CATHERINE PRIOLI, sculpteure

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Catherine Prioli, êtes-vous bien assise ? 

Catherine Prioli : Oh oui ! Merveilleusement ! D'autant que je suis assise sur du "sur-mesure" ! 


J.S-R. : Vous parlez du banc sur lequel nous sommes côte à côte ? 

C.P. : Oui, c'est un banc accueillant, parce qu'il y a de la joie ; et qu'il y a des mosaïques qui représentent de multiples animaux, à savoir des "poissons-piafs" et des "tortues-rifins" qui sont là tout simplement pour nous amuser. Autrement, il y a des sièges qui appartiennent à la famille des "Joyeureux" qui symbolisent les absents, lorsque les enfants sont partis de la maison, lorsque les amis ont quitté la table pour rentrer chez eux. Ces sièges vides peuvent laisser quelque mélancolie. Pour en tirer du plaisir et du bonheur, on peut se souvenir, être heureux et partagé. J'ai représenté sur le dossier le visage, et sur l'assise des corps. Et ce sont des personnages qui attendent le retour des précédents occupants. 


J.S-R. : Ils sont tout de même bien mal en point, pour avoir la tête aussi loin du corps ! 

C.P. : C'était difficile de les rattacher ! Sinon, nous aurions eu le dossier dans le bas des reins, ce qui ne nous aurait pas rendu grand service ! Et ce ne seraient pas des bons amis, que de nous offrir de l'inconfort ! 


J.S-R. : Vos chaises sont toutes des modèles uniques ? Mais elles me semblent avoir toutes la même forme ? 

C.P. : Elles ont la même forme, mais elles n'ont pas le même visage, ni le même corps. 


J.S-R. : En fait, la différence vient de ce que chaque personnage est unique sur ces chaises similaires ? 

C.P. : Tout à fait. Je représente des personnages différents, à l'image de vous, de moi, de notre voisin, et des gens que nous accueillons. Nous sommes tous différents et j'ai voulu symboliser cette différence. Il y a des gens de couleur, des gens brillants, d'autres qui ont l'air naïf, des gens qui sourient ou qui sont étonnés la bouche en cœur. Les personnages sont donc différents, mais la technique et le support sont les mêmes. 


J.S-R. : Il y a longtemps que vous faites de la mosaïque ? 

C.P. : Il y a dix ans, et c'est le fruit de l'évolution d'une technique, à savoir que j'ai une formation d'ébéniste. En ébénisterie, je suis passée à la marqueterie, et de la marqueterie à la mosaïque de bois. Je crois que j'aime le morcellement qui forme un tout, l'assemblage. Cela m'a permis, à un moment de ma vie qui était un peu disloquée, de rassembler symboliquement les pièces, et de les réassembler dans le bon ordre. 

En fait, je fais un parallèle entre le psychique et le travail manuel. Reformer un tout qui tienne bien la route. Qui soit cohérent. Et qui soit un objet de communication, de la même manière que j'espère, moi savoir communiquer ce que j'ai mis en place dans ma tête.


J.S-R. : Quand je regarde vos chaises, je vois que vous avez pour chacune un rond sur une forme semblable. Ce sont des formes que vous avez découpées ? 

C.P. : Oui. J'ai découpé les formes. J'ai réalisé aussi la structure en métal. Pour cela j'ai fait des gabarits, mon précédent métier m'ayant permis d'apprendre à le faire. Et ces gabarits me permettent de réaliser les structures en acier. 


J.S-R. : Le support de la mosaïque du siège et du dossier est en bois ? C.P. : Oui. Structure acier et support en bois pour les chaises. Pour le banc, c'est différent, Ce sont des pièces qui ne peuvent être utilisées qu'à l'intérieur. 

         CP :  Je tiens à préciser que ce ne sont pas des "chaises" : ce sont des "personnes". Et ce sont des créations qui peuvent se positionner dans une entrée, ou pourquoi pas accrochées à un mur ? Et, en fait, cette chaise peut, à un moment donné… servir de chaise !  Mais ce n'est pas avant tout une chaise. C'est avant tout une création sur laquelle on peut s'asseoir. 


J.S-R. : Ces chaises sont tirées au cordeau, le siège bien perpendiculaire au dossier, il n'y a donc aucune fioriture dans le châssis métallique. Par contre, si l'esprit reste le même, on voit bien que chaque personnage est dans une attitude différente : l'un saute, l'autre se dresse l'air de dire "C'est moi qui suis là", un autre encore est en train de danser, etc. Comment choisissez-vous leurs attitudes ? 

C.P. : Souvent, je pense à une personne. Quelqu'un qui a quitté la chaise et qui était peut-être un peu farfelu, un peu stressé… Ce peut être aussi une projection de ma propre personnalité à des moments de ma vie ; comme ce serait de la vôtre : vous êtes calme, vous êtes spectateur, il y a des moments où vous êtes passive, et des moments où vous êtes acteur. Nous sommes faits de tous ces instants, de tous ces moments, de tous nos états d'âme. Néanmoins, chaque personnage a soit le sourire, soit la bouche en cœur d'étonnement. Il n'y a pas de personnages tristes. 


J.S-R. : Vous êtes donc dans un monde heureux ? 

C.P. : Positif ! Je suis quelqu'un de positif. Ma devise est : "Ne baisse jamais les bras, tu risquerais de le faire deux secondes avant un miracle". C'est une phrase qui peut paraître complètement ridicule. La différence entre être heureux ou malheureux, le mieux est donc d'être heureux ! Il est plus facile d'être heureux que malheureux. 


J.S-R. : Vous créez aussi d'autres éléments, des porte-manteaux…

C.P. : Oui, et il y a des totems qui sont des "charmeureux" (de charme et amoureux) qui sont faits avec des supports/bois, chêne, érable, châtaignier, dans lesquels j'ai incrusté à la défonceuse, des pâtes de verre. Ces totems de "charmeureux" représentent souvent des personnes symboles du couple. Ils vont souvent par paires. Ce sont des séducteurs. 


J.S-R. : Vous parlez de pâte de verre, j'ai oublié de vous demander pour les autres si c'est de la faïence ? 

C.P. : Ce sont des émaux de Briare, qui sont produits à Briare dans le Loiret. Ensuite, il y a à l'intérieur des pâtes de verre italiennes, espagnoles. Pour ces chaises, il n'y a pas de faïence, ce sont essentiellement pâtes de verre et émaux de Briare. De plus, sur chaque siège, sur chaque personnage, il y a des coupes différentes. 

J.S-R. : Ce doit être affreusement long de découper tous ces petits morceaux ? Combien peut-il y en avoir par chaise ? 

C.P. : Il y a environ trois cents pièces sur l'assise, et entre cent-cinquante et deux cents sur le dossier. 


J.S-R. : Vous avez un instrument spécial pour les couper ? 

C.P. : Le carré de base mesure 2,5 cm x 2,5 cm. J'ai un outil en carbure de tungstène. Et je les découpe selon une méthodologie et un procédé de coupe. J'aime beaucoup ce côté répétitif qui frôle l'obsessionnel, qui me permet d'avoir l'oubli de Moi. Cela me permet de m'oublier dans la coupe, dans la répétition, et dans  la gestuelle répétitive. 


J.S-R. :  J'en reviens à vos porte-manteaux. Il me semble que l'un d'eux au moins est en creux ? 

C.P. : Il est volontairement en creux. C'est "Madame Chut", parce qu'elle est réalisée avec la chute du siège ! 


J.S-R. : Parmi les morceaux que vous collez, vous avez choisi les couleurs qui vous convenaient ; ce sont des couleurs préexistantes ou vous les teignez ?

C.P. : Ce sont des pâtes de verre et des carreaux préexistants. Je ne crée pas ma propre céramique. J'achète les éléments, pâtes de verre, émaux de Briare, et grès cérame émaillé. Ce dernier est sur une structure acier totale, qui lui permet d'être en extérieur. Et il supporte des températures négatives. 


J.S-R. : A votre avis, ces objets sont fragiles ? Si j'en cogne un, il va résister ?

C.P. : Vous pouvez ! C'est sans risque. On peut s'en servir de manière utilitaire. Mais en fait, ce côté utilitaire est un clin d'œil pour dire que l'Art est souvent considéré comme quelque chose de superflu. Le beau est considéré comme superflu. Le plaisir d'être entouré d'œuvres d'art et de créations "est" du superflu. J'ai entendu ici des mamans qui disaient : "Non, on ne peut pas acheter on n'a pas de sous. Mais ne t'inquiète pas, on a de l'argent pour acheter de quoi se nourrir". Du coup, je vais arrêter de faire de l'utilitaire et je vais faire du superflu, parce que beaucoup de gens s'imaginent que je fais de l'utilitaire. 


J.S-R. : Il est certain que, quand vous voyez un porte-manteaux avec deux crochets, vous pensez pouvoir y suspendre votre manteau.

C.P. : Vous pouvez le suspendre. Mais il se trouve en l'occurrence que CE N'EST PAS un porte-manteaux. 


J.S-R. : Il vous faut donc imiter Magritte et écrire "Ceci n'est pas un porte-manteaux" ! 

C.P. : Il est vrai que je pourrais l'écrire ! Mais c'est un peu ironique de mettre des crochets au vu de tous  parce que, finalement, pour moi ce n'est pas utilitaire. L'Art ne doit pas être utile, pratique, et nous ramener à un objet  qui le soit. Mais là, c'est une ironie, voire un peu de provocation, de laisser croire que c'est vraiment un porte-manteaux !  


J.S-R. : Vous avez aussi deux autres créations qui me semblent moins intéressantes mais sont cependant curieuses : C'est du carton ? 

C.P. : Non, c'est du bois et au milieu c'est du graphite. Ce sont des incrustations dans du pin Douglas. Les incrustations sont en faïence. Ces thèmes m'ont été inspirés comme si j'avais voulu faire un témoignage d'une époque. Par exemple, au-dessus, il y a des incrustations dans du laiton marouflé, et c'est inspiré de personnages qui ont été retrouvés dans des grottes en Nouvelle-Zélande. Je les ai incrustées avec de la pâte de verre dans du bois. Et là, c'est un peu le pendant de dire : "En 2000, notre témoignage ne serait pas sur le mur, mais il pourrait être sur le bois". J'espère que ces objets seront un jour perdus, et retrouvés avec tous les questionnements possibles. 


J.S-R. : C'est de l'abstrait ? 

C.P. : Symboliquement, il y a un homme et une femme. 


J.S-R. : Je me demandais si vous connaissiez Picassiette ? 

C.P. : Oui, bien sûr. D'autant que j'ai participé deux fois à la Biennale de Chartres. 

Mais ce qui est exposé ici n'est qu'une partie de mon travail. Une autre partie est visible sur une tablette. Elle a été réalisée en janvier à Santiago-du-Chili où nous nous sommes retrouvés à soixante mosaïstes qui ont été sélectionnés par Isidora Paz Lopez, qui est une mosaïste chilienne. Elle a sélectionné trois mosaïstes chiliens, et soixante mosaïstes de vingt-deux nationalités. Nous avons créé une fresque de deux-cents mètres carrés à Puente Alto. Nous ne nous connaissions pas, et nous avons fait cohabiter nos créations. Le thème était "Magic garden", "Jardin magique". Je peux affirmer qu'à nous tous, nous avons réellement créé un espace magique, parce qu'il y a eu une entente magnifique. Et nous avons vraiment travaillé sur le beau, sur la couleur, sur l'échange. Chacun a un peu chevauché les créations de l'autre. Nous avons travaillé sur du mural extérieur pour la mairie de Puente Alto à Santiago-du-Chili. 

J.S-R. :  Voilà une rencontre artistique qui a dû être passionnante.

C.P. : Et il y a un autre projet qui aura lieu en Allemagne, toujours à l'initiative d'Isidora Paz Lopez. De mon côté, j'essaie avec d'autres mosaïstes français, d'obtenir des chantiers en France. Avec des commissions publiques ou privées. De manière à pouvoir embellir un lieu et créer un lien social, partager nos talents, les conjuguer pour pouvoir réaliser ensemble, de manière participative, une relation avec la population. Réaliser une œuvre d'envergure tant au point de vue artistique que d'un point de vue humain. 


J.S-R. : Vous m'avez beaucoup aidée, parce que je ne suis pas très connaisseuse de votre branche de l'art. Je vais donc en venir à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

C.P. : Non, parce que je pense que vous êtes une très bonne journaliste. Même si vous ne connaissez pas le travail, vous avez cette capacité de vous interroger. Et je souhaiterais avoir les mêmes questions de la part des personnes qui viennent à notre rencontre !  


J.S-R. : Ce sont souvent des promeneurs, pas forcément des gens qui, comme nous, ont fait huit heures de voiture pour arriver à vous. 

C.P. : Oui, mais parfois, ce sont de belles rencontres. Et puis ce lieu est magique. Et il faut tout le talent de Marthe pour réussir à fédérer tous ces créateurs tellement divers. Et générer un évènement aussi généreux, aussi particulier. 


ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.