CECILIA MAKHLOUFI, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC6RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Cécilia Makhloufi, votre travail porte essentiellement sur la femme ?

Cécilia Makhloufi : En fait, il porte essentiellement sur l'humain. J'en ai moins ici, mais habituellement, il y a des femmes et des hommes. Habillés ou nus. J'appelle cette création "Une rencontre humaine en peinture".

 

J.S-R. : Tous –du moins ceux que vous avez apportés- sont assis et vous regardent. Comme si vous alliez les prendre en photo ? Ou comme s'ils allaient vous parler ?

C.M. : Il est vrai que lors de cette "Rencontre en peinture", c'est un peu une connexion. Un face-à-face entre une personne et moi. J'essaie d'exprimer quelque chose que je ressens de la personne. Parfois, il va y avoir un échange, nous allons discuter. Tout bas, peut-être, car tout peut se passer en silence. En fait, la femme ou l'homme qui pose n'est pas un sujet comme un modèle, ce qui m'intéresse, c'est l'être que j'essaie de ressentir.

 

J.S-R. : Avez-vous réellement des modèles ? Ou vos personnages sont-ils nés de votre imaginaire ?

C.M. : J'ai réellement des gens qui posent. C'est donc du vivant. Et ce ne sont pas des modèles, ce sont des rencontres.

 

J.S-R. : Votre définition me semble différente de celles auxquelles je suis habituée : d'habitude, quand un artiste fait venir un modèle, c'est uniquement pour une question plastique, gestuelle, etc. La personne qui pose est forcément raidie dans les attitudes que vous lui avez demandées. Comment pouvez-vous la trouver derrière cette "mise en place" ?

C.M. : Justement, en parlant avec la personne qui arrive, je lui dis de ne pas poser, juste d'ETRE. Comme elle le souhaite, comme elle a envie sur le moment, comme elle se sent. Ce n'est pas une pose académique, esthétique. C'est vraiment qu'elle vit selon son ressenti intérieur d'un moment X de la journée.

J.S-R. : C'est le hasard que presque tous se soient présentés assis ? Ou bien ont-ils l'impression d'être plus décontractés assis que debout ?

C.M. : Peut-être ? Ce sont des poses qui durent une demi-heure, trois-quarts d'heure. Il faut que tout ce temps, je sente la personne à l'aise. Il est vrai qu'il y a beaucoup de poses assises, mais quelques-unes sont tout de même debout.

 

J.S-R. : Puisque vous dites chercher l'être dans la personne en face de vous, si je prends vos œuvres de gauche à droite, je dirai que la première a un visage très dur ; l'autre un peu sceptique. La troisième me semble poser vraiment, dans une pose légèrement inclinée. Et la quatrième me semble totalement ouverte. Etes-vous d'accord sur ces impressions ?

C.M. : En fait, je n'analyse pas, mais nous parlons toujours après. J'entends ce que vous dites et qui est votre ressenti. Une fois que je peins, il y a une connexion avec la personne, je ne suis pas du tout dans l'analyse.

 

J.S-R. : Il est évident que votre travail est très gestuel, que vous jetez sur le support ce qui est en face de vous. Et il semble que vous ne reveniez pas sur ce que vous avez exprimé, qu'il n'y ait pas d'erreur, pas de remords.

C.M. : Ceci est assez vrai, parce que justement, ce qui m'intéresse, c'est le moment présent, ce que je capte à l'instant. Pour moi, en fait, continuer la peinture, c'est presque fausser ce moment. Cela peut m'arriver pour les peintures sur toiles. Mais pour tout ce qui est sur papier, c'est cette liberté qui m'intéresse ; et non pas de combler la peinture pour arriver à une esthétique. C'est l'instant, c'est d'être créatif sur le moment.

 

J.S-R. : Est-ce que vous respectez les couleurs de leurs vêtements, lorsque vos modèles sont habillés ? Ou est-ce que vous prenez les jeux de couleurs qui vous intéressent ?

C.M. : Oui, encore une fois, c'est un ressenti. En fait, je travaille avec beaucoup de techniques qui sont autour de moi. Je travaille au sol. Tout va très vite, comme dans une sorte de transe. Du coup, les couleurs sont choisies selon l'émotion ressentie, selon ce qui émane de la personne. Ce n'est donc pas forcément la couleur chair. C'est un autre code qui doit être dans ma tête.

J.S-R. : Je vois des papiers "mous", d'autres raides, la réponse sous le pinceau ne doit pas être la même ? Comment décidez-vous la sorte de papier que vous allez choisir, au moment de peindre ?

C.M. : J'ai eu des temps où je récupérais des cartons. Ma prédilection, c'est le papier, le carton. Je peux peindre sur toile, mais pour moi il y a un côté plus fermé. Comme je travaille au sol, j'aime la liberté de pouvoir couper le papier après. Encore une fois, j'aime être dans cette liberté de choix sur l'ensemble, le format pouvant être plus ou moins grand. Après, j'ai toute une série de cartonnettes que me garde un ami encadreur ; et j'aime beaucoup un papier mural sur lequel je travaille à l'encre. Ces derniers temps, je travaille plus à la peinture à l'huile, encore sur papier.

 

J.S-R. : Il me semble que la peinture à l'huile appelle plutôt un travail lent et appliqué, avec un travail sur les brillances et les matités. Est-ce qu'elle "répond" vraiment, lorsque vous faites vos grands gestes ?

C.M. : Je vais répondre oui, en ce qui me concerne, parce qu'alors je travaille avec un jute-jute de lin que je mets sur le papier. Qui permet de retrouver de la matière l'acrylique, ou une dissolution comme l'encre. C'est-à-dire qu'avec la peinture à l'huile, j'essaie de retrouver les autres techniques quand je fais des techniques mixtes. Parce que, sur cette huile, il y a une dissolution, autre chose qui se passe. Au final, je ne peins pas du tout comme les peintres académiques qui utilisent la peinture à l'huile.

J.S-R. : Parlons de l'homme "unique" sur cette cimaise ! Vous l'avez peint ton sur ton. C'est-à-dire jaune sur jaune. De sorte qu'il ne se détache pas comme les femmes sur leurs supports. Cela crée l'impression qu'il est complètement "inclus" dans le décor ! Pourquoi lui avez-vous infligé ce régime spécial ?

C.M. : Il est sur du papier kraft qui dénote par rapport au papier blanc. Le blanc fait ressortir les couleurs ; tandis que le kraft est presque un camouflage.

Je crois qu'en travaillant sur le papier, je réclame inconsciemment quelque chose de plus primitif. Et ce que j'aime aussi, c'est travailler au sol, avec tout ce que cela apporte de terre-à-terre, de primitif. Est-ce que je réponds à votre question ?

 

J.S-R. : Pas tout à fait, car vous ne m'avez pas dit pourquoi lui, vous l'avez fait ton sur ton ?

C.M. : C'est une question un peu difficile, parce que, comme chaque fois, je n'ai pas de réponse analytique sur le choix de ce parti-pris.

J.S-R. : Vous m'avez dit que vous ne reveniez jamais sur votre "décision". Mais pour lui, vous avez dû revenir, pour qu'il se trouve sur ce fond ?

C.M. : C'est peut-être aussi parce que je l'ai fait dans une véranda qui avait une atmosphère très lumineuse. C'est peut-être toute cette lumière dans la véranda, qui m'a influencée ? Je ne vois pas d'autre possibilité.

J.S-R. : Revenons aux femmes : Pour certaines, on voit bien, en effet, que vous n'êtes absolument pas intervenue. Vous n'avez même pas retouché le fond, jusqu'à laisser les taches que vous avez faites sans doute involontairement, comme s'il vous indifférait qu'il y ait des ratures.

C.M. : Il y a des traits qui peuvent démarquer, ici la place d'un pied, là celle d'une chaise, etc.

 

J.S-R. : Par contre, sur les deux femmes centrales, vous avez jeté des taches…

C.M. : Il est vrai qu'elles ont quelque chose de plus symbolique. Il peut arriver que mes peintures prennent un petit côté symbolique, gnangnan…

 

J.S-R. : Mais ils me semblent que ces femmes posent davantage que les autres.

C.M. : C'est le même modèle. Et il faut dire que le modèle pose par métier. Il lui est donc peut-être moins facile d'être décontractée ? Peut-être ressent-on cette pose, parce qu'elle a l'habitude de poser ?

 

J.S-R. : J'en viens à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

C.M. : Je peux dire, peut-être, que je ne fais pas uniquement un travail sur l'humain. Que je traite aussi d'autres thèmes. La nature, des biches… Donc, que j'ai un côté plus brut et un côté fleur bleue.

 

J.S-R. : Des biches ! Pourquoi des biches ?

C.M. : Parce que je les ai vues en rêve ; et qu'après j'ai transposé le monde des hommes à travers les biches ! Dans cette thématique, je parle notamment de l'amour, des rencontres…

 

 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI