COLETTE HARANGER, ART VEGETAL

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Colette Haranger, votre travail tourne uniquement autour des plantes ?

Colette Haranger : Absolument. J'aime beaucoup la nature. Et je découvre, par mon travail, leur structure interne.

 

J.S-R. : Est-ce que ce n'est pas un peu les trahir que de les traiter, les mal/traiter comme vous le faites ?

C.H. : Non ! Je ne trouve pas que je les maltraite ! Je leur donne une nouvelle vie.

Si on laisse les plantes "vivre leur vie", elles se décomposent, elles donnent du compost. Bien sûr, c'est utile ! Mais moi je leur la chance de "vivre une nouvelle vie" !

 

J.S-R. : Et comment procédez-vous ?

C.H. : Pour pouvoir les conserver, je fais une lessive. Une lessive de grand-mère, dans une lessiveuse, avec de la soude ou de la potasse qui permettent de désintégrer tout ce qui n'est pas de la cellulose. Je rince et je ne retiens que la structure interne, c'est-à-dire le squelette de la plante. Ce peuvent être les nervures des feuilles, les fibres de toutes les plantes.

 

J.S-R. : Et vous les faites sécher ?

C.H. : Je rince à de nombreuses reprises, afin d'être sûre qu'il ne reste aune matière putrescible. Je travaille dans une baignoire où j'ai des tamis de différentes tailles, avec ce qu'on appelle "une couverte". C'est un cadre vide…

 

J.S-R. : Comme dans les fabriques de papier ?

C.H. : Oui, exactement. Sauf que je fais un fond avec des fibres. En général, j'utilise la fibre de mes iris, c'est ce qui fait le fond beige. J'ai donc ce fond sur mon tamis. Et par-dessus, je fais le tableau avec les différentes plantes que j'ai traitées. Pour certains tableaux, j'ai au moins dix plantes que j'ai piochées dans mes différents récipients. Quelquefois, elles sont naturelles, mais il arrive que je les teigne. Je les teins avec des teintures naturelles, comme l'indigo… Cette année j'ai fait avec de la garance. Et je cherche à continuer avec d'autres couleurs.

 

J.S-R. : A partir de là, vous composez un tableau : ce peut être un paysage –citadin, plutôt, me semble-t-il- ; un lieu bocager ; un animal comme cette sorte d'araignée à multiples pattes… Ce n'est pas une araignée ?

C.H. : Chacun a son interprétation ! Moi je fais l'image qui me vient en fonction de la structure des plantes. Vous avez remarqué la structure citadine : elle est constituée de prêles que j'ai débarrassées de leurs poils. Je ne garde que la tige et une fois cuite, c'est elle qui me donne ces couleurs brunes et beiges. C'est la structure du bambou, mais c'est aussi la structure des immeubles ! J'ai fait un certain nombre de tableaux que j'ai appelés "Architextures". Et j'ai appelé celui que vous avez pris pour une araignée, "Danse initiatique", parce qu'il me fait penser à une danse africaine. Ces compositions, ces couleurs, ces structures me portent aussi vers l'Afrique.

En fait, il faudrait s'approcher de chaque tableau pour en voir les nuances !

 

J.S-R. : Oui, à propos de mon "araignée", j'allais vous dire quand vous vous êtes mise à rire, que de loin elle ressemble vraiment à une araignée, mais qu'il est évident que chaque patte est terminée par un personnage en train de tourner ! Dans une de vos compositions citadines, j'aperçois ce qui me semble être des yeux ?

C.H. : Non. Certes, ce sont des yeux, mais il y a aussi des bouches. Qui ne sont pas très visibles à cause du mauvais éclairage. En fait, c'est une barrière : j'ai pensé aux femmes africaines qui cherchent à se libérer…

 

J.S-R. : Quand vous faites ce paysage citadin que nous venons d'évoquer, ou celui qui est à côté, j'y vois des immeubles : est-ce bien cela qu'il faut voir ?

C.H. : Ce n'est pas ce que j'avais voulu faire, mais pourquoi pas ? Une fois, j'avais ainsi réalisé une bibliothèque. En fait, c'étaient plutôt les vestiges d'une bibliothèque. J'avais fait une première vision d'une bibliothèque un peu ancienne. Mais ensuite, j'ai déstructuré la bibliothèque. Les prêles sont des dos de livres…

 

J.S-R. : C'est-à-dire que ce que j'ai pris pour des immeubles, sont en fait des livres !

C.H. : Oui, ce sont des dos de livres. C'est une série que j'ai intitulée "Mémoires". Et j'ai essayé de matérialiser ces mémoires avec des ormes un peu préhistoriques et j'ai utilisé des pigments ocres qui rappellent les peintures rupestres.

Ailleurs, j'ai composé des "Mémoires de plantes". J'ai essayé de faire un inventaire des plantes que j'utilise ; et de faire l'écriture de ces plantes. Matérialiser leur histoire.

 

J.S-R. : Vous voulez dire la forme qu'elles prennent quand elles sèchent ?

C.H. : Oui. En fait, quand je travaille dans l'eau, les plantes sont molles. Si je les utilisais à ce stade, cela ne donnerait rien du tout. Donc, je travaille dans l'eau, où elles se collent sous une forme naturelle. Quand je sors mon tamis, elles gardent cette forme. Elles gardent donc une certaine poésie, sinon je ne les prendrais pas.

 

J.S-R. : Quand vous reconstituez des plantes à partir de vos plantes, soit vous faites un tableau tout à fait réaliste, soit comme pour celui que vous intitulez "Mémoires", on pourrait voir un tableau tout à fait abstrait. Quand choisissez-vous de les traiter de façon réaliste ? Et quand de façon abstraite ? Cela ne me semble pas le même travail ?

C.H. : Je ne fais pas trop la différence. J'ai intitulé l'un d'eux "L'étranger", car j'ai toujours une idée de départ. Toujours, quand je fais un tableau, c'est à partir d'un ressenti. J'habite tout près d'une forêt, et quand je m'y promène, je vois toujours des animaux qui se sauvent. Je me dis qu'ils me voient arriver. J'ai donc fait la forêt, et j'ai mis les yeux des animaux. Des animaux qui me regardent.

 

J.S-R. : A la limite, c'est votre interprétation. Je vous rends votre phrase !

C.H. : Je suis une étrangère pour ces animaux. Leurs yeux sont donc ceux avec lesquels on regarde un étranger !

 

J.S-R. : Enfin, sur l'un de vos tableaux, vous faites la relation directe entre l'homme et la plante ? Cette image-là me fait penser à un film où l'on voit l'homme préhistorique devant le feu ! En fait, ce tableau me fait davantage penser au feu qu'à la plante !

C.H. : Bien sûr ! Mais je ne cherche pas du tout à reproduire la plante. Je fais à chaque fois une transposition. En fait, c'est "Prométhée" qui donne le feu à l'homme. Et je l'ai fait à moitié clair, à moitié sombre, parce que pour moi le feu est la technique ; et la technique a, comme toute chose, son côté positif et son côté négatif. Ce sont des chatons de tremble que j'ai traités et dont j'ai décoloré une partie.

En fait, comme je l'ai déjà dit, je crée toujours à partir d'un ressenti. Et c'est en voyant le résultat du traitement de la plante, que cela me donne l'idée de faire le tableau. Souvent, je ne décide pas de "faire" quelque chose, mais c'est avec le matériau que j'ai traité, que me vient l'idée du tableau.

 

J.S-R. : Que faut-il pour vous, dans votre visuel ou votre mental, pour que vous ayez envie d'associer telle plante avec telle autre ? Est-ce une question de couleur ? De forme du restant de la plante ?

C.H. : Oui, c'est la forme, c'est la couleur. Souvent, c'est la forme. Et puis, la texture qui est très importante.

 

J.S-R. : Question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

C.H. : Peut-être sur ce qui m'a donné l'idée de travailler sur les plantes ? Avant, je faisais de la photo, de la macro-photo et je cherchais des formes universelles. Celles que l'on retrouve toujours comme, par exemple, le système veineux de l'homme, l'arbre avec ses branches, un delta, l'eau qui coule sur du sable, les nervures des feuilles, etc. Et puis, un jour, j'ai voulu chercher la structure interne des plantes.

 

J.S-R. : Le support sur lequel vous faites vos collages est-il toujours de la toile ? Parfois du papier ?

C.H. : Au départ, c'est toujours peint. C'est ce qui me sert toujours.

 

J.S-R. : C'est donc la pâte qui est restée dans vos traitements ?

C.H. : Oui, j'ai la pâte sur le tamis. J'y place différentes choses. Et c'est ce que je colle sur un support rigide. Je fais aussi des transparents. Ce qui m'intéresse c'est la complexité dans la nature. Cette complexité est extraordinaire. Elle est d'ailleurs chez l'homme aussi. En fait, toute ma démarche est intimement liée à l'Homme. A la personne humaine.

 

ENTRETIEN REALISE LE VENDREDI 30 MAI 2014, DANS LA SALLE POLYVALENTE DE CHANDOLAS, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.

 

Pour le vernissage, Colette Haranger s'était créé un magnifique chapeau
Pour le vernissage, Colette Haranger s'était créé un magnifique chapeau