RICHART MAIRE, peintre scripteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-TIVAIS

*****

Jeanine Smolec-Rivais : Richart Maire, faites-vous de la peinture commentée, ou des commentaires illustrés de peintures?

Richart Maire : Je suis assez proche de l'esprit de la BD. Je peux peut-être dire que ce sont des peintures bavardes ? Ou des bavardages illustrés ?

 

J.S-R. : En tout cas, il semble bien que, pour chacune de vos œuvres, le commentaire ait autant d'importance que la peinture ?

R.M. : Oui, souvent les gens s'arrêtent pour lire le commentaire. Tous les textes sont de moi. Je les note à mesure qu'ils me viennent. J'en ai encore noté quelques-uns depuis le début du festival. Et je vais les illustrer en rentrant.

 J.S-R. : Diriez-vous que vos commentaires corroborent ce que vous avez peint ? Font redondance ? Ou sont en opposition?... Ou sont-ils simplement des commentaires indépendants des tableaux que vous peignez ?

R.M. : Je ne sais pas trop comment j'associe image et texte, mais souvent ils vont bien ensemble ! Ils s'assemblent de manière assez automatique.

 

J.S-R. : Il semble que vous ayez apporté surtout des moyens de locomotion ? Je vois la brouette, la trottinette… Vous travaillez par thèmes ? Vous faites des séries ? Comment organisez-vous vos créations ?

R.M. : Je vois ce que je fais dans la vie quotidienne, et je l'illustre ! Quand je fais du vélo, je mets un vélo ; quand je tonds ma pelouse, je mets une tondeuse… Les illustrations sont des scènes de la vie quotidienne !

 

J.S-R. : On pourrait donc dire que ce que vous exposez est un agenda ?

R.M. : Oui, les peintures seraient ce qui se passe dans ma vie extérieure ; et les phrases, ce qui se passe dans ma vie intérieure.

 

J.S-R. : Vous travaillez à l'encre de Chine ?

R.M. : Non, ce sont des gravures à la colle.

J.S-R. : J'avais pensé à des gravures, mais comme apparemment ce sont des pièces uniques…

R.M. : Ce qui unique, c'est la mise en couleur. Les dessins sont sur des plaques de gravure en noir. J'imprime les dessins et les mets en couleurs, à l'unité.

 

J.S-R. : Les grands dessins comme ce personnage "dentu", sont un peu différents. Il y a des commentaires, mais on pourrait dire qu'ils sont en off, parce qu'ils sont ton sur ton avec le fond ?

R.M. : Oui, j'ai voulu faire une série sur les mauvais sentiments ; dire que toutes mes petites gravures sont joyeuses et ludiques car elles parlent des bons sentiments. Et que les autres traitent de la colère, l'envie, la jalousie…

 

J.S-R. : Et me direz-vous que vous êtes allé voir le curé, et qu'il vous a tellement bouleversé que vous avez écrit à l'envers ?

R.M. : Non ! Simplement, je ne voulais pas que le message prenne plus d'importance que l'image. J'ai donc inversé le texte.

 

J.S-R. : Vous auriez dû prévoir une glace, pour que les curieux puissent se satisfaire !

R.M. : Oui, c'est vrai, un miroir ! De cette façon, ils doivent faire l'effort !

 

J.S-R. : Je me reprends sur l'idée que ce soient des pièces uniques. Il n'en est rien, puisque le modèle est repris plusieurs fois –ce qui est le principe de la gravure-. Combien faites-vous de tirages sur chaque modèle ?

R.M. : Je ne sais pas. J'avais prévu d'en faire cinquante, mais avec la technique que j'ai mise au point, je n'y parviendrai sans doute pas. Le plus que je suis est trente, avec "On n'est jamais à l'abri du bonheur". Je prends une plaque de bois avec de la colle et elle ne vieillit pas très bien. Ce que je fais ressemble un peu à la linogravure.

J.S-R. : Vous êtes donc comme aux premiers temps de l'imprimerie, puisque vous travaillez sur bois ?

R.M. : Oui, c'est assez rudimentaire. Je n'ai même pas de presse, j'ai simplement un gros tuyau en béton que je roule sur mon papier.

 

J.S-R. : Venons-en à la teneur de vos commentaires. Vous m'avez dit que vous faisiez votre dessin en fonction de votre activité quotidienne. Et que les commentaires surgissaient en fonction de telle ou telle action. En quoi votre bonhomme qui semble épuisé de pousser sa brouette, et déclare "Etre mortel nous rend vivant", -d'autant que "vivant" et "mortel" étant au singulier, il ne peut s'agir que de lui-, en vient-il à ce commentaire ? Tandis que son vis-à-vis sur sa bicyclette formule la sentence inverse !

R.M. : C'est comme les vanités de la Renaissance où était écrit dans un coin du tableau, à côté d'une tête de mort, "Souviens-toi que tu vas mourir", de façon à rendre la vie précieuse. C'est de là que j'ai pensé à "Etre mortel nous rend vivant", et "Etre vivant nous fait mortel". Cette gravure visait à reproduire cet esprit-là, et nous rappeler qu'en effet, la vie est précieuse.

 

J.S-R. : Mais tous deux ont l'air tellement épuisés ! Etes-vous sûr que pour eux, la vie est précieuse ?

R.M. : Je ne les vois pas épuisés ! Mais cela tient peut-être au fait que ce sont des versions en noir et blanc ? Les versions colorées ne donnent peut-être pas la même lecture ?

J.S-R. : Ce sont leurs yeux ternes et leurs bouches pincées qui créent cette impression.

R.M. : J'essaie chaque fois de les faire neutres. Je ne veux pas qu'il y ait d'émotion.

 

J.S-R. : Je retrouve une impression sur presque toutes les gravures : il me semble que vos personnages on une grande tête, presque aussi haute que la totalité de leur corps et de leurs jambes. Est-ce parce que vous êtes un cérébral ?

R.M. : Non. Les proportions sont un tiers pour la tête, un tiers pour le corps et un tiers pour les jambes. Je vous ai dit que je viens de la BD, j'ai publié deux petits albums. En BD, les expressions sont surtout rendues par le visage, et donc en agrandissant le visage, je transmets mieux les expressions. D'om les proportions !

 

J.S-R. : Réellement, la tête paraît démesurément grande par rapport au corps !

R.M. : Oui, et dans les grands personnages, c'est pire : ce sont presque des proportions d'enfants. D'où l'impression aussi que les personnages sont un peu infantiles.

 

J.S-R. : Dans l'ensemble, vous avez réparti les écritures autour du personnage. Mais vous arrive-t-il –comme celui qui tient sa fleur- que l'écriture ait beaucoup plus d'importance que le personnage ?

R.M. : Oui, parfois la longueur des phrases nécessite que je les enroule un peu autour du dessin. Par exemple, "Le bonheur est-il sexuellement transmissible" est une phrase longue, j'ai dû la caler.

 

J.S-R. : J'en viens à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

R.M. : Peut-être parler de mes bandes dessinées ? Elles ont pour moi beaucoup d'importance. J'ai été édité chez Jouvence, avec une petite histoire : "La loi de la gravité n'est pas à prendre à la légère", où un personnage tombe dans un puits pendant une centaine de pages et se pose pas mal de questions. C'est donc assez proche de l'esprit de mes gravures. Je viens également d'en éditer un autre intitulé "Libres et ego" qui est une espèce d'exploration intérieure, de personnages qui surgissent de nos inconscients. Je m'amuse beaucoup avec tout cela. Toute ma démarche, peinture ou BD est nourrie de tentatives pour essayer de mieux se connaître.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.