elle fait partie des richesses de notre pays. C'est une oeuvre unique, magique, extraordinaire. Tous les visiteurs me disent la même chose : « il faut que ce lieu continue à vivre et à être visité ! ».

la maison de jean linard
la maison de jean linard

     ** L'un des triangles de Jean Linard porte l'inscription : "Quelle connerie, la guerre".

 

  Merci à Madame Linard qui a bien voulu répondre à mes questions.

 

Le portrait de Jean Linard, les photos de sa cathédrale et de sa maison ont été gracieusement offerts par Madame Linard.

 

  ENTRETIEN REALISE A NEUVY-DEUX-CLOCHERS SUR LE SITE DE JEAN LINARD, LE 13 AOUT 2010.