RAPHAËLLE DE GASTINES, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Raphaëlle, il semble bien que, seul, l'humain vous intéresse, puisque vous ne peignez que des personnages. Sauf quelques animaux que vous traitez comme des humains puisqu'ils sont également enfermés. Et, en particulier des éléments féminins ?

Raphaëlle de Gastines : Non, pas particulièrement féminins ! Mais oui, ma peinture est ma vision de la nature humaine. Ma vision personnelle de l'humain. Je suis un peu humaniste, et je trouve que l'humain peut être ridicule à certains moments. Du coup, je le mets en scène dans des imaginaires qui le montrent ainsi. Par exemple, la femme qui a peur, perdue dans la forêt avec sa lampe, serait pour moi l'image de l'humain qui se raccrocherait à ses technologies. L'humain perdu dans la nature qu'il a, au fil du temps, de plus en plus lâchement oubliée.

 

J.S-R. : Il me semble qu'il y ait un paradoxe dans votre travail, sur le fait qu'il soit tellement soigné, tellement léché, et le fait qu'il soit si gestuel ? C'est-à-dire que vous prenez chaque personnage sur une fraction de seconde.

R.DG. : Oui, je les mets en scène. Mais le fait que vous disiez qu'ils sont "léchés" n'est pas forcément vrai. Je ne peins pas du tout de manière "léchée".

J.S-R. : C'est l'impression que j'ai, par exemple, quand je regarde la jupe de la femme : Elle paraît peinte petit trait par petit trait…

R.DG. : Pas du tout ! C'est une peinture qui demande beaucoup de travail et de patience ! Ce que je recherche dans la peinture, c'est de poser les bonnes couleurs au bon endroit. Quand on se penche de plus près dessus, ce sont en fait des touches de peintures assez grossières, et si elles sont placées au bon endroit avec la bonne couleur, elles donnent un bon volume. Voilà. Ce n'est pas de la peinture lisse !

 

J.S-R. : Vous trompez donc bien votre monde, parce que je me suis intérieurement extasiée sur le "fini" de ce travail , me demandant combien de temps vous pouviez passer pour que chaque trait semble si bien à sa place… J'avais l'impression de vous voir le nez collé sur votre travail, alors que vous me dites que c'est l'inverse !

R.DG. : Je travaille beaucoup ; mais si je n'arrive pas à faire "mon" manteau, c'est parce que je n'ai pas su regarder correctement. Selon moi, si le manteau est bien posé, il doit l'être en quelques minutes ! Si tel n'est pas le cas, c'est comme si je devais l'effacer ! Il faut vraiment avoir le geste précis, des bonnes teintes et des bonnes touches au bon endroit. Des jeux d'ombres et de lumières au bon endroit. C'est donc une recherche au niveau technique, où j'aimerais aller le plus loin possible. Des tableaux très précis, avec une bonne touche en très peu de temps.

J.S-R. : Vous avez parlé de votre volonté de rendre vos personnages ridicules. Là encore, je n'ai pas eu l'impression qu'ils étaient ridicules, mais plutôt qu'ils étaient tous dans la panique !

R.DG. : J'ai plusieurs système d'écriture, de message. Cela peut partir en imagination, dans des mondes fantastiques. Mais aussi des histoires où la nature reprendrait ses droits, et où les humains seraient perdus. En fait, ce que je voudrais transmettre, c'est que les gens se sont éloignés de la nature. Et je veux les montrer dans des situations où ils n'auraient plus que des petits objets de leur quotidien et où ils seraient enfermés dans une nature qui aurait repris le dessus. Qui aurait repris le pouvoir sur l'être humain. Parce que, ce que je n'aime pas, dans l'être humain, c'est qu'il se prenne pour des rois, pour des dieux plus forts que la nature. Ou, concernant les animaux, qu'il se considère plus fort qu'un lion ou un ours, etc.

 

J.S-R. : Auriez-vous été écologiste avant l'heure ?

R.DG. : Non. Plutôt humaniste.

J.S-R. : Vous parlez beaucoup du cadre dans lequel vos personnages évoluent, et qu'ils mépriseraient, mais le fond derrière vos personnages, est soit non signifiant, soit réduit à sa plus simple expression. Vous parlez de la femme dans la forêt avec sa lampe, mais il n'est pas évident qu'elle soit dans la forêt. Ainsi, la petite qui est dans quelques herbes peut aussi bien être dans son jardin, ou au bord d'un étang… Il n'y a nulle part une abondance qui suggérerait la forêt. En fait, pour chaque tableau, il est évident que ce n'est pas le décor qui vous a intéressée, c'est le personnage !

R.DG. : Oui, il est plus important pour moi dans ses actions ; mais le décor l'est aussi. Pourtant, il est vrai que je pousse moins le travail sur le décor que sur le personnage. Il me semble que je suis encore plus lâchée sur le décor que sur la personne, mais pour moi ce n'est pas un problème. Cela me convient de cette manière. Je pense que je procède ainsi parce que c'est plus le personnage que je dénonce, plutôt que la nature.

J.S-R. : Pourquoi ce parti-pris de les vernir aussi abondamment ? A tel point qu'il est pratiquement impossible de voir un tableau en entier. Même quand il n'y a pas de lumière dessus, il y a toujours un ou des points de brillance qui cache au visiteur ce qu'il veut voir dans son ensemble !

R.DG. : En fait, ce sont des tableaux qui doivent se voir en intérieur, et éclairés de façon à supprimer ces brillances. Et c'est ainsi que j'aime les voir, quand il n'y a plus de reflets et que la scène apparaît dans son entier. Le fait de les vernir, c'est pour les séparer du monde. Rajouter un miroir entre le tableau et nous. Entre les deux mondes.

 

J.S-R. : C'est une façon de les emprisonner ?

R.DG. : Ou de "nous" emprisonner ? A vous de voir. Moi, j'ai mon histoire. Je peux aussi laisser le spectateur partir dans son monde à lui.

 

J.S-R. : Question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

R.DG. : Je pourrais aussi parler du fait que je travaille sur la folie… Mais voilà…

 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.